Gabon : orphelins de Mba Obame

C’était l’opposant numéro un. Sa disparition laisse un vide que ses anciens compagnons de route, pressés de prendre le relais avant la présidentielle de 2016, auront du mal à combler. Attention au clash des ambitions.

André Mba Obame, à Paris, en septembre 2010. © Vincent Fournier/J.A.

André Mba Obame, à Paris, en septembre 2010. © Vincent Fournier/J.A.

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 27 avril 2015 Lecture : 9 minutes.

André Mba Obame s’est éteint le 12 avril à Yaoundé, au Cameroun, emportant avec lui ses secrets. Et Dieu sait si cet ancien ministre de l’Intérieur âgé de 57 ans en avait… Le mystère planera toujours sur les coulisses de son retour au Gabon en 1984 et sur l’ascension fulgurante qui l’a propulsé la même année, alors qu’il était âgé de seulement 27 ans, au cabinet du président Omar Bongo Ondimba.

On n’en saura pas davantage sur les coups fumeux orchestrés vingt-cinq années durant dans l’ombre du parrain de la Françafrique. Silence, enfin, sur l’étendue de ses réseaux qui allaient bien au-delà du monde politique, sur son influence au sein de l’appareil sécuritaire, sur ses accointances avec les dirigeants syndicaux et sur ses amitiés dans les milieux ecclésiastiques.

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Des dernières années d’André Mba Obame, on retiendra surtout cette envie de vivre, cette rage de vaincre la maladie et cette course éperdue contre la mort, qui l’a mené de Pretoria à Paris, en passant par Tunis, Niamey et Yaoundé. Mba Obame a arpenté la planète en quête d’une panacée miracle.

Il a beaucoup fréquenté les hôpitaux de Pretoria – le président sud-africain, Jacob Zuma, était un ami qui, avant même qu’il tombe malade, n’avait jamais hésité à mettre à sa disposition un avion de la flotte présidentielle. Les deux hommes avaient fait connaissance du temps de l’apartheid. En tant que patron des services de renseignements de l’ANC (le Congrès national africain, aujourd’hui au pouvoir), Zuma était notamment chargé de la collecte de fonds et était un visiteur régulier du Palais du bord de mer.

« Officier traitant »

Mba Obame était son « officier traitant ». Le Gabonais a été opéré dans un hôpital de Pretoria en 2012, mais son état n’avait cessé de se dégrader. Il lui avait fallu se résoudre à l’évidence : les chirurgiens sud-africains avaient échoué à soigner cette satanée hernie discale, dite « paralysante », et ce constat confortait le malade dans sa certitude d’avoir été en réalité victime « d’un coup de fusil nocturne », ce sortilège si profondément ancré dans la mystique gabonaise.

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Face à l’impuissance des médecins, le recours aux traitements alternatifs devint légitime aux yeux du patient et de son entourage. Pour cet homme issu de la cour pléthorique d’Omar Bongo Ondimba, un univers où s’entrelaçaient politique, religion, ésotérisme et cultes animistes, le pas a été vite franchi. Pour conjurer le mal, des notables fangs (l’ethnie d’origine de Mba Obame) ont fait pratiquer toutes sortes de rites venus du fond des âges. En vain.Les prières des prêtres exorcistes n’ont pas non plus été exaucées.

Avec Zacharie Myboto, Paul-Marie Gondjout et Jean Eyéghé Ndong. en mai 2011, à Libreville. © Wils Yanick Maniengui/AFP

Avec Zacharie Myboto, Paul-Marie Gondjout et Jean Eyéghé Ndong. en mai 2011, à Libreville. © Wils Yanick Maniengui/AFP

 

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Écrans radars

À partir de 2013, la rumeur d’un empoisonnement commandité par des ennemis politiques commence à circuler. Peu après, l’opposant disparaît des écrans radars, contraint de se mettre en retrait de la vie publique, séjournant souvent loin de son pays, coupé de ses amis et même presque de sa famille. Mba Obame victime d’un poison ?

« Faux, certifie l’un de ses anciens lieutenants, qui a souhaité garder l’anonymat. Sa sciatique avait été diagnostiquée en 1994. Mais la politique lui laissait trop peu de temps pour se soigner, au point de l’obliger à différer des rendez-vous médicaux importants. À une époque, il avait renoncé à traiter le mal à la racine et privilégiait les antalgiques pour calmer ses atroces douleurs lombaires. »

La même source nie que Mba Obame ait été victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC) en 2013 – l’intéressé lui-même disait que les examens médicaux qu’il avait subis n’avaient pas trouvé trace d’un AVC et qu’il fallait chercher ailleurs la cause de ses difficultés d’élocution et de sa paralysie partielle. Et de suggérer que la hernie avait peut-être fini par générer des cellules cancéreuses.

