Baisers amers d’Istanbul

Istanbul. Printemps 2015. J’ai vu la ville aux mille mosquées penchée sur le Bosphore au milieu de ses splendeurs ottomanes.

Fawzia Zouria

Publié le 17 avril 2015 Lecture : 2 minutes.

J’ai vu son peuple jeune, qui vit à cent à l’heure, riche de surcroît. Mais j’ai aussi vu une autre population dont le malheur m’a fendu le coeur. Des centaines de Syriens errent sans travail ni logis. Ils mendient dans les rues, aux carrefours, sur la fameuse place Taksim.

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Des gamins déguenillés, des petites filles au regard perdu – dont certaines sont d’une beauté à couper le souffle -, des mamans qui allaitent sur le trottoir, des vieux affalés le long de l’avenue Istiqlal, l’équivalent des Champs-Élysées parisiens. J’avais oublié que la guerre était à deux pas.

Il n’y a pas à dire, la physionomie d’Istanbul a changé. Les Turcs ont vu arriver nombre de réfugiés depuis l’invasion du Koweït jusqu’à la guerre du Golfe en passant par la guerre civile en Bosnie-Herzégovine. Ils concèdent qu’ils ont l’habitude d’accueillir des immigrés pauvres, tels que les Roumains. Mais si ces derniers tentent de grappiller quelques livres en jouant d’un instrument de musique ou en faisant quelques figures acrobatiques devant les badauds, les nouveaux arrivants syriens n’ont d’autre recours que la mendicité.

Un spectacle de misère qui désarçonne la population de souche. Les Stambouliotes interrogés soupirent, s’indignent, en effet, mais ils sont rarement dans le rejet raciste, à part quelques réflexions de chauffeurs de taxi excédés de voir des petites mains se tendre à tous les feux rouges : "Vous savez, les gueules noires, on en a déjà vu !" D’aucuns reconnaissent toutefois que la Turquie reste la seule porte de l’Europe accessible pour ces réfugiés.

Que leur acceptation soit le fait d’une stratégie politique, en vue du remplissage des urnes, ou d’une réelle volonté de venir en aide à d’autres musulmans ne change rien à l’affaire.

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Il aura fallu que je rencontre une Maghrébine pour entendre le discours le plus dur face aux arrivants syriens et une franche compassion pour le sort des… Turcs. Cette dame m’a lancé : "C’est un peu comme vos immigrés libyens, sauf que les nôtres sont un peu plus nantis."

Avant de pronostiquer : "Les Turcs ne savent pas ce qu’ils risquent avec cette déferlante arabe : ce sera l’Empire ottoman à l’envers ! Ils n’ont pas lu Ibn Khaldoun, lequel disait que lorsque les villes s’arabisent, elles se détruisent…" Et elle a pouffé de rire. J

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e me suis éloignée en repensant pour ma part à un voyage que j’avais fait en Syrie il y a quelques années. J’avais alors été frappée par la luxuriance de ce pays, par le faste de Damas et la majesté d’Alep, par les bazars opulents, les cloches des églises qui sonnaient en alternance avec l’appel à la prière du muezzin, les ruelles où se bousculaient les touristes dans les pas du Christ sur son chemin de croix.

Et j’ai pensé au fond de moi : que dire quand les révolutions font de vos enfants des réfugiés et des mendiants ?

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