Maurice : sur la route des coolies

Deux siècles après, on redécouvre l’histoire du million de natifs de l’État de Bihar expédiés par le colonisateur britannique dans les champs de canne à sucre de Maurice ou de La Réunion.

Des bâtiments de Aapravasi Ghat, sur l’île Maurice, où vivaient les travailleurs engagés © Aapravasi Ghat World Heritage Site/Facebook

Des bâtiments de Aapravasi Ghat, sur l’île Maurice, où vivaient les travailleurs engagés © Aapravasi Ghat World Heritage Site/Facebook

Publié le 30 avril 2015 Lecture : 3 minutes.

Dans la baie de Trou-Fanfaron, non loin de la zone portuaire de Port Louis, à Maurice, se dressent des bâtiments de pierre grise parfaitement restaurés. Aapravasi Ghat est l’un des plus anciens vestiges de l’"engagisme". C’est ici qu’en 1834 débarquèrent, la faim au ventre, les trente-six premiers travailleurs engagés. Une première qui ouvrira la voie au Great Experiment, vaste opération de déplacement de populations orchestré par le Royaume-Uni pour faire face à ses besoins en main-d’oeuvre après l’abolition de l’esclavage.

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Au total, 2,2 millions d’hommes venus d’Inde, de Madagascar, d’Afrique de l’Est et de Chine emprunteront ce qu’on appelait à l’époque la "route des coolies" pour s’établir en divers lieux de l’empire britannique – on retrouve leur trace dans pas moins de vingt-six pays. C’est ainsi que 1 million d’Indiens finiront dans les champs de canne à sucre de l’île Maurice. "Nous sommes un petit pays, mais nous nous sommes battus pour que ce pan de l’Histoire sorte enfin de l’ombre", explique fièrement Mookhesswur Choonee, ancien ministre de la Culture.

À son initiative, l’Unesco a lancé le projet de création d’une route internationale de l’engagisme. Au programme : élaboration d’une base de données internationales, création d’un comité scientifique et mise en place d’un futur secrétariat basé à Aapravasi Ghat. "Nous avons conservé des informations qui ont bien souvent été détruites dans les autres pays concernés", ajoute-t-il. Maurice dispose ainsi de deux sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco : l’un à la mémoire des esclaves africains (le Morne) ; l’autre, à celle des travailleurs engagés (Aapravasi Ghat).

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"Depuis 1994, l’Unesco a mené à bien de nombreuses recherches sur la route des esclaves, qui est aujourd’hui mondialement connue, commente Bhaswati Mukherjee, ancienne ambassadrice de l’Inde auprès de cette organisation. Mais l’autre route, celle des coolies qui ont traversé l’océan dans des conditions terribles et dont le sort n’était guère plus enviable que celui des esclaves, méritait elle aussi d’être connue." "Ces hommes, explique-t-elle, étaient très mal payés, ils se trouvaient loin de leur pays et ne pouvaient y retourner librement. Beaucoup ne savaient pas du tout ce que leur vie allait être. Et ils étaient aussi bon marché que les esclaves."

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Ce travail de mémoire est d’autant plus utile que 70 % des Mauriciens sont originaires du sous-continent indien. Et que, dans l’immense majorité des cas, ils n’ont plus aucun contact avec leur famille d’origine. "Je suis allé pour la première fois en Inde en 1995, raconte Raja, professeur à Port Louis. Mais dans l’État du Bihar, d’où venait la majorité des coolies, je n’ai trouvé nulle trace de mes ancêtres. Parce que les noms de famille ont été changés. Bien souvent, les coolies étaient désignés par un prénom ou un surnom."

Motye, 51 ans, est à peu près dans le même cas. Elle vit dans un village perdu au milieu des champs de canne à sucre. "Mes grands-parents sont morts jeunes, du coup personne ne m’a vraiment raconté l’histoire de ma famille", déplore-t-elle. Elle parle pourtant le bhojpuri, la langue du Bihar.

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Hindi

Pour raviver ce passé, Maurice peut compter sur l’Inde, qui voit en cette initiative l’occasion de renforcer ses liens économiques et culturels avec l’île. Depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi, ces liens se sont encore resserrés. En novembre 2014, Sushma Swaraj, la ministre indienne des Affaires étrangères, était l’invitée d’honneur lors de la commémoration du 180e anniversaire de l’arrivée des engagés. Le BJP, le parti nationaliste au pouvoir, a récemment ouvert un bureau à Maurice, tandis que se multiplient les initiatives en vue de promouvoir le hindi.

Le World Hindi Secretariat (WHS) a ainsi été inauguré par le Premier ministre indien en personne, fin mars, lors de sa tournée dans l’océan Indien. "Avec la construction de ce centre, analyse Gulshan Sooklall, le secrétaire adjoint du WHS, Maurice va devenir la capitale mondiale du hindi. Elle aura un rôle important à jouer dans le combat pour sa reconnaissance comme langue officielle par les Nations unies." l

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