Cinéma – « L’Oranais » : il était une fois l’Algérie

Très ambitieux, le nouveau film de Lyes Salem, L’Oranais, est une fresque romanesque évoquant sans tabou trente années d’histoire – et une tentative pour se réapproprier la mémoire du pays.

Lyes Salem (à dr.) raconte l’itinéraire divergent de deux amis après l’indépendance. © Haut et Court

Lyes Salem (à dr.) raconte l’itinéraire divergent de deux amis après l’indépendance. © Haut et Court

Renaud de Rochebrune

Publié le 19 novembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Ce qui frappe d’abord, c’est l’ambition de ce film, L’Oranais. Jamais, sans doute, un cinéaste algérien n’avait tenté de réaliser un tel portrait de l’Algérie contemporaine sur une longue durée. Certes, les fresques historiques sur grand écran ne manquent pas depuis la célèbre Chronique des années de braise, de Mohamed Lakhdar-Hamina, mais il s’agissait toujours de gestes plus ou moins lyriques célébrant la lutte de libération. Avec cette fiction réaliste qui traverse plusieurs décennies sans aucun tabou, Lyes Salem permet au spectateur de s’interroger sur le destin d’un pays à l’histoire tourmentée, et surtout sur la période postérieure à 1962, très peu explorée par les cinéastes.

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Bande annonce de L’Oranais.

Encore plus ambitieux au départ, le réalisateur entendait, nous dit-il, faire traverser un siècle entier à ses héros. Raisonnablement, il s’en est tenu à une saga se déroulant sur une trentaine d’années, entre 1950 et 1980, durée suffisante pour faire apparaître comment les Algériens sont restés marqués par les circonstances de l’accès à l’indépendance. Qu’on ne s’y trompe pourtant pas, L’Oranais est avant tout le récit épique du parcours de deux amis qui ressort plus de l’épopée romanesque que du documentaire. S’il évoque l’histoire de l’Algérie, c’est un peu comme Il était une fois en Amérique nous racontant celle des États-Unis, Lyes Salem reconnaissant d’ailleurs volontiers en Sergio Leone un inspirateur.

Les problèmes qu’affrontera l’Algérie après l’indépendance

Le scénario ? Pendant la guerre, Hamid et Djaffar se retrouvent pris dans une embuscade au cours de laquelle un Européen sera tué, sans préméditation, par le second. Les deux amis se retrouvent contraints de prendre le maquis : le premier assez naturellement puisqu’il milite déjà au FLN, l’autre plus difficilement car il a beaucoup de mal à quitter sa femme, Yasmine, dont il est éperdument amoureux.

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Arrive 1962 et les voilà héros. Hamid devient un notable de la révolution et fait profiter son ami, retourné à son métier de menuisier, de son pouvoir. Il se sent en réalité coupable à son égard : il ne lui a jamais avoué que Yasmine avait été arrêtée, maltraitée, et qu’elle était morte après avoir mis au monde un enfant à la peau curieusement blanche – qui lui vaudrait plus tard d’être traité de gaouri ("petit Français") par un instituteur. La révélation de ce mensonge et du drame qu’il recouvre achèvera de faire diverger les trajectoires des deux hommes.

Une histoire shakespearienne qui permet à Lyes Salem de s’interroger sur les problèmes douloureux qu’affrontera l’Algérie après l’indépendance : la construction d’une histoire officielle par ceux qui détiennent la "légitimité révolutionnaire", le mépris des politiques envers le peuple, la corruption, l’arabisation, les traces indélébiles laissées par l’ancien colonisateur, etc. Sans craindre, en jouant le rôle de l’Oranais Djaffar, d’incarner le personnage qui cristallise toutes ces interrogations et les vit jusque dans sa chair. "C’est à notre génération de revenir sur le passé pour se réapproprier la mémoire du pays", affirme-t-il sans détour.

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Ayant à peine dépassé la quarantaine, installé depuis ses 16 ans en France après le divorce de ses parents mais n’ayant jamais cessé de traverser la Méditerranée, Lyes Salem n’envisage a priori pas de tourner un film sans y jouer. Dans Mascarades, son premier long-métrage bien accueilli par la critique et le public, il était déjà devant et derrière la caméra. Il est vrai que sa formation est avant tout celle d’un comédien de théâtre classique et qu’il se présente volontiers comme un réalisateur autodidacte. À voir le résultat, parions pourtant qu’aucun spectateur de L’Oranais ne le devinera. L’Oranais, de Lyes Salem (sortie à Paris le 19 novembre)

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