Livre : le baroud d’honneur de Robert Dulas

Barbouze : un mot que Robert Dulas déteste, mais qui lui colle à la peau. Longtemps, ce pro du renseignement a traîné ses guêtres en Afrique. Aujourd’hui, c’est dans un livre qu’il règle ses comptes.

C’est dans la Côte d’Ivoire d’Houphouët que Robert Dulas s’est fait un nom. © Vincent Fournier pour J.A.

C’est dans la Côte d’Ivoire d’Houphouët que Robert Dulas s’est fait un nom. © Vincent Fournier pour J.A.

Publié le 20 novembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Robert Dulas est fauché. Le bureau dans lequel il nous reçoit, dans le très chic 8e arrondissement de Paris, ne lui appartient pas. Il a 66 ans, vit dans le sud de la France, et c’est un ami liquidateur judiciaire qui a mis l’endroit à sa disposition, le temps de la promotion de Mort pour la Françafrique. Un espion au coeur des réseaux islamistes (Stock).

Lui, l’ambassadeur plénipotentiaire du Niger (une fonction honorifique que les militaires qui ont chassé Mamadou Tandja du pouvoir, en 2010, lui ont décernée après l’avoir chargé de récupérer l’argent placé ici et là par l’ex-président), l’ancien conseiller politique d’Houphouët-Boigny, du général Gueï et de Bozizé, revient d’Afrique comme il y est arrivé, hippie et sac au dos, en 1972 : sans un sou.

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Grandeur et décadence… Baroudeur autodidacte, expert en diplomatie souterraine, il a traversé le continent et ses zones d’ombre : Mali, Niger, Cameroun, Mauritanie, Côte d’Ivoire, Centrafrique… et Libye – le pays au coeur de son livre.

Mai 2011, Benghazi. Dulas et son associé, Pierre Marziali, travaillent indifféremment avec Kadhafi et avec les rebelles quand Marziali est assassiné, a priori lors d’un contrôle qui a mal tourné. Dulas n’en croit pas un mot, mais à qui s’en expliquer ? Ni lui ni aucun des coéquipiers présents ce soir-là – et torturés durant onze jours par les insurgés libyens – n’ont été débriefés par les services français.

Alors, explique Robert Dulas, l’écriture s’est imposée, en mémoire de Pierre, un ancien para du 3e RPIMa : "J’en avais marre d’entendre ses soi-disant frères d’armes, le cul sur leur chaise, qui ne connaissent pas d’autre terrain que leur écran d’ordinateur, raconter n’importe quoi." Et aussi, pour protéger ses arrières : Dulas se sent menacé, ce livre doit être sa catharsis comme son assurance. Il y dégomme les services français, responsables, selon lui, de la mort de Marziali même si jamais il n’en apporte la preuve.

Mort pour la Françafrique décrit par le menu la création de ce que Marziali et Dulas espéraient être l’une des premières sociétés militaires privées (SMP) françaises : Secopex. Mais difficile de peser face aux poids lourds du secteur. Alors à défaut de travailler avec les Français, qui leur tournent le dos, ils vendent leurs informations aux Américains, qui n’hésitent pas à sous-traiter leurs guerres. De contrats bidons en coups foireux, l’entreprise ne décollera jamais vraiment.

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Dulas n’est pas un homme du sérail. Celui que de mauvaises langues ont surnommé le Grand Maître Cinquante, vu sa taille et sa propension à faire état de son appartenance au réseau maçonnique, dispose pourtant d’un vrai réseau. "Des mythos, il y en a plein dans ce milieu, mais Dulas n’en fait pas partie", assure Pierre Martinet, un ancien de la DGSE, vieil ami de Marziali, qui était à ses côtés lorsque ce dernier fut tué.

Coups foireux

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Dulas n’aime pas qu’on le décrive comme un mercenaire. Lui se voit plutôt comme un patriote, et c’est en patriote partageur qu’il envoie des notes d’information – sur les otages d’Arlit, sur les katibas d’Al-Qaïda au Maghreb islamique… – aux directeurs de la DGSE. Il n’aura jamais aucun retour ("Il y a un rejet culturel en France, explique Martinet. Dès que l’on monte une SMP, on est tout de suite taxé de barbouze, de mercenaire"), mais demeure persuadé que l’une de ces notes a coûté la vie à Marziali : Dulas y affirme que l’insurrection libyenne est noyautée par les islamistes et pense que Paris, trop pressé d’en finir avec Kadhafi, n’était pas prêt à l’entendre.

Cette thèse, Martinet n’y croit pas. "Pierre a voulu sortir son téléphone de sa poche, les miliciens ont cru qu’il sortait son arme." Point. Avec ce livre, Dulas espère rétablir, sinon la vérité, du moins la réputation de son ami. Pas par esprit de vengeance, mais parce qu’il est un "empêcheur de tourner en rond".

Mort pour la Françafrique. Un espion au coeur des réseaux islamistes, Robert Dulas, Marina ladous, Jean-Philippe Leclaire, Stock, 336 pages, 20,99 euros

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