Emmanuel Macron, le coup droit de Hollande

Il est jeune, brillant et séducteur. Jusqu’ici, tout lui réussissait. L’incapacité du ministre de l’Économie à amadouer les « frondeurs » socialistes et à faire entériner par un vote la loi d’inspiration sociale-démocrate qui porte son nom est son premier échec.

Emmanuel Macron défend sa loi à l’Assemblée nationale, le 18 février. © JACQUES DEMARTHON / AFP

Emmanuel Macron défend sa loi à l’Assemblée nationale, le 18 février. © JACQUES DEMARTHON / AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 3 mars 2015 Lecture : 6 minutes.

Il espérait tant, Emmanuel Macron, que son ouverture d’esprit et son brio réussiraient à convaincre les députés de la droite, du centre et de la gauche du Parti socialiste (PS) que "sa" loi de modernisation de l’économie était bonne pour la France ! Hélas, avec Manuel Valls, le Premier ministre, ils ont dû se résigner, tant le résultat tenait à un fil, à passer en force en utilisant l’article 49-3, qui permet d’éviter un vote. Inutiles, les cent onze heures d’un débat parlementaire fructueux et de qualité ! Vaines, les nombreuses concessions faites aux frondeurs et aux opposants !

Le 17 février, blême de déception, le ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique ne pouvait, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, que dénoncer l’union de tous les tenants du conservatisme : "Ceux qui ne veulent pas changer le pays, ceux qui préfèrent dire que tout va bien, ceux qui préfèrent dire qu’on n’en fait pas assez…" Pour la première fois de son éblouissant parcours commencé le 21 décembre 1977 à Amiens, dans le nord de la France, "l’extraterrestre" – que certains préfèrent surnommer le "chouchou des élites", le "Mozart de la finance" ou le "joker du président" – s’est cassé les dents.

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Un palmarès impressionnant

Rien n’avait jusqu’ici résisté à ce fils de médecins auquel sa grand-mère transmit son penchant pour la gauche. Éduqué chez les jésuites dans sa ville natale, puis au lycée Henri-IV, à Paris, il décroche à peu près toutes les peaux d’âne que la République offre aux plus méritants de ses fils : lauréat du concours général de français, bac S avec mention très bien, DEA de philosophie à Nanterre (autour de Hegel), assistant du philosophe Paul Ricoeur, diplômé de Sciences-Po…

En 2004, il sort cinquième de l’École nationale d’administration (ENA). Son stage de fin d’études, il ne le fait pas à Bruxelles ou à Washington, mais au Nigeria. Parce qu’il veut découvrir de nouveaux horizons. Son seul échec ? Il ne réussit pas à intégrer l’École normale supérieure. Mais, à part ça, quel palmarès !

Troisième prix de piano du conservatoire d’Amiens, il est aussi membre du comité éditorial de la revue Esprit, membre du Parti socialiste, membre de la Fondation Jean-Jaurès, membre des "Gracques", un groupe de hauts fonctionnaires attachés à la rénovation de la gauche, et, last but not least, rapporteur adjoint de la Commission pour la libération de la croissance française, que pilote Jacques Attali. On l’aura compris : très tôt, Emmanuel Macron tisse sa toile.

Son naturel et sa gentillesse – il déteste les conflits – lui valent les suffrages unanimes de Michel Rocard, de Jean-Pierre Jouyet, d’Alain Minc ou d’Angela Merkel.

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Il ne reste pas longtemps inspecteur des finances. En 2008, il passe dans le privé, et pas n’importe lequel : la banque d’affaires Rothschild. Il y brille, comme d’habitude, de mille feux. Aujourd’hui encore, François Henrot, son ancien patron, ne tarit pas d’éloges à son endroit : "S’il était resté dans le métier, il aurait été le meilleur en France, sans doute même en Europe." En aidant Nestlé à racheter une filiale de Pfizer, il devient millionnaire.

L’ascension s’accélère. Refusant de rejoindre l’écurie de Dominique Strauss-Kahn, il se lie avec François Hollande, qui juge qu’avec lui "ça va vite, c’est fin et c’est simple". Sa fidélité et ses talents lui valent en 2012 de devenir secrétaire général adjoint de l’Élysée, où il est payé dix fois moins que chez Rothschild – il n’aime l’argent que pour la liberté qu’il donne. Deux ans plus tard, il succède au trublion Arnaud Montebourg au ministère de l’Économie.

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Des idées plutôt souples

Son naturel et sa gentillesse – il déteste les conflits – lui valent les suffrages unanimes de Michel Rocard, de Jean-Pierre Jouyet, d’Alain Minc ou d’Angela Merkel, avec laquelle il lui arrive de parler de tango argentin, en allemand bien sûr. Même des adversaires socialistes comme Emmanuel Maurel, le leader des "frondeurs", le trouvent "charmant… mais de droite".

