France : après plus dix années passées en prison, deux Marocains tentent d’obtenir une indemnisation

Injustement condamnés pour meurtre, les Marocains Kader Azzimani et Brahim El Jabri ont respectivement passé onze et treize ans en prison. Finalement relaxés le 3 juillet, ils s’efforcent d’obtenir une juste indemnisation du préjudice subi.

Brahim El Jabri et Kader Azzimani pendant la révision de leur procès, à Nîmes, le 3 juillet. © SYLVAIN THOMAS/AFP

Brahim El Jabri et Kader Azzimani pendant la révision de leur procès, à Nîmes, le 3 juillet. © SYLVAIN THOMAS/AFP

Clarisse

Publié le 17 octobre 2014 Lecture : 5 minutes.

Ils n’ont qu’une hâte : convoler en justes noces pour l’un, décrocher un emploi de transporteur pour l’autre. Projets banals ? Sans doute, mais moyen efficace pour tenter de reprendre pied après dix-sept années de combat pour faire reconnaître leur innocence.

Le 3 juillet, les Marocains Kader Azzimani, 49 ans, et Brahim El Jabri, 48 ans, ont été relaxés par la cour d’assises du Gard. Ils ont passé respectivement onze et treize ans derrière les barreaux pour le meurtre d’Azouz Jhilal, un jeune dealer de 22 ans tué de cent huit coups de couteau. Azzimani et El Jabri sont, depuis 1945, les neuvième et dixième condamnés à être acquittés au terme d’une procédure en révision. Un exploit dont ils se seraient bien passés. Ils préféreraient assurément récupérer les années qu’on leur a volées à la suite d’une grossière erreur judiciaire.

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Le 22 décembre 1997, un moniteur d’auto-école découvre le corps sans vie de la victime sur un chemin de campagne près de Lunel, entre Arles et Montpellier (Sud). L’enquête s’oriente rapidement vers Azzimani et El Jabri, fournisseurs de Jhilal. Un témoin clé, Errol Fargier, éleveur de chevaux camarguais, assure avoir assisté à une altercation entre les trois hommes le jour du meurtre, le 21 décembre. Il indique d’abord que le drame aurait eu lieu à 14 heures. Problème : l’enquête établit que la victime était encore vivante à 20 heures. Alors, va pour 20 heures ! Le témoin s’empresse de corriger le tir et soutient sans rire qu’il pourrait avoir confondu la pleine lune avec le soleil… Au total, il va donner des faits treize versions différentes. En treize interrogatoires.

Investigations fondées sur des témoignages fluctuants

Christian Poumarat, le gendarme (aujourd’hui à la retraite) chargé de l’enquête, n’en semble guère troublé. C’est sur ces témoignages pour le moins fluctuants qu’il va fonder l’essentiel de ses investigations. En 2003, en dépit des incohérences du dossier, les accusés sont condamnés à vingt ans de prison par les assises de Montpellier. Une peine confirmée en appel à Perpignan l’année suivante. Cette fois pour complicité.

Brahim El Jabri et Kader Azzimani se souviennent qu’Omar Raddad était alors venu leur apporter son soutien. Condamné en 1994 à dix-huit ans de prison pour le meurtre de sa patronne, Ghislaine Marchal, le jardinier marocain avait fini par être gracié, mais pas innocenté, quatre ans plus tard… Les deux compères reviennent à l’envi sur tout ce qui a contribué à les innocenter, eux. Les innombrables lettres envoyées au procureur, à la juge d’instruction, au président de la République, aux journalistes… La presse, justement, qui dès le départ a pointé les zones d’ombre et les irrégularités du dossier… Et puis, bien sûr, la pugnacité de leurs avocats, Mes Jean-Marc Darrigade et Luc Abratkiewicz… Pour ces derniers, la condamnation de leurs clients en première instance a été un coup de massue tant le dossier leur semblait vide.

