Algérie : Bouteflika et les femmes

Célibataire endurci, le chef de l’État fait presque figure d’exception en Afrique et dans le monde arabe. De quoi alimenter depuis toujours rumeurs et fantasmes. Cette enquête est parue dans « Jeune Afrique » n°2824 (du 22 au 28 février 2015). Cette édition de notre hebdomadaire n’a pas reçu l’autorisation de mise en vente de la part du ministère algérien de la Communication et n’a donc pas encore été diffusée en Algérie.

Abdelaziz Bouteflika lors de la journée de la femme, le 8 mars 2008, à Alger. © Zohra Bensemra / Reuters

Abdelaziz Bouteflika lors de la journée de la femme, le 8 mars 2008, à Alger. © Zohra Bensemra / Reuters

FARID-ALILAT_2024

Publié le 3 mars 2015 Lecture : 9 minutes.

Au crépuscule de sa vie, l’ancien président algérien Ahmed Ben Bella, décédé en avril 2012, reçoit dans sa villa d’Alger notre collaborateur Renaud de Rochebrune. Sous un portrait géant de sa mère, qu’il vénérait, l’ex-raïs passe à confesse. Entre autres confidences, Ben Bella se penche sur ses liens avec Abdelaziz Bouteflika, qui avait pris part au coup d’État qui le renversa, le 19 juin 1965, avant de devenir, des années plus tard, un ami généreux et protecteur. Évoquant alors le célibat de l’actuel chef de l’État, Ben Bella se désolait qu’"un homme de son âge ne soit pas encore marié". Mais, juge-t-il avec le sourire, "il n’est jamais trop tard pour bien faire".

Il est sans doute peu probable que le président algérien, 78 ans en mars, handicapé par l’accident vasculaire cérébral d’avril 2013 qui l’oblige à diriger le pays dans un fauteuil roulant, suive le conseil de son vieil ami et convole en justes noces. À l’inverse de ses pairs et de ses prédécesseurs arabes et africains – à l’exception du sultan Qabous -, Bouteflika ne s’est jamais affiché avec femme et enfants. Et a exercé sa présidence en célibataire. Un cas unique en Afrique du Nord et rarissime au sud du Sahara.

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Le célibat, encore plus tabou que le bulletin de santé

Le célibat du président est encore plus tabou que son bulletin de santé. Comme c’est le cas pour son véritable lieu de naissance, la ville marocaine d’Oujda, où il a vu le jour en mars 1937, sa biographie officielle ne mentionne pas son statut marital. Depuis son accession au pouvoir suprême, en 1999, cet aspect de sa vie privée n’a été évoqué qu’une fois. C’était en février 2000, lors d’un entretien à la chaîne libanaise LBC. Plutôt effrontée, la journaliste pose la question qui fâche : "Le chef de l’État algérien est-il marié ?" "Je ne suis pas marié", a-t-il sèchement répondu. À l’époque, il ne l’était peut-être plus. Mais dix ans plus tôt, il en allait tout autrement.

De retour au pays en 1989 après sa fameuse "traversée du désert" entre Paris, Genève et Dubaï, l’ex-ministre des Affaires étrangères avait en effet fini, avec la bénédiction de sa mère, Mansouriah Ghezlaoui (décédée en juillet 2009), par mettre un terme à son long célibat. Dans un pays de tradition et de culture musulmanes, où la famille est sacrée, il ne fait pas bon pour un haut responsable de rester vieux garçon.

Bouteflika contracte un mariage religieux avec Amel Triki, née en 1968, originaire de Tlemcen et fille de Yahia Triki, ex-haut cadre au ministère des Affaires étrangères. Selon plusieurs témoignages, Bouteflika a fait la connaissance de la jeune femme durant l’un de ses fréquents séjours au Caire, où le père Triki était en poste comme diplomate. Après une cour assidue, Bouteflika finit par obtenir la main de la jeune fille, alors étudiante en médecine. Un ancien ministre, qui prenait souvent le thé avec elle, se souvient d’une belle et grande femme intelligente, cultivée et raffinée.

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Absence d’épouse : problèmes de protocole

Le "mariage" est célébré un vendredi du mois d’août 1990, au troisième étage de l’appartement familial des Bouteflika, à El-Biar, sur les hauteurs de la capitale. Fait exceptionnel pour un jour férié, un scribe de l’état civil communal a été prié de se présenter avec les documents nécessaires pour enregistrer l’union. Sont présents Bouteflika, sa mère, le père de la mariée, ainsi que des proches des deux familles. Abdelkader Dehbi, ancien maquisard et ex-conseiller à la présidence sous Boumédiène, ami intime de Bouteflika avant qu’ils ne se brouillent, est l’un des deux témoins.

