Maroc : après la disparition d’Ahmed Zaïdi, naufrage ou renaissance de l’USFP ?

La disparition tragique du député marocain Ahmed Zaïdi a conforté ses camarades dans leur décision de quitter l’Union socialiste des forces populaires (USFP).

Ahmed Zaïdi est décédé le 9 novembe à 61 ans. © DR

Ahmed Zaïdi est décédé le 9 novembe à 61 ans. © DR

Publié le 9 décembre 2014 Lecture : 6 minutes.

"Ces obsèques démontrent que le défunt avait un capital de sympathie énorme. Soyez à la hauteur !" Émanant d’un dirigeant illustre dont la parole se fait rare, le conseil n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Connu du grand public comme présentateur du JT de la chaîne nationale RTM, puis élu presque sans discontinuer depuis le début des années 1990 à des responsabilités municipales et parlementaires, le regretté Ahmed Zaïdi a été, de 2007 à 2014, chef du groupe parlementaire socialiste.

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Il a même failli, fin 2012, à une centaine de voix près, prendre la tête de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), que veulent désormais quitter ses plus proches camarades pour rejoindre très probablement les rangs de l’Union nationale des forces populaires (UNFP), un vieux parti aujourd’hui moribond et qui rappelle des souvenirs aux plus anciens des militants (lire encadré).

Le 10 novembre, des milliers de personnes se sont rassemblées pour l’enterrement, à Oued Cherrat (à mi-chemin entre Casablanca et Rabat), de l’enfant du pays, Ahmed Zaïdi, mort noyé dans sa voiture alors qu’il tentait de traverser un oued en crue. Compte tenu des prises de position fortes du défunt dans les jours et semaines qui ont précédé son décès, les premières réactions à la tragédie ont été vives, même si sa famille a coupé court à toute polémique en refusant l’autopsie du corps. Mais en politique, la mort n’est jamais neutre, comme le montrera la suite des événements.

Sous ces latitudes, les obsèques sont vécues comme un moment de vérité. D’abord par la qualité des présents. Il y avait là les socialistes et toutes leurs divisions, dont Abderrahmane Youssoufi, Premier ministre d’alternance (1998-2002). Muet dans les médias, le zaïm n’en est pas moins très écouté dans les salons. Lors des funérailles, il est apparu comme un vénérable cheikh, celui dont on recueille la baraka. Le signe, certainement, d’un malaise de leadership au sein du parti de la rose. Aux côtés de Youssoufi ont pris place d’autres personnalités, dont les conseillers du roi Fouad Ali El Himma, Omar Azziman et Abdeltif Menouni.

Ce dernier, constitutionnaliste, a longtemps été un compagnon de route des socialistes. Outre le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, et l’état-major du Parti de la justice et du développement (PJD), de nombreux dirigeants politiques de tous bords ont salué la mémoire d’une personnalité publique intègre, affable et respectueuse. Un anti-portrait en creux de son rival du congrès de 2012, l’actuel premier secrétaire de l’USFP, Driss Lachgar. Les deux hommes ne se sont pas réconciliés après la compétition électorale, et le courant "ouverture et démocratie", réuni autour de Zaïdi, ne cache plus sa volonté de quitter l’"Union de Lachgar". Ce dernier n’a pas lu l’oraison funèbre du défunt, tâche dont s’est acquitté le député de Fès Ahmed Réda Chami.

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Un trio déterminé à secouer le cocotier ittihadi

Ancien ministre du Commerce, de l’Industrie et des Nouvelles Technologies (2007-2011), après avoir été directeur général pour l’Afrique du Nord et de l’Ouest du géant informatique Microsoft, Chami apparaît déjà comme le successeur de Zaïdi. Avec Abdelali Doumou, député de Kelaat Sraghna, plus proche des intérêts agraires, et le syndicaliste Taïeb Mounchid, Ahmed Réda Chami forme un trio déterminé à secouer le cocotier ittihadi. Pour préparer les médias, ils ont déjà annoncé la date de leur rupture.

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Ce sera le 20 décembre, après le quarantième jour du deuil de leur camarade et chef de file. La suite est déjà écrite : rejoindre l’UNFP, qui, depuis la mort d’Abdellah Ibrahim, en 2005, est entrée dans une profonde hibernation. Figure du mouvement national, Moulay Abdellah Ibrahim, comme l’appellent affectueusement les socialistes, fut président du Conseil sous Mohammed V. Marginalisé par l’USFP après la scission de 1972, il est porteur d’une symbolique populaire et ouvriériste forte, entretenue par quelques jeunes intellectuels.

