Attention : dangers

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 26 février 2015 Lecture : 5 minutes.

J’ai la curieuse et désagréable impression que notre pauvre monde ressemble en ce moment à un avion sans pilote, alors qu’il est entré dans une zone de turbulences. Comment ne pas en être inquiet et ne pas scruter l’avenir avec la plus profonde appréhension ?

Où que vous portiez le regard, vous apercevez les signes inquiétants d’une désarticulation des structures sociopolitiques sur lesquelles était fondé l’équilibre de nos continents.

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Je sais que beaucoup d’entre vous partagent mon sentiment et s’alarment de voir l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe elle-même, qui se vantait d’être une oasis de paix, secoués par un mal nouveau porteur, sous une forme ou une autre, de déstabilisation.

Parlons-en : 

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1) L’Afrique Première puissance économique du continent et son pays le plus peuplé, le Nigeria perdra, en 2015, la moitié des revenus annuels provenant de l’exportation de ses hydrocarbures. Et le voici, depuis plusieurs semaines, frappé de plus en plus fort par la violence d’une rébellion qui, loin de se résorber, déborde sur les pays voisins l’un après l’autre : Cameroun, Niger, Tchad…

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Il en est réduit à appeler au secours, au point que l’on s’interroge : pourra-t-il, dans cinq semaines, tenir son élection présidentielle, déjà reportée ?

L’Afrique du Sud, deuxième puissance économique du continent et sa démocratie la plus flamboyante, est, elle aussi, en grave danger.

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Son économie est frappée de langueur, son Parlement n’est plus ce qu’il a été et son président, dont l’intégrité est de plus en plus gravement mise en cause, a cessé d’être respecté.

S’il se porte vers le nord du continent, notre regard s’arrête sur un immense pays au sous-sol gorgé de pétrole et de gaz, situé sur les rives de la Méditerranée : la Libye.

En 2011, il a secoué le joug d’une dictature kleptomane, mais le voici, moins de trois ans après ce qu’on a pensé être une délivrance, en état d’inquiétante désintégration. La déliquescence de l’État et de la nation est si avancée que la malheureuse Libye est en passe de devenir, à court terme et pour très longtemps, une nouvelle Somalie.

Laquelle sera, n’en doutez pas, une grave menace pour la stabilité des six pays africains qui lui sont limitrophes.

Et pour celle de l’Europe, qui lui fait face de l’autre côté de la Méditerranée.

*

2) Cette Europe est, elle-même, en proie à des démons dont elle se croyait libérée pour toujours.

Nul ne sait si la Grèce, en "rébellion démocratique" contre l’austérité qui lui a été infligée depuis cinq ans, sera encore, à la fin de 2015, dans la zone euro ou même dans l’Union européenne. Ou si, ayant fait défaut, elle aura dû les quitter, à ses risques et périls…

Mais plus grave encore pour l’Europe est le conflit armé qui secoue l’Ukraine. Alimenté depuis Washington, il menace de s’envenimer pour se transformer en une guerre civile, un abcès de fixation et un facteur de division de l’Union européenne.

Il est avéré que les États-Unis ont décidé de faire de la Russie leur adversaire. L’Otan sera leur arme pour former autour de cette grande nation un cordon de pays hostiles et l’Europe elle-même sera entraînée, bon gré mal gré, dans cette résurgence de "la guerre froide".

Nul n’est en mesure de prévoir où et quand ce nouveau conflit armé s’arrêtera.

*

3) Le Moyen-Orient ? Il n’a pas connu de longue période de paix et de stabilité depuis près d’un siècle. Mais il n’a jamais été autant secoué qu’il l’est aujourd’hui par des insurrections armées qui ne respectent ni les régimes en place ni des frontières artificiellement tracées.

Ses trois puissances non arabes – Turquie, Iran, Israël – sont elles aussi entrées dans la danse ; désormais, chacune à sa manière, toutes les trois sont des facteurs de désordre.

Je pourrais parler du Venezuela, au bord de l’explosion sociale et de la faillite financière. Ou de l’Argentine, dont l’institution présidentielle elle-même paraît menacée.

Je pourrais citer Gérard Chaliand et évoquer cet autre facteur de désordre et de violence qu’est l’idéologie jihadiste. "Bien que condamnée à l’échec de façon certaine, écrit Chaliand, elle continue de séduire des jeunes souvent désoeuvrés, en mal d’identité et, pour certains, d’aventure, où les frustrations se débondent à travers la violence, le viol, les crimes et les délits étant impunis sinon même encouragés et justifiés.

Ce quartier libre peut fasciner mais l’impasse du jihadisme est inscrite dans son absence de projet économique et social. L’unique projet de cette idéologie, hors le pouvoir, reste la réglementation des moeurs. Beaucoup de bruit et de fureur en vain." 

*

Si l’on passe à l’économie, on découvre que le virus de la déstabilisation ne l’a pas épargnée.

Souvenez-vous des Brics, dont on a pensé qu’ils allaient structurer la planète : rassemblés sous cet acronyme en 2001 par la banque Goldman Sachs, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud se sont constitués en un ensemble économique rival de la zone euro et des États-Unis.

À partir d’un rythme de croissance enviable, les "cinq grands émergents" – chaque continent est représenté par au moins un pays – ont tenu des réunions annuelles et créé une grande banque d’investissement.

On présentait les Brics, il y a peu, comme la force montante du XXIe siècle, mais cet ensemble vient de se disloquer sous le poids de ses contradictions internes : deux pays, l’Inde et la Chine, continuent d’afficher des taux de croissance positifs ; deux autres sont dans le rouge ou presque : la Russie est en proie à une sévère récession, tandis que le Brésil table sur une croissance inférieure à 1 %.

En outre, parmi ces quatre mastodontes, deux sont producteurs de matières premières (la Russie et le Brésil), tandis que les deux autres sont importateurs…

*

Ce vieux routier américain de l’investissement qu’est Warren Buffett a l’habitude de rappeler que "c’est seulement quand la mer se retire que l’on découvre qui ne porte pas de maillot de bain".

Par cet axiome de sagesse qui, à l’origine, visait les investisseurs, il nous dit d’attendre la fin de la tempête pour savoir qui y a succombé et qui a réussi à sauver sa peau.

Nous ne tarderons pas à être fixés.

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