« Les Tribulations du dernier Sijilmassi » : « burn out » sous le burnous avec Fouad Laroui

Qui n’a jamais eu envie de changer de vie ? Un ingénieur marocain, héros du dernier livre de notre collaborateur Fouad Laroui, en lice pour le Goncourt, y est bien résolu. Mais de la coupe aux lèvres…

Les tribulations du dernier Sijilmassi, de Fouad Laroui. © DR

Les tribulations du dernier Sijilmassi, de Fouad Laroui. © DR

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Publié le 19 septembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Pas facile, cette chienne de vie ! Prenez le cas d’un Marocain parmi d’autres. Adam Sijilmassi, ingénieur à l’Office des bitumes du Tadla, beau salaire, appartement de fonction et avenir prometteur, d’après ses chefs. Oh bien sûr tout n’est pas rose : Naïma, son épouse, est capricieuse et sotte (mais jolie et désirable, c’est l’essentiel), ils n’ont pas d’enfant (mais un chat, ça compense) et Adam est affligé d’une belle-mère envahissante (pléonasme).

À part cela, tout va bien. Du moins en apparence. Une apparence qui va exploser en plein vol – c’est le cas de le dire, puisque notre héros est saisi d’une crise existentielle alors qu’il se trouve à bord d’un avion, à mille pieds d’altitude, au-dessus de la mer d’Andaman.

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"Qu’est-ce que je fais ici ?" se demande-t-il soudain, pris de panique à la vue de ses compagnons de voyage : des hommes d’affaires "penchés sur des revues, des rapports, des écrans, portant le même costume sombre, la même chemise blanche, la même cravate".

Suit la seconde question, tout aussi angoissante : "Est-ce cela que je suis ?" Enfin, l’horrible vérité : "Je ne veux plus me retrouver dans un avion puis dans un autre, coucher dans des hôtels qui se ressemblent tous, me réveillant à Kuala ou à Sydney en me demandant où je suis, parfois même qui je suis ; courant, transpirant. Et tout cela pourquoi ? Pour vendre du bitume. Pourquoi cette course effrénée ? Je veux ralentir."

Il ne fait pas bon être philosophe

Et ralentir, pour Adam Sijilmassi, dernier rejeton d’une illustre famille originaire d’Azemmour (près de Casablanca), cela signifie aller au même rythme, lent et majestueux, que ses aïeux en leur temps : son grand-père, qui n’a jamais dépassé la vitesse d’un galop de pur-sang, ou son père, juché sur son Solex noir. À peine arrivé à l’aéroport de Casablanca, Adam veut se rendre dans la ville à pied. Ce qui lui vaut – déjà – de passer pour un original. Les ennuis ne font que commencer. Lorsqu’il apprend à Naïma qu’il veut changer de vie, elle le croit fou. Hélas, il n’a jamais été aussi sérieux.

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Allant de surprise en surprise, Adam découvre, lorsqu’il démissionne, combien le monde change autour de lui. Sa femme ? Elle n’était que vénale. Ses ex-collègues ? Ils se révèlent sans pitié. Son gardien d’immeuble, hier encore si servile ? Arrogant.

Suit un parcours initiatique qui mène notre ingénieur jusqu’à la demeure familiale des Sijilmassi, dans leur fief d’Azemmour. Là, il mène une vie d’ascète, ne s’alimentant quasi plus que des livres en arabe légués par son grand-père, comme ceux d’Ibn Tofayl ou d’Ibn Roshd.

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Mais impossible de rester dans sa tour d’ivoire : Azemmour est pris en tenaille entre les islamistes d’un côté et la police secrète, bras armé du Makhzen, de l’autre. Récupéré par les uns, menacé par les autres, bref, sommé de prendre parti, Adam est projeté dans un tourbillon qui finira par le broyer. On s’en doutait depuis Candide : il ne fait pas bon être philosophe…

Conte satirique, dissertation sur la vanité du monde, enquête sur le malaise identitaire qui étreint des élites maghrébines européanisées mais en quête de leurs racines… Dans Les Tribulations du dernier Sijilmassi, Fouad Laroui jongle sur ces différents registres. Prix Goncourt de la nouvelle en 2013, notre collaborateur, natif du royaume chérifien, auteur francophone, poète néerlandophone (il enseigne la littérature à l’université d’Amsterdam), signe un roman burlesque et grinçant de vérité.

Les tribulations du dernier Sijilmassi, de Fouad Laroui. Éd. Julliard, 342 pages, 20 euros

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