Ses idées ? Plutôt souples. C’est un vrai social-démocrate, qui croit aux marchés, à la concurrence et au respect des grands équilibres économiques (budgétaires ou monétaires). Il n’est pas hostile à une forme de redistribution, mais seulement si la situation le permet. Il a le souci des plus vulnérables, et, de concert avec Pascal Canfin, le très "vert" ministre du Développement, il a plaidé pour qu’une partie de la taxe sur les transactions financières soit affectée à l’aide aux pays pauvres. Mais, parallèlement, il a été le grand consolateur des patrons, qui défilaient dans son bureau pour se plaindre de la politique antientreprise menée, selon eux, par les premiers gouvernements Hollande. Tous en ressortaient sous le charme et persuadés d’avoir été compris.

Avec tant de cordes à son arc, comment expliquer qu’Emmanuel Macron ne soit pas parvenu à mettre les parlementaires dans sa poche ? Pour au moins trois raisons.

1. Il n’a pas réussi à corriger l’image de libéral qui lui colle à la peau et lui aliène a priori la gauche du PS. Au contraire, en traitant d’"illettrées" les ouvrières des abattoirs GAD en faillite et en appelant les jeunes Français à "avoir envie de devenir milliardaires", il s’est enfermé – ce qu’il déteste – dans une case : celle de l’élite et de la finance honnies par nombre de ses camarades de parti.

2. Il incarne à lui seul le virage sur l’aile négocié par Hollande, en janvier 2014, en faveur des entreprises. Même si le "petit Macron" a plaidé efficacement pour que Bruxelles assouplisse ses exigences budgétaires à l’égard de la France, il est jugé partisan de l’austérité. Même s’il a voulu que les travailleurs du dimanche reçoivent enfin des compensations financières, il est soupçonné de vouloir mettre à bas la protection des salariés parce qu’il est parti en guerre contre les statuts, les monopoles et les avantages indus. Pour les frondeurs du PS, il est la preuve vivante de la trahison du candidat Hollande, qui désignait naguère "la finance" comme son seul ennemi.

3. Il n’est pas vraiment décidé à se commettre avec le monde partisan, où les amitiés se fanent aussi vite que les idées. Les élus ressentent comme une posture de dédain à leur égard le fait qu’il ne se soit jamais soumis à l’épreuve du suffrage universel ou qu’il s’abstienne depuis 2009 de payer sa cotisation au PS. En avril 2010, dans Rue Saint-Guillaume, la revue de l’ENA, Macron avait clairement annoncé la couleur : "Je ne suis pas prêt à faire les concessions qu’imposent les partis, c’est-à-dire à m’excuser d’être un jeune mâle diplômé, à m’excuser d’avoir passé des concours de la République qui sont ouverts à tout le monde." Pas sûr que celui qui incarne le "coup droit", le punch d’un Hollande devenu sur le tard combatif, supporte d’avaler les médiocres couleuvres qui sont l’inévitable lot de la vie politique.


Le Premie ministre, Manuel Valls (à g.), échange une poignée de main
avec Emmanuel Macron, après l’adoption de sa loi. © MARTIN BUREAU / AFP

La loi Macron

Qualifié par l’écologiste Cécile Duflot de "grand bond en arrière" et jugé "timoré" par la droite, le projet de loi dite "Macron" est un texte fourre-tout destiné, selon son concepteur, à "lever les verrous" dans une France en panne d’énergie et de projets, à renforcer la concurrence pour faire baisser les prix et améliorer le pouvoir d’achat des Français. Ses principales dispositions sont :

L’ouverture des magasins le dimanche : Les commerces auront le droit d’ouvrir douze dimanches par an au lieu de cinq, mais en échange d’une compensation financière pour les salariés. Ils pourront ouvrir tous les dimanches dans les zones touristiques (exemple : les Champs-Élysées) ou les gares.

Les autocars pas chers : Pour battre en brèche le monopole des trains régionaux de la SNCF et réduire les coûts de transport, les autocars seront autorisés à transporter des passagers entre les grandes villes.

Les tarifs des notaires : Souvent décriés pour leur cherté, les tarifs des actes notariés seront clarifiés.

Privatisations : Une partie du capital et de la gestion des aéroports de Nice et de Lyon sera confiée au secteur privé.

Réforme des prud’hommes : La procédure de conciliation devant le tribunal des prud’hommes sera privilégiée afin de réduire les délais pour le plaignant.

Licenciements collectifs : Les critères de licenciement seront décidés au niveau local et non au niveau de la branche professionnelle.

Permis de conduire : Le nombre minimal d’heures de conduite avant l’examen sera supprimé. Le délai entre deux présentations à l’examen sera réduit à quarante-cinq jours.

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