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À J.A., il confie avoir été chargé par le marié de lire la Fatiha et de rédiger en arabe l’acte de mariage. Deux semaines plus tard, Dehbi sera le témoin des fiançailles de Mustapha Bouteflika – le frère médecin décédé en juillet 2010 – avec une hôtesse de l’air. Au mariage de ce dernier un mois plus tard, la famille organise une fastueuse cérémonie au Club des Pins à laquelle sont conviées plus de mille personnes. Hauts gradés, ministres, pontes du parti, notable et hommes d’affaires, le ban et l’arrière-ban de la nomenklatura sont là. Grand maître de cérémonie, le dauphin putatif de Boumédiène, banni du pouvoir à la mort de ce dernier et condamné en 1983 par la Cour des comptes pour détournement de fonds, savoure sa revanche.

Bouteflika a-t-il vécu avec sa conjointe ? A-t-elle emménagé dans l’appartement d’El-Biar qu’il occupait avant de s’installer, à l’été 2013, dans la grande propriété de Zéralda, qui lui sert de résidence et de lieu de convalescence ? Abdelkader Dehbi, qui lui rendait régulièrement visite, raconte encore qu’il n’y a jamais remarqué de présence féminine. Lorsqu’il interrogeait le propriétaire sur l’absence de sa moitié, celui-ci répondait d’une manière évasive. "Elle est chez ses parents. Le temps viendra où je te la présenterai." Le cas de cette dame demeure une énigme qui alimente encore la chronique du sérail.

On ignore si le président a des enfants. En revanche, il ne manque pas de se montrer, devant les caméras de télévision, avec ses trois neveux à chaque fois qu’il se rend dans un bureau de vote. Selon nos informations, le couple a divorcé et la femme a refait sa vie, qu’elle partage désormais entre l’Égypte et la France. Les mauvaises langues prétendent qu’elle continue de bénéficier d’égards particuliers de la part de l’ambassade d’Algérie à Paris, où elle aurait le statut de conseillère diplomatique.

Au cours du premier mandat de Bouteflika (1999-2004), l’absence d’une première dame a parfois posé quelques problèmes de protocole. Durant la visite de Jacques Chirac en Algérie en mars 2003, il a fallu choisir parmi la poignée de femmes que comptait le gouvernement pour accompagner l’épouse du président français, Bernadette Chirac. Ce rôle a finalement été dévolu à la ministre déléguée à la Condition féminine. Aujourd’hui, ces casse-tête protocolaires ne se posent plus. Bouteflika ne voyage plus à l’étranger, hormis pour des raisons de santé. Quant à l’agenda présidentiel, il se résume souvent aux audiences tenues dans sa résidence à Zéralda.

Des dossiers sur les moeurs de hauts responsables de l’État

Il est de notoriété publique que dans une vie antérieure, Abdelaziz Bouteflika, aîné d’une fratrie de quatre garçons et deux filles, ne menait guère une existence monastique. Nommé ministre à 26 ans sous Ben Bella, cet homme aux yeux bleus qui arborait de grosses rouflaquettes, client de grands couturiers parisiens et amateur de cigares cubains, ne dédaignait pas les mondanités.

Dans les alcôves du pouvoir algérien, on racontait que le fringuant ministre organisait en compagnie de certains collègues du gouvernement des soirées dans les villas huppées de la capitale ou dans les stations balnéaires du littoral. Un peu comme ces fêtes décrites dans Les Folles Nuits d’Alger, ouvrage attribué à l’épouse scandinave d’un ministre de Boumédiène et présenté comme un récit sulfureux de la dolce vita version sérail. On disait même que Kasdi Merbah, patron de la sécurité militaire algérienne, ancêtre du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), compilait les dossiers sur les moeurs de hauts responsables de l’État…

Ce train de vie n’avait pas échappé aux responsables français. Dans le tome II de ses Mémoires, Le Pouvoir et la Vie (1991), Valéry Giscard d’Estaing, qui dressait au passage un portrait élogieux de Bouteflika, confiait que ses escapades parisiennes n’étaient pas un secret pour les renseignements de l’Hexagone. "Il est actif, adroit, entreprenant, écrivait Giscard. Il disparaît parfois pendant plusieurs semaines, sans qu’on retrouve sa trace. Il lui arrive de venir faire des visites incognito à Paris, dont nous ne sommes pas prévenus. Il s’enferme dans l’appartement d’un grand hôtel, où se succèdent de charmantes visites." Bouteflika aimait les femmes et elles le lui rendaient bien, atteste une de ses vieilles connaissances. Longtemps, il a partagé la vie d’une professeure de médecine à qui il était très attaché, avant que leurs chemins ne se séparent. Aujourd’hui encore, cette dame continue de prendre des nouvelles du président.

