Cité nationale de l’histoire de l’immigration, le musée qui voulait exister

Ouverte en 2007, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration peinait à trouver son public. Un nouvel accrochage et l’arrivée à sa tête du médiatique historien Benjamin Stora pourraient donner un coup de fouet à l’institution – enfin inaugurée le 15 décembre par le président français François Hollande.

Une sculpture du Sénégalais Diadji Diop devant le Palais de la porte dorée. © Daniel Thierry/Photononstop / AFP

Une sculpture du Sénégalais Diadji Diop devant le Palais de la porte dorée. © Daniel Thierry/Photononstop / AFP

Publié le 15 décembre 2014 Lecture : 4 minutes.

A priori, le lieu a tout pour lui. C’est l’un des rares musées situés à l’est de Paris et il bénéficie d’un magnifique écrin : le Palais de la Porte dorée, construit lors de l’exposition coloniale de 1931. Ses façades, classées, présentent parmi les plus beaux bas-reliefs de la capitale. Le bâtiment, orné de meubles Art déco et de magnifiques fresques, est lui-même encadré d’espaces arborés, à deux pas du bois de Vincennes. Enfin, et surtout, la Cité s’attaque à un sujet qui ne laisse personne indifférent : l’immigration.

Et pourtant… Depuis son ouverture officielle, en octobre 2007, l’établissement a du mal à trouver ses marques. Décrivant une institution "désespérément déserte", un article assez acide du quotidien français Le Monde, en mars 2010, titrait même sur "le musée fantôme". Depuis, la situation s’est un peu améliorée. En 2012, la Cité – qui héberge le musée mais aussi un aquarium tropical – accueillait au total 297 766 visiteurs, selon le Comité du tourisme de Paris, ce qui la plaçait en 31e position seulement des sites culturels parisiens.

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Pourquoi ce relatif désintérêt ? Peut-être avant tout parce que, comme le regrettent, en off, des cadres de l’établissement, la Cité n’est plus réellement soutenue par les hommes politiques. Portée par le monde associatif, elle devait permettre de changer les représentations liées aux immigrés, montrant leur apport à la construction de la France et à son histoire.

Stora veut médiatiser les expositions, pousser les politiques à s’engager pour la Cité, mobiliser des historiens et investir dans une plateforme web plus performante.

Aujourd’hui, dans un contexte où les étrangers sont de plus en plus stigmatisés, elle est devenue le "cache-sexe" de la bonne conscience de la droite et de la gauche françaises, que peu d’hommes politiques sont prêts à réellement assumer. Pour preuve, elle a toujours été snobée par les plus hautes autorités de l’État : ni Jacques Chirac, qui avait lancé le projet avec Jacques Toubon, ni ses successeurs n’ont fait de geste à son égard. Pour la première fois, François Hollande semble être prêt à rompre avec cette fausse indifférence : il doit inaugurer officiellement le musée ce 15 décembre.

Depuis quelques mois, une nouvelle dynamique tend à métamorphoser la Cité. En août dernier, Benjamin Stora a succédé à Jacques Toubon au poste de président du conseil d’orientation de la Cité, que ce dernier occupait depuis 2007. Cela annonce une révolution de style de direction et de communication. Stora, spécialiste de l’histoire des colonies françaises et de l’immigration, connaît parfaitement son sujet. Il veut médiatiser les expositions, pousser les politiques à s’engager pour la Cité, mobiliser des historiens et investir dans une plateforme web plus performante.

Valorisation de collections de photos anciennes

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Ce changement de management s’est accompagné, en septembre, d’une réouverture de l’exposition permanente, "Repères". "Pour réaliser cette refonte complète de notre parcours muséographique, nous avons tenu compte des principales critiques qui nous étaient adressées, note Hélène Bouillon, chargée des collections historiques. Beaucoup de visiteurs nous disaient qu’ils étaient un peu perdus, qu’on ne donnait pas assez d’explications sur certains des documents ou des oeuvres exposés. On nous reprochait aussi de trop s’attacher à présenter des faits récents, et parfois avec un certain misérabilisme."

Face aux critiques, lourdes et nombreuses, les salles du musée ont fait peau neuve, et le nouvel accrochage a donné un coup de polish salvateur aux collections. D’abord tout est plus lisible, grâce à un découpage thématique assumé qui fait la part belle aux cartels, parfois longs, toujours clairs. L’histoire de l’immigration au XIXe siècle est plus présente, notamment grâce à la valorisation de collections de photos anciennes. Le parcours évoque également un sujet peu habituel : celui de la migration de l’élite, en s’intéressant à de riches lignées venues s’installer en France, comme les Camondo, famille juive de banquiers originaire d’Espagne.

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La Cité n’a pas les capacités de montrer toute sa jeune, mais foisonnante collection – environ 4 000 pièces principalement acquises à l’occasion des expositions passées. Néanmoins, un roulement permanent des oeuvres et des éclairages temporaires sur des sujets particuliers viennent enrichir en permanence le parcours. Ainsi, la dernière salle de l’expo présente actuellement toute une vitrine consacrée à René Goscinny. Le papa d’Astérix, l’un des Français les plus connus à l’étranger, était un fils d’immigrés polonais.

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285 000 visiteurs cette année

Autre changement de taille : le renouvellement, en avril, de la Galerie des dons, qui accueille des objets parfois transmis de génération en génération et offerts au musée par des particuliers. François Cavanna, fils de Luigi, un "Rital" s’étant installé à Nogent-sur-Marne, a ainsi déposé dans la galerie une simple truelle ayant appartenu à son père, ouvrier. Un ustensile d’apparence anodine, mais qui charrie toute une histoire, et beaucoup d’émotion, racontée par l’écrivain et dessinateur qui fit les beaux jours de Charlie Hebdo.

Ces nouveaux aménagements commenceraient à porter leurs fruits. Selon la direction de la communication de la Cité, le Palais aurait déjà reçu 285 000 visiteurs cette année, soit 60 000 de plus qu’en 2013 durant la même période. Et le pourcentage de visiteurs payants aurait augmenté : pour le musée, il serait passé de 45 % en 2013 à 56 % en 2014.

Les futures expositions, conçues pour toucher le grand public, pourraient accélérer le mouvement. La Cité reçoit, en décembre, "Fashion Mix", une histoire de la mode qui raconte aussi autrement l’immigration et qui prouve que le "savoir-faire français" doit beaucoup à la patte de stylistes d’origine étrangère comme Paco Rabanne ou Azzedine Alaïa. Suivront une exposition sur "Les Petites Italies", en 2015, puis une autre sur les frontières. Ces événements attireront peut-être aussi un peu plus de journalistes et de politiciens à la Cité…

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>> Consulter le site officiel du musée de l’histoire de l’immigration

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