Mali : IBK, après la baraka les tracas

Certains louent sa lutte anticorruption et sa fermeté à l’égard des anciens putschistes. D’autres déplorent l’aggravation de la situation sécuritaire dans le Nord et son indécision. Mais au bout d’un an de pouvoir, c’est sûr : l’état de grâce est fini.

IBK et Blaise Compaoré à l’aéroport de Bamako, le 30 juin. © HABIBOU KOUYATE / AFP

IBK et Blaise Compaoré à l’aéroport de Bamako, le 30 juin. © HABIBOU KOUYATE / AFP

Publié le 2 octobre 2014 Lecture : 7 minutes.

Le 4 septembre 2013, lors de sa prestation de serment à Bamako, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) promettait aux Maliens des jours meilleurs. Mais, au parterre de notables et de diplomates réjouis par son élection – un plébiscite : 77,6 % des suffrages -, il lançait aussi un avertissement : "Rien de grand ne peut réussir sans sacrifices."

Le nouveau président savait que la mission pour laquelle les Maliens l’avaient élu était titanesque et que le pays dont il héritait était exsangue. Avait-il pour autant mesuré l’ampleur du désastre ? "Il faut croire que non", persifle un diplomate européen qui se désole de voir le pays "stagner". Le même assurait pourtant, au lendemain de l’élection, qu’IBK était "l’homme de la situation".

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L’État était alors considéré comme failli. Son armée s’était fourvoyée tant dans le Nord, face aux groupes insurrectionnels ou jihadistes, que dans le Sud, après le putsch d’un quarteron de sous-officiers. Son administration, corrompue, s’était désagrégée sur une bonne partie du territoire. Ses communautés déchirées… Quant aux caisses de l’État, "elles étaient vides", explique-t-on depuis des mois au palais de Koulouba. "Il nous a fallu tout reconstruire, repartir de zéro dans tous les domaines, argumente un proche collaborateur d’IBK. Pendant les cinq premiers mois, nous n’avons pas pu nous consacrer à autre chose qu’à remettre les choses en place."

>> Lire aussi l’interview d’Ibrahim Boubacar Keïta : "Mon honneur n’est pas à jeter aux chiens"

Engagements de campagne

Pas facile, dans ce contexte, de satisfaire aux engagements de campagne. IBK n’a pas été élu pour son programme (que peu d’électeurs connaissaient), mais pour sa promesse de rendre au Mali "son honneur" et "sa fierté". Il s’y est attelé, en premier lieu en organisant les législatives dans la foulée de son élection, fin 2013. Un succès salué par la communauté des observateurs – en dépit d’un fort taux d’abstention (60 %) et de simulacres de votes en certaines contrées du Nord -, qui a donné au président une majorité confortable à l’Assemblée nationale, où l’alliance qui le soutient compte aujourd’hui 126 députés sur 147.

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Dans la même logique de "retour à l’ordre", IBK s’est fixé pour priorité le rétablissement de l’État de droit et a déclaré 2014 "année de lutte contre la corruption". Sous la houlette de Mohamed Ali Bathily, le garde des Sceaux, le pouvoir s’est (timidement) attaqué à la corruption.

Personne n’est au-dessus de la loi, pas même vous, répète IBK à ses collaborateurs.

Des enquêtes ont été diligentées, des hommes d’affaires et des fonctionnaires ont été placés en détention, la justice elle-même n’a pas échappé au coup de balai : plusieurs juges considérés comme corrompus ont été suspendus et incarcérés. "Personne n’est au-dessus de la loi, pas même vous", répète IBK à ses collaborateurs.

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Pour donner corps à ce qui est un leitmotiv chez le président, les députés ont adopté, en mai, un projet de loi sur l’enrichissement illicite qui doit renforcer l’arsenal de la lutte contre la délinquance financière. De son côté, Boubou Cissé, le ministre des Mines, a procédé, en août, à l’annulation de près de 130 titres miniers concédés par les régimes précédents.

La guerre à l’impunité, déclarée par le président, a frappé au-delà de ce que l’on pouvait imaginer. Présenté par ses adversaires comme "le candidat de la junte" pendant la campagne, IBK n’a pas hésité à se débarrasser de l’encombrant capitaine Amadou Haya Sanogo (promu général aux dernières heures de la transition) et de ses proches.

Le 27 novembre 2013, deux mois après avoir été "délogé" de son fief de Kati, Sanogo est inculpé pour "complicité d’enlèvement" et écroué dans le cadre de l’enquête sur la disparition d’une vingtaine de bérets rouges en avril 2012. Depuis, il croupit en prison, comme une bonne dizaine de ses camarades qui ont fait la loi au Mali durant la transition.

Reconstruction de l’armée

Après avoir "nettoyé les écuries d’Augias", comme il le dit lui-même, IBK a lancé le vaste chantier de la reconstruction de l’armée. Mais celle-ci sera longue, et le chef de l’État ne pourra disposer, pour la mener, de l’un de ses collaborateurs les plus expérimentés : le ministre de la Défense, Soumeylou Boubèye Maïga, contraint à la démission après la débâcle de Kidal du 21 mai.

