Qui redoute encore l’arrivée de Dangote ?

Avec plusieurs années de retard, le conglomérat nigérian inaugure enfin deux cimenteries, au Sénégal et au Cameroun. Mais la guerre des prix n’aura pas lieu…

A Pourt, au Sénégal, l’ouverture de la cimenterie a longtemps été retardée. © Arona / Ahounou

A Pourt, au Sénégal, l’ouverture de la cimenterie a longtemps été retardée. © Arona / Ahounou

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Publié le 4 mai 2015 Lecture : 5 minutes.

Enfin, seraient tentées de dire les mauvaises langues. Avec deux à trois ans de retard sur l’agenda prévu, Dangote a démarré ses activités au Sénégal et au Cameroun. Le groupe nigérian, qui prévoyait d’ouvrir une cimenterie sénégalaise en 2012 et, quelques mois plus tard, une unité au Cameroun, aura connu bien des difficultés. Au premier rang d’entre elles, la question du foncier. À Pout, à l’est de Dakar, l’ouverture de la cimenterie a longtemps été retardée par un conflit avec les héritiers de l’ancien calife général des mourides, Serigne Saliou Mbacké. Et, à Douala, les problèmes de fourniture d’électricité et de viabilisation de la voie d’accès à la cimenterie ont entraîné un nouveau report mi-2014.

Disparu 

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Des embûches auxquelles le géant nigérian, largement dominant sur son marché domestique, a également dû faire face dans d’autres pays du continent. En Côte d’Ivoire, face à la bronca des acteurs présents, Dangote tarde à lancer son usine de broyage de clinker (importé du Nigeria) de 1,5 million de tonnes. Initialement prévue pour le début de l’année 2013, elle est désormais attendue pour fin 2016. Et ses usines au Liberia et en Sierra Leone ont été de nouveau retardées, officiellement par le virus Ebola. Quant à ses projets gabonais, ils semblent avoir purement et simplement disparu. Finalement, avec une capacité d’une trentaine de millions de tonnes par an en Afrique subsaharienne, le conglomérat est aujourd’hui bien loin d’atteindre l’objectif claironné en mai 2012 par son patron, Aliko Dangote : 60 millions de tonnes de ciment à l’horizon 2016.

Au Cameroun, comme il l’a longtemps fait au Sénégal, le groupe vante ses tarifs. « Nous entendons pratiquer les prix les plus bas du marché », soutient Abdullahi Baba, le directeur général de Dangote Cement Cameroon. Sauf qu’en réalité, dans le pays, Dangote vend le sac de 50 kg de ciment 4 500 F CFA (moins de 7 euros) à la sortie de l’usine, soit au même prix que celui de Ciments de l’Afrique (Cimaf, filiale du marocain Addoha) et un peu au-dessous des 4 600 F CFA pratiqués par Cimencam (du français Lafarge). De même, à Dakar, la guerre des prix annoncée par Serigne Aramine Mbacké, directeur général de Dangote Cement Sénégal, n’a pas eu lieu.

La tonne est vendue autour de 60 000 F CFA par les trois concurrents. « Déjà à notre arrivée en 2002, les prix ont été réduits de 20 %. Nous ne pouvons pas descendre plus bas, sinon le ciment serait cédé à perte », explique Michel Layousse, le directeur général adjoint des Ciments du Sahel. Faute de livrer cette bataille, Dangote affirme offrir au Sénégal, à prix égal, une meilleure qualité de ciment. « La concurrence propose du 32,5 R alors que nous proposons du 42,5 R. Vous avez le choix entre une Clio et un 4×4 Mercedes pour le même prix », ironise Serigne Mbacké Dieng, le directeur commercial de Dangote Cement Senegal.

