Militaro-islamisme

Les semaines se suivent et ne se ressemblent pas ! La semaine dernière, nous nous sommes félicités de cette belle « alternance à la nigériane » : début avril, le plus grand pays africain a fait un grand pas en avant pour rejoindre le camp des démocraties. Il me faut, cette semaine, avec regret, exposer le cas d’un autre grand pays africain qui, depuis son indépendance, il y a près de soixante ans, a été mal gouverné principalement par des militaires islamistes.

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 23 avril 2015 Lecture : 4 minutes.

Le Soudan a "réélu" cette semaine, haut la main, mais à l’issue d’une grossière farce électorale – cautionnée par l’Union africaine et la Ligue arabe ! -, son général-président islamiste, Omar El-Béchir, arrivé au pouvoir il y a plus d’un quart de siècle à la faveur d’un coup d’État.

Mon confrère, Christophe Ayad, excellent connaisseur du Soudan, le décrit ainsi : "On sous-estime beaucoup trop le président El-Béchir, tout comme le Soudan en général, ce pays trop noir pour être arabe et trop arabe pour être africain. On ne sait jamais où le ranger et, à la fin, on finit par l’oublier. Omar El-Béchir, lui, est trop islamiste pour être un simple dictateur militaire, et trop galonné pour se laisser renverser comme un Frère musulman égyptien.Il n’a pas inventé le militaro-islamisme ou l’islamo-militarisme, mais l’a porté à son pinacle. S’il existe un sas de passage entre l’islam politique des Frères musulmans et le jihadisme armé de la galaxie Al-Qaïda, c’est au Soudan qu’il se trouve. Depuis son putsch du 30 juin 1989, Omar El-Béchir règne sans partage sur le Soudan, ou plutôt ce qu’il en reste. Il a un talent inégalé pour concilier les contraires. Il a réussi le tour de force d’être le protégé, tout à la fois, de l’Iran et de l’Arabie saoudite, pourtant des ennemis jurés. De même qu’il est en aussi bons termes avec l’Arabie saoudite qu’avec le Qatar, pourtant à couteaux tirés. Même l’Égypte du maréchal Sissi lui fait les yeux doux." 

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Le Soudan de ce général islamiste retors est en continuelle stagnation économique et en guerre civile quasi permanente. La partie sud du pays a fait sécession en 2011, et le Darfour, dans l’Ouest, est en ébullition depuis plus d’une décennie. Malgré un sous-sol qui regorge de richesses, le Soudan, peuplé de plus de 40 millions d’habitants et qui s’étend sur près de 2 millions de km², a une croissance économique inexistante ou faible, rongée de surcroît par une inflation forte.

L’espérance de vie est de 60 ans, et le revenu annuel par habitant est de l’ordre de 1 500 dollars ; le Soudan pointe à la 166e place dans l’indice de développement humain, en queue de peloton. Qui libérera ce malheureux pays de l’emprise de la dictature des militaires islamistes ?

>>> À lire aussi : Présidentielle au Soudan : pourquoi Omar el-Béchir va être réélu

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Naissance d’un "nouveau grand"

Mais quittons l’Afrique et interrogeons-nous sur l’état du reste du monde où se confirme une tendance apparue il y a près d’un an : les consommateurs-importateurs d’énergie – la plupart d’entre nous – continueront à bénéficier de l’énorme avantage que représente la baisse des prix des hydrocarbures, tandis qu’en pâtiront de plus en plus la vingtaine de pays grands exportateurs de pétrole et/ou de gaz qui tirent de ce poste d’exportation un pourcentage trop élevé de leurs revenus.

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Le FMI prévoit, en conséquence, une consolidation et un renforcement de la croissance mondiale : les États-Unis, le Japon et l’Europe se porteront mieux, tandis que la Chine, elle, battra de l’aile. 

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Sur ce front de l’économie mondiale, c’est un retournement préoccupant : la Chine a entamé un cycle de croissance annuelle moins élevée qui l’a ramenée du 10 % qu’elle a connu au long de ses "trente glorieuses" à un 5 % vers lequel elle tend inexorablement.

En 2015, elle sera déjà en dessous de 7 %.La population en âge de travailler décroît en même temps que les capitaux disponibles et que les progrès de productivité : sous les effets conjugués de ces trois facteurs, la Chine va cesser d’être le moteur principal de l’économie mondiale. On prie pour que ce ralentissement chinois qui retentit sur le reste du monde soit maîtrisé.

C’est l’Inde, autre grand asiatique, qui va prendre le relais : son économie s’est mise à croître plus vite pour dépasser les 7 % par an et tendre lentement vers l’ancien taux chinois de 10 %. Il s’agit là, on le voit, du début d’un renversement d’envergure mondiale. 

Un dictateur ne sait pas où s’arrêter…

Vient de paraître aux États-Unis un livre intitulé The Devils’ Alliance ("L’Alliance des diables") qui révèle les dessous du pacte entre Hitler et Staline, signé le 23 août 1939, veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale de 1939-1945. Son auteur est l’historien Roger Moorhouse, et j’y ai relevé deux scènes que je me fais un plaisir de vous relater :

En décembre 1941, Anthony Eden, ministre britannique des Affaires étrangères, est à Moscou, envoyé par Winston Churchill pour nouer une relation de préalliance avec Staline. Le 21 juin, Hitler avait envahi l’URSS de son "allié" Staline et les armées allemandes étaient arrivées aux portes de Moscou. Depuis le Kremlin, on pouvait entendre la canonnade.

Staline reçoit Eden, à qui il déclare : Le problème de Hitler est qu’il ne sait pas où s’arrêter.

Eden : Il n’est pas le seul. Qui sait où s’arrêter ?

Staline : Moi, je saurai… 

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Mais le dictateur communiste ne saura pas non plus où s’arrêter, comme nous le révèle cette deuxième scène rapportée elle aussi par Roger Moorhouse : En 1944, les armées de Staline avaient refoulé la Wehrmacht de Hitler, reconquis l’Europe centrale, et étaient sur le point d’envahir l’Allemagne : la victoire sur Hitler était en vue.

Churchill rend visite à de Gaulle, qui venait de s’installer au pouvoir à Paris. Ce dernier reproche aux Américains et aux Britanniques d’avoir laissé l’URSS avaler toute l’Europe centrale et l’Europe de l’Est.

"- Oui, répond Churchill. Mais l’URSS est en ce moment un loup qui a faim… Après le repas, il lui faudra digérer… Attendons la digestion."

L’Histoire montrera que l’URSS ne parviendra jamais à digérer les nombreux pays qu’elle avait avalés en 1944 et 1945 : Staline, à son tour, n’aura pas su maîtriser son appétit

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