Burkina Faso : les civils au garde-à-vous ?

Depuis le départ de Blaise Compaoré, le pays, en pleine transition, s’est doté d’un exécutif bicéphale. À la présidence, Michel Kafando le diplomate ; à la primature, le lieutenant-colonel Zida. La balance du pouvoir pourrait vite pencher du côté du second…

Michel Kafando et le lieutenant-colonel Zida, au palais de Kosyam, le 19 novembre. © Sia Kambou/AFP Photo

Michel Kafando et le lieutenant-colonel Zida, au palais de Kosyam, le 19 novembre. © Sia Kambou/AFP Photo

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Publié le 26 novembre 2014 Lecture : 5 minutes.

L’un, militaire de carrière, a toujours porté le treillis. L’autre, diplomate chevronné, est adepte du costume cravate. A priori, les deux hommes n’ont pas grand-chose en commun. Et pourtant : le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida et Michel Kafando ont vu en un rien de temps leurs destins basculer puis se mêler. En l’espace de trois semaines, ils se retrouvent, ensemble, à la tête d’un régime de transition censé rompre avec le long règne (vingt-sept ans) de Blaise Compaoré.

Dans leurs domaines respectifs – la sécurité pour le premier, la diplomatie pour le second -, ils étaient encore jusqu’à récemment des pions de ce système, preuve que l’insurrection populaire de la fin octobre n’a pas tout balayé sur son passage.

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Le 16 novembre, en vertu de la charte de la transition, sorte de Constitution provisoire approuvée par l’armée et les civils, Michel Kafando, 72 ans, ancien ambassadeur du Burkina aux Nations unies (de 1981 à 1982, puis de 1998 à 2011), a été désigné président de la transition par un collège de 23 sages. Un large consensus s’est fait sur son nom, d’abord proposé par les militaires. L’austère Kafando, qui fut également ministre des Affaires étrangères entre 1982 et 1983 avant de se retrouver en délicatesse avec la révolution sankariste, a donc quitté sa ferme proche de Ouagadougou, où il coulait une paisible retraite, pour un intérim périlleux à la tête d’un État à reconstruire.

Contrat partiellement respecté

Pour le nouveau président, cette phase de transition, dont l’objectif principal sera d’organiser des élections présidentielle et législatives en novembre 2015, risque de tourner à l’épreuve de force. Ou, du moins, à une cohabitation déséquilibrée. Avant sa prise de fonction, l’armée et les civils avaient conclu un accord prévoyant la nomination d’un militaire au poste de Premier ministre en échange d’une présidence et d’un Conseil national de transition (CNT, le futur organe législatif) dominés par des civils.

Vingt-quatre heures à peine après sa prestation de serment, Kafando a donc été contraint de choisir le lieutenant-colonel Zida, 49 ans, homme fort du Faso depuis la chute de Blaise Compaoré, pour diriger le gouvernement. Le tout avec la bénédiction de certains représentants de la société civile et de leaders de partis politiques, rassérénés par "l’attitude républicaine" du gradé durant ses trois semaines aux affaires. "C’est un partage équitable des rôles, glisse un cadre de l’opposition. Nous avions besoin de l’appui de l’armée, et il était convenu qu’elle soit une composante de la transition. Que Zida se retrouve Premier ministre ne nous pose aucun problème."

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Depuis sa prise de pouvoir le 31 octobre, l’ancien numéro deux du régiment de sécurité présidentielle (RSP) ne cessait de répéter qu’il transmettrait les rênes du pouvoir aux civils, se voulant rassurant tant auprès des Burkinabè que de la communauté internationale. Le contrat a finalement été partiellement respecté. Doté d’un sens politique aigu sous son béret rouge, le principal intéressé est bien conscient que, pour certains, la pilule est difficile à avaler. "J’appelle l’ensemble de la communauté nationale et internationale à nous accompagner sans a priori pour gagner le challenge d’une transition apaisée", s’est-il empressé de déclarer lors de son premier discours.