« Il n’en est rien », dément catégoriquement la famille, sans en dire davantage sur le fond d’un dossier médical dont elle ne semble pas connaître les détails. La capitale camerounaise, où Mba Obame était arrivé le 10 mars, n’était qu’une escale. Le 14 avril, il devait à nouveau s’envoler vers une clinique spécialisée d’Afrique du Sud. Yaoundé restera l’ultime étape du chemin de croix que le sort a imposé à l’ancien séminariste.

>> À lire aussi : Gabon : Mba Obame assure avoir été victime « d’attaques mystiques »

Fin de parcours, donc, pour cet homme de pouvoir qui suscitait chez ses compatriotes un sentiment ambivalent, mêlé d’affection et de crainte. Ses partisans vantaient ses talents d’homme politique avisé et de stratège. Avec lui, la politique était une partie de billard à trois bandes dans laquelle il avait toujours un coup d’avance sur ses adversaires.

Vitupérant son génie malfaisant, ses ennemis voyaient sa main derrière toutes sortes d’intrigues et de manoeuvres retorses.

Pour ses détracteurs, son nom était associé à une pratique de la politique pervertie par un cynisme sans limite. Vitupérant son génie malfaisant, ses ennemis voyaient sa main derrière toutes sortes d’intrigues et de manoeuvres retorses.

Titillés

Ambivalente aussi fut sa relation avec son « frère » Ali Bongo Ondimba, dont il fut le témoin du mariage contracté avec Sylvia Valentin. Leur amitié fut un long compagnonnage politique sous l’oeil attentif du « Vieux », pas mécontent de voir les caciques du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) titillés par les jeunes loups du courant des rénovateurs.

Un tandem qui a fonctionné avant d’éclater sous l’effet du choc des ambitions rivales à la disparition d’Omar Bongo, en 2009. Les « frères » ont fini par s’affronter lors d’une élection présidentielle sous tension. Les deux hommes s’invectivent, mais le lien unissant les familles n’est pas rompu. Le soir de l’annonce des résultats, Pascaline Bongo Ondimba, la soeur de celui qui n’est pas encore chef de l’État, appelle « André » au téléphone. « Si ton frère gagne, je te demande de l’accepter », lui dit-elle.

La brouille embarrasse leurs amis communs, à l’instar de l’Ivoirien Laurent Gbagbo. « Ali » et « André » l’ont connu à l’époque où le fondateur du Front patriotique ivoirien (FPI) était un opposant régulièrement invité au palais, et tous deux sont proches de lui. Jusqu’à ce que Mba Obame considère qu’en accueillant Ali Bongo Ondimba pour une visite officielle, alors qu’à Libreville la contestation électorale n’est pas retombée, Gbagbo a choisi.

L’Ivoirien aggrava son cas lorsqu’il laissa entendre que Bongo père lui avait confié son souhait de faire d’Ali son successeur… À la suite de cette présidentielle très disputée, la classe politique a elle aussi dû choisir son camp. On est catalogué « émergent » lorsqu’on appartient au large spectre des partis ou des personnalités qui soutiennent la politique du chef de l’État. Entre eux et les partisans de Mba Obame, le dialogue n’a jamais été possible, et les tentatives de conciliation n’ont pas abouti à l’apaisement souhaité.

De justesse

Survenue à quelques mois de la présidentielle de 2016 et dans un contexte de tensions politiques et sociales dues, pour une large part, à la chute des recettes pétrolières de l’État, la disparition de Mba Obame n’est paradoxalement pas une bonne nouvelle pour le pouvoir. D’abord parce qu’au soir de son décès des violences ont éclaté à Libreville (à Oyem, la ville carrefour du Nord, des heurts ont été évités de justesse) et que le retour de sa dépouille à Libreville, mi-avril, faisait craindre des troubles.

L’ancien ministre Jean Ping parviendra-t-il à prendre la tête de l’opposition ?

Surtout, les autorités avaient fini par s’accommoder de cet opposant, certes médiatique, mais tellement absent qu’il n’était plus considéré comme une véritable menace. Mais c’est au sein de l’opposition que ce décès provoquera une redistribution des cartes potentiellement explosive. La question du leadership va devoir être tranchée sans attendre.