Animateur du courant "ouverture et démocratie", Abdelali Doumou confie dans ce sens à TelQuel que "l’UNFP est l’une des possibilités offertes pour contribuer à l’émergence d’une offre crédible, car c’est un parti qui présente le même référentiel idéologique et qui a gardé sa virginité politique dans l’imaginaire de la société". Dans les faits, l’option UNFP présente l’avantage d’éviter le parcours du combattant administratif que représente la création d’un nouveau parti.

Les élus (on parle d’une quinzaine) qui feraient scission perdront leur siège en application de la nouvelle Constitution, qui prévoit la déchéance du mandat pour "tout membre de l’une des deux chambres qui renonce à son appartenance politique au nom de laquelle il s’est porté candidat aux élections". Les discussions actuelles portent sur l’investiture donnée par l’UNFP aux élus qui voudraient reconquérir leur siège ou se présenter aux élections communales qui approchent. Une question de timing, donc. Rien n’est dit de la ligne politique, que les négociations en cours avec les militants de l’UNFP devront clarifier.


Ahmed Zaïdi était notamment chef du groupe parlementaire de l’USFP. © DR

Haro sur Driss Lachgar

"Les divergences avec Lachgar ne tiennent pas à l’idéologie, puisque cette dernière est comme absente. Le fond du problème est le style autoritaire et clientéliste adopté par Lachgar, qui heurte beaucoup de monde", observe un militant. Doumou accuse le premier secrétaire d’avoir "verrouillé le parti" au service d’une "propagande" et de "la pensée unique".

Redoutable tacticien, Lachgar a placé des fidèles à tous les échelons du parti au nom du renouvellement. Ses options politiques procèdent du même cynisme : partisan, en 2008, d’une alliance avec les islamistes du PJD et d’une sortie du gouvernement, il a été coopté en 2010 au rang de ministre chargé des Relations avec le Parlement. Deux ans plus tard, après les législatives de 2011, qui virent le parti reculer à moins de 10 % du total des sièges (39 élus) à la Chambre des représentants, il a prôné la non-participation au gouvernement avec le PJD. Cette "cure d’opposition", approuvée majoritairement par une base revancharde farouchement anti-islamiste, a surtout ouvert le champ à des alliances objectives avec le Parti Authenticité et Modernité (PAM), considéré comme un parti de l’administration, et l’Istiqlal de Hamid Chabat depuis fin 2013.

Pour les plus désabusés, le virage pris par les proches de Zaïdi est la redite d’une longue histoire de ruptures au sein de la famille socialiste. Au début des années 1980, les proches d’Ahmed Benjelloun, frère du "martyr" Omar Benjelloun [assassiné par des islamistes], formèrent le Parti de l’avant-garde démocratique et socialiste, qui rejoindra, en 2007, l’Alliance de la gauche démocratique (AGD).

Au sein de celle-ci, deux autres formations rassemblent des déçus de l’USFP, et surtout de "l’alternance consensuelle" de l’ère Youssoufi. Il s’agit du Parti socialiste unifié (PSU), autour des trublions Mohamed Sassi, Mohamed Hafid et Najib Akesbi, et du Congrès national ittihadi (CNI) du syndicaliste Noubir Amaoui. Plus de dix ans après leur divorce avec l’USFP, ces partis n’ont aucun poids électoral. Et pour cause, ils ont boycotté les dernières législatives !

L'Union socialiste des forces populaires est desertée.

Le mythe des origines

Souvent, l’histoire des partis politiques dénoue le fil des ruptures et des ralliements. Celle de l’Union socialiste des forces populaires (l’USFP) ne fait pas exception. Du reste, cette dernière est elle-même issue de scissions-clarifications successives : en 1972, les socialistes quittent l’Union nationale des forces populaires (UNFP), créée en 1959 par Mehdi Ben Barka, Abdellah Ibrahim, Abderrahmane Youssoufi et Mohamed Basri après une rupture avec l’Istiqlal.

En quittant le grand parti nationaliste, les futurs socialistes voulaient se démarquer de la tentation du parti unique, mais revendiqueront – plus tard avec Ben Barka – "l’option révolutionnaire". En 1975, l’USFP, sortie de la matrice UNFP trois ans plus tôt, précisait sa relation avec la monarchie lors d’un congrès extraordinaire qui consacra le "choix démocratique". Si l’UNFP devait revenir sur le devant de la scène, quelle serait sa valeur ajoutée dans le débat public ?

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