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Dans la bataille qui s’engage, ils sont aidés par une série d’heureuses coïncidences : un détenu qui se vante d’avoir assisté au meurtre ; des prélèvements ADN effectués sur la victime sauvés in extremis de la destruction par l’indiscrétion d’une greffière… Les analyses mettent en cause un ancien client d’Azouz Jhilal nommé Michel Boulma, qui, de son côté, finit par dénoncer son complice, un certain Bouziane Helaili. Leurs noms avaient été cités dès le début de l’enquête, mais, curieusement, les deux hommes n’avaient jamais été inquiétés. Condamnés pour ce meurtre à vingt ans de réclusion, ils affirment qu’Azzimani et El Jabri ne se trouvaient pas sur les lieux. On le conçoit : les deux faux coupables ne sont pas tendres avec la justice française.

El Jabri, notamment, ne peut raconter son histoire sans hausser le ton. Il dénonce "une institution bornée, orgueilleuse et lâche", qui n’a pas jugé utile de leur adresser le moindre mot d’excuse et refuse obstinément d’employer à propos de leur cas le terme d’erreur judiciaire. Une vraie frustration. Les lacunes de l’enquête ont été révélées au grand jour ? Les faux coupables ont été blanchis par les vrais ? Rien n’y fait, les avocats de la partie civile continuent de croire qu’une complicité entre les uns et les autres n’est pas exclue.

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En prison, Brahim El Jabri a abusé du sport pour ne pas perdre la tête. Depuis sa libération, il a tendance à tourner en rond et passe d’un petit boulot à un autre. Passé l’euphorie des premiers instants, il a du mal à supporter cette vie en suspens qui est désormais la sienne. Très vite, il veut épouser sa nouvelle fiancée. Deux mois avant son incarcération, il devait se marier à une autre. Elle ne l’a pas attendu, mais il ne lui en veut pas. Son rêve ? Aller au Maroc pour s’incliner sur la tombe de son père, décédé en 2010 des suites d’un cancer. Enfin, officiellement. Car son fils est convaincu qu’il a davantage été victime d’une grave dépression.

La dernière fois qu’il s’est rendu dans son pays d’origine, c’était en 1995 : il avait été expulsé du territoire français pour consommation de cannabis et n’avait guère eu le loisir d’apprécier ce retour aux sources, pressé qu’il était de revenir dans le seul pays qu’il ait jamais connu. Aujourd’hui, dépourvu de titre de séjour, il se retrouve encore une fois coincé. Il n’a même pas droit au revenu de solidarité active…

Trois tentatives de suicide

Azzimani a beaucoup plus mal supporté son incarcération. Il a fait trois tentatives de suicide, contracté une tuberculose et fait un infarctus juste après sa sortie. Petit à petit, il remonte la pente grâce à sa famille. Il a renoué avec son épouse et ses cinq enfants, voit régulièrement un psychologue, suit une formation professionnelle et espère bientôt être autorisé à exercer le métier de transporteur : il envisage de travailler à son compte avec son frère. Mais il aimerait aussi obtenir très vite réparation pour le préjudice qu’il a subi.

Les deux ex-détenus s’emploient donc à réunir les pièces et documents nécessaires à la constitution de leur dossier d’indemnisation. Combien vont-ils toucher ? Ils ont fait le recensement des grandes erreurs judiciaires depuis soixante ans et savent qu’en 2012, après avoir été acquitté du meurtre de Marie-Agnès Bedot, Marc Machin a reçu 664 000 euros de dommages et intérêts pour deux mille cent vingt-six jours de détention injustifiée. Un an plus tôt, Loïc Sécher, accusé à tort de viol par une adolescente, avait touché 800 000 euros pour sept ans de prison. Quant à Patrick Dils, condamné à perpétuité pour le meurtre de deux enfants et libéré à l’âge de 31 ans après avoir passé la moitié de sa vie en prison, il a touché 1 million d’euros en 2002.

Qu’en sera-t-il pour eux ? Ils n’en savent rien mais estiment que la justice leur doit réparation. El Jabri et Azzimani viennent par ailleurs de porter plainte contre les auteurs de faux témoignages – "juste, dit le premier, pour comprendre les raisons de leurs agissements". Certes, rien ne pourra vraiment réparer le préjudice subi ni les souffrances infligées à ses proches pendant tant d’années. "Mais, se console-t-il, mon père savait que j’étais innocent. Et que si j’avais commis ce crime, je l’aurais avoué. Mais après tout, peut-être mes parents auraient-ils moins souffert s’ils avaient eu la conviction que je n’avais pas été injustement condamné."

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