Lors du congrès qui s’est tenu en décembre dernier à Paris, Jean Ping, l’ancien président de la Commission de l’Union africaine, s’est posé en candidat par défaut à la prochaine présidentielle, dans le cas où Mba Obame serait indisponible. Cependant, son projet de conquête du leadership de l’opposition est une course d’obstacles. La première difficulté viendra de l’inévitable bataille des ego au sein de l’Union nationale (UN), le parti dont Mba Obame était le candidat « naturel ».

Tirant les leçons de son échec, en 2009, Zacharie Myboto, le président du parti, avait promis de ne pas jeter une nouvelle fois ses forces dans la bataille. Il pousse néanmoins son gendre, Paul-Marie Gondjout, à se lancer. Vice-président de l’UN, Casimir Oyé Mba (qui avait déjà dû renoncer à se présenter en 2009 pour laisser le champ libre à Mba Obame) n’est pas non plus un partisan enthousiaste d’une OPA de Jean Ping sur l’UN – une formation à laquelle Ping n’a d’ailleurs jamais pris sa carte.

Les fidèles du disparu, très virulents, le considèrent même comme un usurpateur, et ils sont résolus à lui faire barrage. Mike Jocktane, le directeur de campagne de Mba Obame en 2009, exclut ainsi de laisser Ping « capter l’héritage » sans rien faire. Ses soutiens, Ping les compte parmi les souverainistes, un courant issu de l’UN dont il s’est rapproché en 2014, à l’occasion de son ralliement à l’opposition (un courant, du reste, en perte de vitesse depuis le retour à la légalité de l’UN, en février).

Ping peut également compter sur l’autre vice-président du parti, Jean Eyéghé Ndong, qui le considère comme la meilleure chance pour les partisans de l’alternance de l’emporter en 2016. Au bout du compte, relève un bon connaisseur de la situation, « l’intéressé devra lui-même clarifier sa démarche. S’il veut se présenter en candidat indépendant au-dessus des partis, qu’il le dise ».

Et s’il souhaite prendre sa carte de l’UN, ce n’est pas gagné. « Je ne vois pas au nom de quoi il faudrait dérouler le tapis rouge à un militant à peine inscrit et tout de suite candidat », tacle Jocktane. En revanche, si Ping jette son dévolu sur une autre formation, il devra en passer par des primaires au sein du Front uni de l’opposition pour l’alternance (FUOPA), une coalition de partis apparue récemment. Et la tâche ne sera pas aisée… Non, vraiment, la disparition de Mba Obame ne profite à personne.

Les Fangs vont devoir se chercher un nouveau chef

André Mba Obame décédé, les Fangs – un tiers de la population – vont devoir se trouver un autre leader. Ainsi fonctionne la redistribution « géopo­litique » telle que l’a conçue Omar Bongo Ondimba. Le fauteuil est donc vacant et pourrait le rester : chez cette ethnie frondeuse, qui vote généralement pour l’opposition et qui se dit marginalisée par le pouvoir, la légitimité ne se décrète pas. Le chef doit montrer des qualités de capitaine à poigne. En 2009, Mba Obame arracha le sceptre du commandeur destiné à Casimir Oyé Mba. Sous pression, ce dernier finit par se retirer de la course la veille du scrutin. C’est ainsi que l’ex-ministre de l’Intérieur obtint un vote massif des Fangs. Qui peut lui succéder ? On soupçonne Raymond Ndong Sima de mijoter une candidature pour 2016. L’ancien Premier ministre vient d’exposer ses vues très critiques envers un pouvoir auquel il a pourtant appartenu dans un livre paru début mars (Quel renouveau pour le Gabon ?), mais se tient encore à distance de l’opposition. Sauf que cet économiste à la rigueur reconnue n’est pas un rassembleur. Tout le contraire du député René Ndémezo’o Obiang, qui a récemment démissionné du parti au pouvoir et rejoint l’Union nationale (UN). Mais le « patron » politique de Bitam est trop identifié au Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) pour être crédible en leader de l’opposition. Quant à Jean Éyeghé Ndong, son incapacité à conquérir la mairie de Libreville en 2013 (élection à laquelle il avait participé contre l’avis de l’UN) a nui à son image. D’autres, enfin, tels Jean-Christophe Owono Nguéma, le sénateur d’Oyem, ou Vincent Essono Mengue, le maire de la ville, sont également cités… Cela fait, au final, beaucoup de « candidats », mais pas de grand favori.

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