Rwanda : où étiez-vous le 6 avril 1994 ?

Rescapée du génocide, la chorégraphe rwandaise multicarte Dorothée Munyaneza mêle tous les arts à sa disposition pour retranscrire ses souvenirs et confronter le spectateur à l’horreur.

L’auteur signe là une première création riche et émouvante. © DR

L’auteur signe là une première création riche et émouvante. © DR

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 26 janvier 2015 Lecture : 3 minutes.

L’"indicible". D’ouvrages en documentaires, c’est ainsi qu’est régulièrement désigné le génocide qui a ensanglanté le Rwanda d’avril à juillet 1994. Mais, quand on ne peut pas dire, peut-on trouver d’autres moyens pour faire ressentir ? Voilà qui pourrait résumer, en partie, la démarche de Dorothée Munyaneza. À 32 ans, elle joue Samedi détente, la première pièce qu’elle a écrite.

La première de ses oeuvres, aussi, qui se confronte directement au génocide. Artiste multi­carte (elle est chanteuse, danseuse, compositrice, chorégraphe et auteur), cette Rwandaise-Britannique francophone mêle tous les arts à sa disposition pour retranscrire au mieux ses souvenirs. Car c’est bien une période vécue qu’elle évoque : elle habitait à Kigali et était âgée de 12 ans lorsque le génocide a commencé.

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Dorothée Munyaneza a fait ses premières armes d’artiste en 2004 en chantant sur la bande originale du film hollywoodien Hotel Rwanda, de Terry George. C’est à nouveau avec des chants rwandais, chargés de nostalgie, qu’elle fait son entrée sur scène au début de Samedi détente. Mais ces airs, qui reviendront plusieurs fois au cours du spectacle, laissent vite place au récit.

Bien que fragmenté, celui-ci détaille la longue fuite de la jeune fille, de cache en cache, trois mois durant. Un sauve-qui-peut parfaitement saisi, en quelques instants, par une belle trouvaille de mise en scène : Dorothée Munyaneza se faufile, accroupie, jusqu’au fond de la salle, tout en portant sur sa tête une table, tel un refuge dérisoire. Intime, le texte a le mérite d’être à la portée de tous, y compris de ceux qui connaissent mal l’histoire du Rwanda, n’oubliant pas au passage de pointer les responsabilités de la France.

Grande communion avec le spectateur

Mais la pièce n’aurait pas la même charge émotionnelle si elle se limitait à ces formes artistiques. Avec l’aide de la danseuse ivoirienne Nadia Beugré et grâce aux créations sonores réalisées en direct par le Français Alain Mahé, Dorothée Munyaneza donne plus de force à sa danse comme à son jeu. Cela n’empêche pas quelques moments plus creux et d’autres, plus pénibles, mais cela lui permet d’aller très loin dans la communion avec le spectateur, établissant un lien presque direct entre ses souvenirs et la salle. Et si le titre de la pièce peut paraître trompeur, c’est en réalité une fausse piste riche de sens.

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Car Samedi détente était en réalité le nom d’une émission diffusée à l’époque sur Radio Rwanda. Elle reprenait les grands tubes internationaux sur lesquels la jeune fille dansait avant le génocide, avec des amis pour beaucoup disparus. Par contraste, ces jours heureux expriment toute l’horreur dans laquelle le pays a basculé.

L’abîme qui sépare la vie quotidienne du génocide est aussi souligné par cette question, adressée au spectateur : "Où étiez-vous le 6 avril 1994 ?" Sur le plateau, Nadia Beugré répond avec une séquence de zouglou captivante, à laquelle Munyaneza prend part. Parce qu’à Abidjan, à l’époque, la fête ne s’est pas arrêtée le 6 avril. Tout comme en Afrique du Sud où, ainsi que le lui a rappelé une de ses amies à l’origine de la pièce, on fêtait même le triomphe de la démocratie. Le monde ne se souciait guère, alors, de ce qui se passait sur les collines rwandaises…

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Samedi détente, au théâtre Le Monfort (Paris) jusqu’au 31 janvier, puis en tournée en France et en Belgique jusqu’en mai.

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