Quelle claque, que cette bataille de Kidal ! Claque militaire : des dizaines de soldats (officiellement une cinquantaine) ont perdu la vie dans les combats contre les groupes insurrectionnels touaregs, et les autres ont fui, laissant derrière eux leur matériel et l’honneur de leur armée. Claque politique, qui a provoqué la démission de Maïga et les critiques de l’opposition vis-à-vis du Premier ministre tout juste nommé, Moussa Mara, accusé d’avoir mis le feu aux poudres en se rendant dans le fief des Ifoghas, le 17 mai. Claque diplomatique enfin. La veille de l’assaut, le président avait assuré à ses interlocuteurs étrangers qu’il n’y aurait pas de combats.

"Ce qui s’est passé à Kidal résume la présidence IBK, juge un membre du premier gouvernement dirigé par Oumar Tatam Ly. Un président qui ne manque pas de bonne volonté, mais qui est dépassé, tant par les événements que par son entourage, qui n’a pas un projet clair pour son pays et qui, finalement, tâtonne."

C’est aussi ce que dénonce l’opposition. "Ce président semble n’avoir aucune feuille de route", se désolait le perdant du second tour de la présidentielle, Soumaïla Cissé, au lendemain du limogeage du Premier ministre Tatam Ly, sept mois seulement après sa nomination.

Même à Paris, où l’on se réjouissait de la victoire d’IBK en août 2013, on déchante.

Cette indécision a été particulièrement frappante concernant la situation dans le Nord. Alors qu’il disposait de soixante jours pour entamer les négociations, selon l’accord de Ouagadougou signé avant son élection entre le gouvernement de transition et les groupes rebelles, IBK a longtemps traîné les pieds. "Il aura fallu la défaite de Kidal pour qu’il se décide enfin à négocier, mais il était alors en position de faiblesse", peste un officier.

Pendant ce temps, la situation sécuritaire s’est aggravée dans le Nord, où une partie du territoire reconquis en 2013, avec l’aide des troupes françaises et africaines, a été à nouveau abandonnée aux rebelles et aux jihadistes.

Même à Paris, où l’on se réjouissait de sa victoire en août 2013, on déchante. "On a l’impression qu’il est arrivé à ses fins en se faisant élire et que, depuis, il se repose sur ses lauriers", déplore un diplomate. De fait, les réformes d’envergure se font attendre, même si le gouvernement en annonce pour les prochains mois, dont celle, très attendue, touchant à l’organisation territoriale, et une autre sur le statut de l’opposition.

La grogne sociale menace le gouvernement

La première des cinq années du mandat d’IBK a également été entachée de multiples scandales qui ont mis à mal ses discours de campagne. Il a d’abord été taxé de népotisme. "Ce n’est plus "le Mali d’abord", c’est "la famille d’abord" !" dénonce l’opposition, en référence au slogan de campagne du président. Plusieurs de ses ministres et collaborateurs sont en effet issus de sa famille ou de sa belle-famille. Son fils, Karim, s’est fait élire (contre l’avis d’IBK) à la tête de la très stratégique commission Défense de l’Assemblée nationale, où il siège pour la première fois et qui a pour président… son beau-père, Issaka Sidibé.

Le chef de l’État a ensuite fait la une des journaux pour ses liens d’amitié avec l’homme d’affaires corse Michel Tomi, mis en examen en France en juin. Les juges lui reprochent notamment d’avoir été trop généreux avec IBK avant son élection et d’avoir ensuite joué les intermédiaires dans des contrats troubles : la formation de la garde présidentielle et l’achat d’un avion présidentiel pour 20 milliards de F CFA (30,5 millions d’euros). Cette acquisition avait d’ailleurs valu au Mali bien des critiques.

Le Fonds monétaire international (FMI), qui s’intéresse également de près à l’achat de matériel militaire effectué fin 2013 par le ministère de la Défense (un curieux contrat dans lequel les intermédiaires sont multiples), a marqué son mécontentement, le 15 mai, en repoussant de plusieurs mois sa mission de revue, ce qui a eu pour conséquence le gel d’une partie des programmes d’appui budgétaire depuis la mi-juin.

Dans ce contexte, le Parti pour la renaissance nationale (Parena), de Tiébilé Dramé, l’opposant le plus virulent, a beau jeu d’évoquer un "immense gâchis". "Douze mois après son élection, l’immense espérance suscitée à l’intérieur et à l’extérieur du Mali s’est transformée en une profonde déception", estime ce parti.

Les Maliens, pour l’heure, semblent faire preuve d’une plus grande patience. Mais, déjà, la grogne sociale menace le gouvernement, qui, fin août, a dû faire face à sa première grève générale des travailleurs.

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