Après les délestages, le Sénégal voit enfin le bout du tunnel

Avec le redressement de la Senelec, le pays sort de sa crise énergétique. Et mise désormais sur le privé pour augmenter sa production.

La centrale de Senelec à Bel-Air (Dakar) et ses moteurs fonctionnent au fuel lourd. © Youri Lenquette pour J.A.

La centrale de Senelec à Bel-Air (Dakar) et ses moteurs fonctionnent au fuel lourd. © Youri Lenquette pour J.A.

Publié le 26 février 2015 Lecture : 4 minutes.

On n’y croyait plus ! La crise énergétique semble enfin se calmer à Dakar. L’électricité est coupée moins de cent heures par an, contre plus de 900 en 2011. Cette année-là, la situation paraissait inextricable : financièrement exsangue, la Société nationale d’électricité (Senelec) n’avait même plus les moyens, au plus fort de la crise, d’acheter du combustible pour alimenter ses centrales, et encore moins d’en assurer la maintenance. À Dakar, ce contexte explosif a conduit aux « émeutes de l’électricité », qui donnèrent naissance au mouvement Y’en a marre.

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Depuis, la Senelec s’est progressivement redressée. La quasi-totalité de ses moyens de production a été réhabilitée. Et selon le ministère de l’Énergie, les quelques « rares » coupures de courant qui surviennent encore, comme celle qu’a subie une partie de Dakar ce 27 janvier au moment même où le Sénégal se faisait éliminer de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), sont dues à des travaux d’entretien ou à quelque défaillance du réseau vieillissant, qui fait d’ailleurs l’objet d’investissements. Pour en arriver là, « des mesures très impopulaires ont été prises », admet Pape Dieng, le directeur général de la Senelec, nommé en juillet 2012, quelques mois après l’élection de Macky Sall.

Projet éolien

L’ingénieur venu du privé affirme avoir supprimé six directions sur dix-neuf et renégocié certains contrats « désavantageux » pour la société publique. Car l’assainissement du bilan financier de la Senelec – une priorité déjà du plan Takkal de Karim Wade, l’ancien ministre de l’Énergie – était un préalable au retour d’un service correct.

La société publique a renoué avec les bénéfices : 3 milliards de F CFA en 2014.

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En 2010, le déficit de la Senelec atteignait 50 milliards de F CFA (76 millions d’euros). « Les commissaires aux comptes avaient refusé de certifier ceux de la Senelec parce qu’il existait un risque que l’exploitation s’arrête. Et les banques ne lui prêtaient plus », rappelle Pape Dieng. L’an dernier, la société a enregistré un bénéfice de 3 milliards de F CFA. « D’alarmante, sa situation est passée à acceptable, en attendant de devenir optimale », observe une source sénégalaise. Même si tout n’est pas rose (l’équivalent de quelque 20 milliards de F CFA d’électricité est volé chaque année), « l’entreprise est plutôt bien gérée », confirme une autre source.

Reste à pérenniser ce bilan. D’autant que la Senelec reçoit encore plusieurs milliards de F CFA d’aides annuelles de l’État (77 milliards de F CFA en 2014) pour couvrir ses coûts, étant donné que les autorités maintiennent les tarifs de vente à un niveau bas (117 F CFA le kWh pour un coût de revient moyen d’environ 150 F CFA le kWh). « Le président exige une production d’électricité suffisante, et à un coût raisonnable. Nous avons donc refait totalement notre plan directeur », explique Pape Dieng.

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Il s’agit de construire de nouvelles centrales électriques pour augmenter la capacité (aujourd’hui 600 MW) et faire face à la hausse de 10 % par an de la consommation. Mais avec une particularité : en ouvrant le secteur à des investisseurs privés, comme au Nigeria. « La Senelec ne développe plus de capacités de production propres. Nous avons recours à la production indépendante, sous forme d’IPP (Independent Power Producer), insiste Hamady Sy, le directeur de cabinet de la ministre de l’Énergie. Cela attire les meilleures compétences, fait jouer la concurrence et nous évite les contraintes liées à l’investissement. »

L’État a ainsi signé avec des opérateurs privés plusieurs contrats pour de grosses unités de production. Dernier en date, celui conclu avec le groupe indien Jindal Steel & Power. Ce dernier doit construire à ses propres frais une centrale à charbon d’une capacité de 350 MW au nord de Dakar. L’électricité produite par cette centrale, qui coûtera un peu plus de 792 millions d’euros, sera vendue à la Senelec à un prix compétitif de 63,75 F CFA le kWh. « Le Sénégal va dans la bonne direction », note un spécialiste, qui reste toutefois sceptique sur la capacité du pays à mener de front tous ses projets.

Sans charbon ni hydrocarbures jusqu’ici, avec un potentiel hydraulique très limité, le Sénégal est très pauvre en ressources énergétiques.

Il faut dire que le premier grand chantier dans ce domaine, la centrale à charbon de Sendou, qui devait voir le jour en 2012, est toujours en construction. Elle est désormais prévue pour fin 2015. « C’est catastrophique, cela va coûter plusieurs dizaines de millions d’euros à la Senelec », déplore le même expert. Cette lenteur s’observe aussi dans le domaine des énergies renouvelables, pour lesquelles le gouvernement a conclu, sous forme d’IPP, une dizaine de contrats. Seuls trois de ces projets (Taïba Ndiaye dans l’éolien, Niakhar et Diass dans le solaire), qui totalisent une capacité prometteuse de près de 200 MW, ont atteint un stade « assez avancé », d’après le ministère de l’Énergie.

Sans charbon

Le Sénégal est extrêmement pauvre en ressources énergétiques : sans charbon ni hydrocarbures jusqu’ici, il a également un potentiel hydraulique très limité. C’est « la pire configuration de toute l’Afrique de l’Ouest », relève une source. Ce qui l’a conduit à produire 90 % de son électricité à partir de produits pétroliers importés, dont les prix élevés ont plombé ses comptes.

Pour lutter contre cette dépendance, Macky Sall s’est engagé à faire la part belle au charbon (importé) et aux énergies renouvelables, qui doivent respectivement passer à 70 % et 7 % de la production d’électricité dans les trois prochaines années, contre 0 % actuellement. Une stratégie pertinente, car l’exploitation de gisements récemment découverts au large des côtes sénégalaises reste pour l’instant hypothétique.

Par Marion Douet, envoyée spéciale à Dakar

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