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Limoger deux patrons d’entreprises publiques

Reste à savoir comment cet attelage va fonctionner. Si le président Kafando tiendra probablement un rôle de VRP de la transition, le Premier ministre Zida devrait, lui, être le véritable maître du jeu. Au-delà de son aspect symbolique, sa décision de limoger deux patrons d’entreprises publiques proches du clan Compaoré et de suspendre les conseils municipaux et régionaux acquis à l’ancienne majorité fait passer un message clair : le patron, c’est lui. Doté de prérogatives importantes – il sera notamment appuyé par une "Commission de la réconciliation nationale et des réformes", dont les attributions restent floues -, Zida a aussi nommé les vingt-six ministres qui composent le gouvernement, parmi lesquels figurent quatre militaires (dont lui-même, ministre de la Défense).

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Une fois le gouvernement et le CNT en place, le binôme Kafando-Zida aura moins de un an pour remettre le pays sur les rails démocratiques. Les deux têtes de l’exécutif devront ensuite se retirer, la charte de la transition stipulant que le président et les membres du gouvernement ne peuvent se présenter aux élections présidentielle et législatives de 2015. Parmi leurs priorités figurent la remise en état des services publics, la relance des relations diplomatiques avec les partenaires régionaux et internationaux, et surtout la question de la réconciliation nationale et de l’éventuelle inclusion des membres de l’ancienne majorité présidentielle dans le processus de transition.

Michel Kafando semble déjà avoir les mains liées par son puissant Premier ministre.

À cela s’ajoutent d’autres dossiers chauds, sur lesquels l’opinion attend des avancées, comme l’avenir du RSP (dont est issu Zida) au sein de l’armée ou le sort judiciaire réservé aux anciens proches de Compaoré.

Installé au palais présidentiel de Kosyam depuis plus d’une semaine, Michel Kafando semble déjà avoir les mains liées par son puissant Premier ministre. "C’est un diplomate d’expérience qui en a vu d’autres, nuance un ancien haut fonctionnaire qui a longtemps travaillé avec lui. Il est rigoureux, compétent et rompu aux rouages de l’administration." Dans l’entourage du militaire, les propos se veulent apaisants. "Zida a toujours été très respectueux de la hiérarchie. Il se placera donc, logiquement, sous l’autorité du chef de l’État", affirme sans ciller l’un de ses proches. "Il ne faut pas oublier que Kafando a été désigné par les militaires, tranche le politologue Augustin Loada. En cas d’épreuve de force, Zida prendra le dessus."

L’ombre de Gilbert Diendéré

Sceptiques, de nombreux Burkinabè ne cachaient pas leur appréhension, estimant que l’armée a intelligemment réussi à garder la main sur le pouvoir. "Quand on dit qu’on met en place une transition civile, il faut aller jusqu’au bout. Que ce soit Zida ou un autre, nous ne voulons pas d’un Premier ministre militaire", tempête le rappeur Smockey, cofondateur du Balai citoyen, une organisation de la société civile en pointe lors de la contestation contre Compaoré. Même son de cloche – plus feutré – du côté des partenaires étrangers. En coulisses, les diplomates du trio Union européenne-France-États-Unis, qui suivent de près l’évolution de la crise, ne cachaient pas leurs réserves quant à l’accession de Zida à la tête du gouvernement.

Autre point noir : l’ombre, toujours présente, de Gilbert Diendéré, ancien chef d’état-major particulier et bras droit de "Blaise" depuis trente ans. Patron du RSP, il était l’homme clé du régime Compaoré. Depuis qu’il a dépêché son subordonné Zida à la tête de l’armée, les interrogations sur son influence vont bon train. Sa présence sereine à la cérémonie de prestation de serment de Michel Kafando, quatre rangs derrière le lieutenant-colonel Zida, ne devrait pas dissiper la brume d’incertitude qui flotte sur le pays des Hommes intègres…


Gilbert Diendéré, l’ancien chef d’état-major particulier
de Blaise Compaoré. © Sia Kambou/AFP Photo

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Benjamin Roger

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