BAD : un tiers des Africains font-ils réellement partie de la classe moyenne ?

L’Afrique avance, bien sûr, et se consolide de l’intérieur. Mais de là à affirmer qu’une personne sur trois appartient désormais à la classe moyenne, il y a un pas… que la BAD franchit un peu vite.

Membres de la classe moyenne à Johannesburg. © Per-Anders Pettersson /Getty Images/AFP

Membres de la classe moyenne à Johannesburg. © Per-Anders Pettersson /Getty Images/AFP

Clarisse

Publié le 19 novembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Johannesburg, Cape Town, Sun City… Ils ont entrepris un long périple en Afrique du Sud pour leurs dernières vacances d’été. Vingt jours de safari, de balades en bateau et de flâneries dans les allées du Maponya Mall de Soweto pour cette famille camerounaise de cinq personnes. Budget : 2,3 millions de F CFA (3 500 euros), hors billets d’avion. Onéreux ? Peut-être. Mais pour cette dentiste et ce pharmacien installés à Yaoundé, les vacances, c’est sacré. Et tant pis si, au retour, il a fallu encore débourser 4 500 000 F CFA pour la scolarité des enfants.

Nos deux Camerounais font partie de cette classe moyenne africaine naissante qui se distingue tant par ses revenus (700 000 F CFA chacun) que par son mode de vie, souvent occidentalisé. Publiée le 27 octobre, une étude de la Banque africaine de développement (BAD) élargit encore cette catégorie : elle affirme qu’après une décennie de hausse du niveau de vie, 34 % des Africains, soit environ 370 millions de personnes, appartiennent à cette classe moyenne selon les standards africains (des revenus compris entre 2,2 et 20 dollars [entre 1,8 et 16 euros] par jour et par personne).

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C’est en Afrique du Nord que cette classe moyenne se développe le plus : 77 % des habitants en font partie. L’Afrique centrale suit avec 36 %, devant l’Afrique australe, qui arrive en troisième position, presque à égalité avec l’Afrique de l’Ouest (34 %). L’Afrique de l’Est est bonne dernière.

Mais l’étude fait débat. Pour Clélie Nallet, doctorante à Sciences-Po Bordeaux, la classe moyenne telle que la conçoit la BAD n’est qu’un leurre. L’étude englobe sous une seule étiquette des réalités très différentes. Certes, la vitalité économique du continent permet à un nombre grandissant d’Africains d’assouvir des besoins autres que celui de se nourrir ou de se loger, mais pas à la majorité d’entre eux.

De plus, précise-t-elle, le fait d’améliorer sa situation ne veut pas forcément dire qu’on est sorti de la pauvreté. Nallet, qui a mené des enquêtes sur les classes moyennes dans différents pays d’Afrique, estime la formule "groupes sociaux intermédiaires" plus appropriée. Les classes moyennes que la BAD dit émergentes ne font en réalité qu’émerger de la pauvreté.

>> Lire aussi : portrait d’une famille de classe moyenne "type" en Afrique subsaharienne

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Légitimer les politiques d’aide

Nallet distingue ainsi des personnes sorties de la grande précarité – la majorité – sans s’en être éloignées totalement. Elles sont moins vulnérables, mais avec des revenus mensuels d’à peine 230 dollars, les considérer comme faisant partie de la classe moyenne, c’est mentir sur leur situation. L’autre sous-groupe, c’est celui des classes moyennes traditionnelles, qui sont, elles, en déclassement. Il réunit notamment des fonctionnaires, dont le pouvoir d’achat a baissé à cause de l’inflation.

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Ceux-ci connaissent des fins de mois difficiles, mais jouissent de la sécurité de l’emploi, souvent aussi d’un patrimoine, ce qui les empêche de basculer dans la précarité. Le dernier sous-groupe est composé des 25-40 ans, fils et filles de… fonctionnaires. Cultivés, bien formés, évoluant dans des secteurs comme l’audit, le conseil, l’informatique ou la banque, ils gagnent de deux à quatre fois plus que leurs parents.

À en croire la chercheuse, l’étude de la BAD n’est pas dépourvue d’arrière-pensées. Clamer l’émergence de classes moyennes, c’est aussi légitimer les politiques d’aide tant décriées. En affirmant qu’en Afrique une personne sur trois n’est plus pauvre et peut consommer, l’organisme entend surtout y attirer les investisseurs. Pour Ababacar Mbengue, universitaire et président de Knowdys, le premier cabinet africain d’intelligence économique, l’essentiel, pour les Africains, c’est de ne plus être seulement consommateurs, mais aussi investisseurs. Il faut que l’émergence de cette classe soit moteur de développement.

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