Français, néocons et fiers de l’être… comme Philippe Val

« Émigré, émigré, reste là, t’en vas pas ! Maint’nant qu’t’es installé, mon vieux tu es chez toi chez moi… »

Philippe Val, ancien dirigeant de Charlie Hebdo, puis de France Inter © Pascal Pavani/AFP

Philippe Val, ancien dirigeant de Charlie Hebdo, puis de France Inter © Pascal Pavani/AFP

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  • Mehdi Ba

    Journaliste, correspondant à Dakar, il couvre l’actualité sénégalaise et ouest-africaine, et plus ponctuellement le Rwanda et le Burundi.

Publié le 1 mai 2015 Lecture : 3 minutes.

Janvier 1984. Un aimable chansonnier fredonne l’air du temps au JT d’Antenne 2. François Mitterrand est à l’Élysée, la Marche des beurs sensibilise l’opinion française aux discriminations subies par les jeunes issus de l’immigration, et Philippe Val, guitare en bandoulière, interprète cette ode aux travailleurs venus d’Afrique, en butte aux préjugés d’une population que le Front national commence à séduire. Trente et un ans plus tard, Philippe Val fredonne toujours l’air du temps.

Après avoir dirigé de 1992 à 2009 la rédaction de Charlie Hebdo, puis, jusqu’en 2014, la radio France Inter, il est devenu un essayiste choyé, comme en témoigne son omniprésence médiatique depuis la sortie de son Malaise dans l’inculture (Grasset). Entre-temps, il a fait un virage néoconservateur ¹, véritable tête-à-queue idéologique.

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L’assassinat à Paris, au début de janvier, de 17 personnes, dont 8 collaborateurs de Charlie Hebdo, n’aura fait que durcir davantage les positions de cet ex-humoriste devenu prophète de l’apocalypse. En France, "une partie de la population, islamique, qui s’est radicalisée, n’hésite pas à tuer pour empêcher les gens de s’exprimer", clamait-il en février à la tribune d’un sommet onusien sur les droits de l’homme.

Face à la menace sarrasine, il y sonnait le tocsin : "Nous sommes dans un pays en crise, dans un état de guerre." Une guerre contre un ennemi tapi dans les banlieues, majoritairement venu d’Afrique et adepte de l’islam, que Val désigne à la vindicte depuis des années, ce qui avait conduit certains esprits chagrins à diagnostiquer, dans la ligne éditoriale du Charlie Hebdo post-11-Septembre, une "névrose islamophobe ²".

Issu de la noble caste des cassandres, muselées depuis trop longtemps par le "politiquement correct", Val ne fait qu’habiller d’oripeaux "de gauche" les vieilles lubies réactionnaires aujourd’hui incarnées par un Éric Zemmour. Dans ce monde en noir (islamique) et blanc (occidental), "la colonisation [a] donné à des Arabes, des Africains, des Indochinois, le goût de la démocratie et de la culture" et "le terrorisme aveugle remonte à la guerre d’Algérie" – Val parle ici de l’attentat du Milk Bar, commis par le FLN, et non des agissements de l’OAS.

Et les alliés objectifs de Ben Laden puis de Daesh sont, à l’en croire, les sociologues qui oeuvrent au délitement de la société française en propageant l’idée "qu’un vers de Racine ne vaut pas mieux qu’un couscous" – pour reprendre les mots de son ami, le philosophe Robert Redeker. Autant d’analyses qui ont conduit l’avocat Gilles William Goldnadel, président de France-Israël et représentant emblématique – selon le politologue Jean-Yves Camus – du "courant néoconservateur juif qui [a pris] son essor dans les années 2000", à voir en Val l’une de ces "petites lumières de lucidité [qui] scintillent dans les ténèbres lugubres de la mauvaise foi méchante" !

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Marchant dans les pas d’un Robert Ménard, apôtre de la liberté d’expression à Reporters sans frontières avant de devenir un zélé porteur d’eau du FN, Philippe Val culpabilise ses contemporains trop timorés. Après avoir taxé de complaisance projihadiste ceux qui – musulmans ou non – s’étaient offusqués de la publication dans Charlie Hebdo, en 2006, de caricatures danoises de Mohammed pétries de préjugés, il range désormais dans le concept fourre-tout d’"islamo-gauchisme" le philosophe Jean-Jacques Rousseau ou le sociologue Pierre Bourdieu.

Quant à ceux que ferait tousser la politique américaine au Moyen-Orient ou qui exprimeraient la moindre solidarité envers la cause palestinienne, ils sont immédiatement suspectés par cet expert ès anathèmes de connivence néonazie. L’essayiste a beau assurer que "la déconnade, c’est très important", de Dakar à Gaza en passant par les quartiers populaires de l’Hexagone, voilà bien longtemps que le clown triste de la "guerre des civilisations" ne fait plus rire.

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¹. Lire notamment Même pas drôle. Philippe Val, de "Charlie Hebdo" à Sarkozy, de Sébastien Fontenelle (Libertalia, 2010) ; et le chapitre que lui consacre Mona Chollet dans Les Éditocrates (La Découverte, 2009).

². ""Charlie Hebdo", pas raciste ? Si vous le dites…", Olivier Cyran (www.article11.info).

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