Le Femina à Yannick Lahens : Haïti fête sa fille ! par Dany Laferrière

La saison des prix s’achève en France avec une belle nouvelle : le Femina a été attribué à la romancière Yanick Lahens. Son compatriote installé sous la coupole lui rend hommage.

Yanick Lahens compte poursuivre le voyage après cette belle escale. © Lamachere Aurelie/Baltel/Sipa

Yanick Lahens compte poursuivre le voyage après cette belle escale. © Lamachere Aurelie/Baltel/Sipa

Publié le 13 novembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Il y a plus d’une semaine, j’ai écrit à Yanick Lahens pour lui dire ma joie de voir son livre sur la dernière liste du prix Femina. Je deviens fiévreux à chaque fois que je découvre un artiste haïtien dans le peloton de tête de sa spécialité. Une façon de dire que ma température ne cesse de grimper ces dernières années. Je croise de plus en plus de gens qui veulent savoir le secret de ce pays si démuni dans tous les domaines, sauf en celui des arts.

En effet, nous avons une musique entraînante malgré une condition économique désastreuse, une peinture joyeuse malgré une situation politique instable, et une littérature fascinante où les femmes ne cessent de tutoyer les dieux. Tel est l’univers gorgé de mythologies d’où est sorti Bain de lune, le dernier roman de Yanick Lahens que le jury du prix Femina vient de distinguer.

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L’autre soir, dans la cour illuminée de la Bibliothèque nationale d’Haïti, de nombreux écrivains s’étaient réunis pour évoquer la nuit et rappeler son influence sur notre nature inquiète. Depuis le tremblement de terre, ce quartier du bas de la ville, autrefois si vivant, s’est complètement vidé. L’impression de se retrouver dans une zone de guerre. Mais voici Yanick Lahens. Comme elle paraissait étrangement sereine, j’ai tout de suite compris qu’elle venait de traverser le miroir.

L’écriture lui permet de se structurer dans ce paysage chaotique. Lahens ne cesse de "creuser son chemin" en alternant des romans tourmentés qui scrutent les désastres dans la maison du père avec des essais lumineux dont les thèmes tournent autour de l’exil et de l’ancrage. Ce qui ne change pas c’est cette tendresse qui se transforme, face à l’injustice, en colère.

Cette mince femme, au visage raffiné et à l’élégance innée, s’est installée dernièrement dans ce petit village côtier d’Anse Bleue. Il en a résulté une histoire d’amour sur fond de violence qui rappelle le célèbre roman de Jacques Roumain. Ce n’est pas un hasard si Bain de lune rejoint Gouverneurs de la rosée dans cette quête de la paysannerie qui reste une constante de la littérature haïtienne. Lahens jette, dans cette saga, une douce lumière sur les sentiments partagés : "Trois longues journées où Olmène pensa à Tertulien, qui pensa à elle."

Une lueur soudaine dans le regard de Yanick

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La pluie est arrivée et tout le monde s’est réfugié à l’intérieur de la bibliothèque. J’ai pu capter dans le regard de Yanick une lueur soudaine qui dit qu’elle demeure sensible à ces débordements tropicaux. Elle note d’ailleurs dans son roman que "les habitants d’Anse Bleue trouaient la nuit et l’eau, les yeux ouverts comme des baleines". En lisant cette phrase, j’ai su qu’elle était au sommet de son art.

Je suis rentré à Montréal le dimanche soir, quand Lahens était déjà à Paris à attendre le verdict du jury du Femina. J’ai très mal dormi cette nuit-là. Je me suis réveillé tôt pour me ruer sur internet. Les dames du Femina délibéraient encore sur un autre continent. Enfin la nouvelle est tombée : le prix Femina est allé à Yanick Lahens. Je ne sais pas ce qu’elle a ressenti à ce moment-là. Un écrivain cherche toujours à agrandir son lectorat, et c’est la promesse de l’aube quand on a passé une vie à écrire. J’ai filé chez l’éditeur Rodney Saint-Éloi, qui a publié l’un de ses premiers livres (La Petite Corruption).

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Des romans de Lahens sur la table à côté des mangues et des fleurs. Saint-Éloi a fait du café. On a évoqué nos souvenirs de Yanick. Quand je l’ai rencontrée pour la première fois, vers 1972, elle racontait sa fascination pour le romancier Jacques Stephen Alexis, que la dictature avait assassiné. J’imagine qu’en ce moment même un jeune lecteur surexcité est en train de lire Bain de lune dans un village côtier du pays. J’écris tout de suite à Yanick qu’"Haïti fête sa fille". Elle me répond que "les dieux sont quelquefois avec nous". Puis elle ajoute, toujours sereine, comme durant cette nuit pluvieuse à Port-au-Prince : "Et puis je poursuis ce voyage après cette belle escale."

Bain de lune, de Yanick Lahens, Sabine Wespieser Éditeur, 280 pages, 20 euros

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