RDC : bêcheurs en eaux troubles

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  • Tshitenge Lubabu M.K.

    Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.

Publié le 21 novembre 2014 Lecture : 2 minutes.

De jour comme de nuit, cela ne peut passer inaperçu. Qu’est-ce donc ? Des lettres en gros caractères gravées sur un immeuble : "Bandal, c’est Paris." Bandal – ou plutôt Bandalungwa, pour faire long – est l’une des vingt-quatre communes de Kinshasa. Particularité : rien à signaler. Sauf que, un soir de vadrouille, mon regard s’est posé sur cette déclaration, ou provocation, c’est comme vous voulez. Et sur une autre bizarrerie : une enseigne lumineuse d’environ un mètre représentant, devinez quoi ? La tour Eiffel ! Bien entendu, je prends le temps de me renseigner pour comprendre. J’apprends alors que les habitants de la commune revendiquent sa "parisianité" par rapport à une autre commune du nom de Lemba. Mais comment et pourquoi ces deux entités, éloignées l’une de l’autre comme la terre l’est du ciel, peuvent-elles être rivales et, surtout, s’identifier à Paris ?

Si je m’en tiens à ce que l’on m’a dit, les joutes oratoires entre les deux camps sont très violentes, chacun voulant prouver qu’il est bien Paris. Bandal se veut l’épicentre de toutes les nouvelles tendances en matière de mode ; affirme avoir donné à la capitale congolaise un grand nombre de ses meilleurs chanteurs, hier comme aujourd’hui. Et d’ajouter qu’aucune autre commune ne l’égale dans l’art de faire la bamboula. En plus d’avoir des potagers qui nourrissent une partie des Kinois. Et encore ? Non, c’est tout ce que Bandal peut mettre en avant pour mériter d’être Paris made in Congo.

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Me voici en face des habitants de Lemba. Que disent-ils ? Ils ont l’université de Kinshasa, l’ancienne université Lovanium, fondée par les Belges en 1954, et d’où sont sortis des hommes comme Tshisekedi wa Mulumba, Kengo wa Dondo, Matata Ponyo, Vital Kamerhe, Évariste Boshab, parmi des milliers d’autres. Pour les gens de Lemba, l’université de Kinshasa, c’est… la Sorbonne ! Sur leur liste se greffe la Cité Salongo, construite dans les années 1970 et où les Léopards, l’équipe nationale de football, reçurent chacun une villa après avoir remporté la Coupe d’Afrique des nations, en 1974.

Ils ajoutent d’autres quartiers prestigieux comme Righini, où vivaient la plupart des professeurs de l’université à l’époque du Zaïre. Et ils n’omettent pas le seul échangeur du pays situé, selon eux, dans leur commune. Ce qui provoque le courroux des habitants de Bandal, pour qui le fameux échangeur ne se trouve pas à Lemba mais bien à Limete, une autre commune kinoise. C’est tout ce qui fait blablater les deux soeurs ennemies. Mais d’où leur est venue l’idée, en tant que communes, de se comparer à la Ville lumière ? Mystère. Même leurs bourgmestres, qui entretiennent la polémique, ne le savent pas. Pas plus que certaines célébrités de la chanson qui prennent parti pour l’une ou l’autre.

Maintenant, vous avez le droit de me demander ce que Bandalungwa et Lemba, qui, je vous le rappelle, ne sont pas du tout voisines, ont en commun. Le bruit et la fureur des nuits humides. Des caniveaux qui bâillent, dégagent des odeurs pestilentielles et où les rats ont élu domicile. Des moustiques qui se gavent dès que le soleil se couche. Des immondices qui montent au ciel. La poussière, qui véhicule tous les germes connus et inconnus. Si c’est cela, Paris, j’en perds mon lingala !

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