Les femmes de la vie de Bouteflika : sa mère, sa soeur et Fatiha Boudiaf

Le long célibat de Bouteflika a-t-il constitué une source de tensions avec sa mère ? Probablement, rapporte Abdelkader Dehbi, qui recueillait souvent les états d’âme de son ami d’antan. Depuis la fin de son exil, trois femmes ont réellement compté dans la vie de Bouteflika. D’abord sa mère, une femme au caractère bien trempé, que le chef de l’État appelait "Yaya" ou "El Hadja" et à laquelle il vouait une affection sans bornes. Son ascendant sur son fils était tel que celui-ci la consultait pour toutes les grandes décisions, comme en 1994, quand les généraux lui proposent le pouvoir. Qu’il déclinera.

Il y a ensuite sa soeur Zhor, sage-femme de métier. Élevée au rang de conseillère à la présidence. Aux petits soins, elle veille au confort du chef de l’État, lui mitonnant notamment les petits plats qu’il affectionne. Il y a enfin Fatiha Boudiaf, veuve du président assassiné, avec laquelle Bouteflika a noué des liens privilégiés. Avant son élection en 1999, il se rendait ainsi régulièrement à la villa qui abritait le siège de la Fondation Mohamed Boudiaf, raconte un habitué des lieux.

Le jour même où Liamine Zéroual annonçait sa démission, le 11 septembre 1998, Fatiha Boudiaf appelle Bouteflika pour l’encourager à présenter sa candidature. "C’est dans un des bureaux de cette fondation que s’est déroulée, quelques semaines après ce coup de fil, la fameuse entrevue entre Bouteflika et le général Médiène [patron des services secrets] qui scellera son élection", confie un de ses anciens camarades.

On a prêté au président plusieurs conquêtes féminines, notamment une chanteuse, une chef d’entreprise ou une riche médecin qui vit entre Alger et Paris. "On raconte beaucoup de choses inexactes à propos du chef de l’État, tempère un de ses anciens ministres. S’il apprécie la compagnie des femmes, adore converser avec elles des heures au téléphone, il n’est pas ce Casanova que l’on se plaît à dépeindre. Mais cette image de séducteur et de noceur fait partie de sa légende."


Chadli et Halima Bendjedid (à g.) accueillis à l’Élysée par François
et Danielle Mitterand, le 10 novembre 1983. © M. Clément / AFP

Il était une fois des premières dames…

Ils évoquent rarement, sinon jamais leur vie privée, mais certains ne manquaient pas de s’afficher avec leurs douces moitiés. Premier président après l’indépendance, Ahmed Ben Bella ne convolera en justes noces qu’en 1972, avec la journaliste Zohra Sellami, alors qu’il était détenu dans une résidence au sud-ouest d’Alger. Militante engagée, celle qui n’a jamais été première dame prendra souvent la parole pour défendre la cause des femmes.

Connu pour son train de vie ascétique, Boumédiène a épousé l’avocate Anissa el-Mansali. Bien qu’elle n’ait pas eu de titre officiel, Anissa n’en accompagnait pas moins son mari à l’étranger ou lors des réceptions de chefs d’État en Algérie. À la mort de son époux, elle a accusé certains dirigeants d’avoir fait débrancher les appareils qui le maintenaient en vie. À ce jour, elle continue de défendre la mémoire de son mari.

Halima, épousée en secondes noces par Chadli Bendjedid, qui succède à Boumédiène en 1979, aimait, elle, les feux des projecteurs et les photos de famille. Ses compatriotes la découvrent en première dame, en compagnie de Ronald et Nancy Reagan, lors de la visite de Chadli aux États-Unis en 1985. Femme d’influence, elle faisait et défaisait les carrières de hauts cadres de l’État.

Seconde épouse de Mohamed Boudiaf, désigné à la tête de l’État en janvier 1992 et assassiné six mois plus tard, Fatiha Boudiaf s’est distinguée par sa pugnacité. Depuis 1992, elle ne cesse de réclamer la vérité sur la mort de son mari.

Le général Liamine Zéroual, président entre 1995 et 1999, était en revanche d’une absolue discrétion. Marié et père de deux enfants, il ne s’est jamais affiché avec son épouse.

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