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Sans surprise

Mais les Ciments du Sahel n’ont « pas peur de Dangote » et affirment même que son arrivée n’a pas perturbé le marché. D’ailleurs, pour le conglomérat nigérian, se lancer au Sénégal pourrait ne pas être une si bonne affaire, l’offre étant nettement supérieure à la demande. Alors que les capacités de production des Ciments du Sahel et de la Sococim, autre géant local, représentent au total 6 millions de tonnes de ciment, et que Dangote en affiche 1,5 million de tonnes, la demande intérieure est estimée à seulement 2,5 millions de tonnes par an. 

Sans surprise, le groupe nigérian affirme avoir commencé « à exporter au Mali, en Gambie et en Guinée-Bissau », selon Serigne Mbacké Dieng. Mais ses deux concurrents sont aussi largement actifs sur ces marchés. Dans ce contexte, Dangote devra réellement faire ses preuves. « Il lui manque la technique et l’expérience », lance-t-on du côté de la concurrence. Et il lui faudra également convaincre les professionnels du bâtiment. « Le ciment de la Sococim était déjà sur le marché de la construction bien avant l’indépendance », rappelle Abdel Kader Ndiaye, le président du syndicat national des entreprises du BTP. Au Cameroun, la situation semble en revanche plus prometteuse pour la cimenterie du groupe, dont la construction sur huit hectares aurait nécessité 150 millions de dollars (environ 140 millions d’euros).

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Dominée par Cimencam et Cimaf, l’offre nationale s’est élevée à 5,2 millions de tonnes en 2014, pour une demande supérieure à 9 millions de tonnes, en croissance de 8 % par an. L’entreprise envisage également d’exporter 30 % de sa production en Afrique centrale, notamment au Tchad, où les prix sont bien plus élevés, mais aussi en Centrafrique, en Guinée équatoriale et au Gabon. « Nous avons effectué des études dans ces pays et sommes convaincus qu’il y a de la place. Forts de nos produits et de nos prix, nous sommes sûrs d’être compétitifs », assure Abdullahi Baba. Dangote Cement Cameroon entend ainsi atteindre 30 % de part de marché en 2015, avec une production de 950 000 tonnes, pour une capacité théorique de 1,5 million de tonnes.

Surveillés

À Dakar comme à Douala, le succès ou les échecs de Dangote seront en tout cas surveillés de près. Et malgré les retards et les difficultés, le groupe maintient le cap, fort d’une rentabilité toujours parmi les plus élevées en Afrique : l’année dernière, sa marge d’Ebitda a en effet atteint 57 %, soit à peu près le niveau des sociétés de télécoms les plus rentables. Après avoir concentré toute son énergie sur le Nigeria, où il a ouvert en 2014 l’équivalent de 9 millions de tonnes de nouvelles capacités, le groupe annonce l’ouverture des sites zambien, éthiopien et tanzanien en 2015. Et le redimensionnement de ses projets kényans à la hausse, avec une capacité visée de 3 millions de tonnes, contre 1,5 million auparavant. Une multitude de projets pour rattraper le temps perdu.

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Par Coralie Pierret, à Dakar, et Omer Mbadi, à Yaoundé

Une contre-attaque béton

Bousculés par l’offensive de Dangote, les plus grands cimentiers internationaux présents en Afrique s’activent pour lui résister. Et pas seulement sur le plan commercial, mais aussi à travers du lobbying et des actions judiciaires. Au Sénégal, le français Vicat, actionnaire de la Sococim, a lancé en 2014 une action en arbitrage contre l’État sénégalais, qu’il accuse d’avoir indûment exempté le groupe nigérian du respect des réglementations environnementales et sociales.

Au Nigeria, le géant français Lafarge, numéro deux sur le marché, fait du lobbying auprès du gouvernement pour bénéficier des mêmes accès à l’électricité que son rival, favorisé par Abuja. Au tout début de l’année 2015, Vicat, Lafarge (qui fusionne avec Holcim), l’allemand HeidelbergCement et le marocain Ciments de l’Afrique se sont rencontrés pour envisager une association afin de dénoncer ou d’empêcher ce qu’ils appellent les « mauvaises pratiques anticoncurrentielles » du groupe nigérian.

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