RFI : Yasmine Chouaki, ondes métisses

Issue de l’immigration, journaliste à Radio France internationale, elle reçoit chaque semaine dans En sol majeur des personnalités riches d’une double culture.

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Publié le 19 septembre 2014 Lecture : 4 minutes.

Frêle silhouette à la beauté fragile qui ne parvient pas toujours à dissimuler un mal-être profond, Yasmine Chouaki est de ces battantes qui s’ignorent. Une de ces forces de caractère qui refusent les faux-semblants et décident, coûte que coûte, de partir à la rencontre de ce qu’elles sont, fût-ce au prix de douloureux tiraillements.

Une de ces âmes libres qui tournent le dos aux qu’en-dira-t-on et choisissent d’écrire leur destin parce qu’elles ont compris que la différence est l’une des richesses qui permettra de sauver ce monde qui se replie sur lui-même.

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Longtemps au bord du gouffre, cette Franco-Algérienne se tient désormais près de la faille de son histoire personnelle sans sombrer. Et en a tiré une résilience et une énergie qu’elle partage avec ses invités sur le plateau de l’émission En sol majeur, diffusée sur Radio France internationale (RFI).

Un programme réalisé depuis 2009 avec Caroline Filliette et Laura Pinto, qui l’aident à « jouer la partition du métissage de façon ludique et musicale » avec des invités de « double culture » dont l’histoire est « jalonnée d’espérance, de combats, d’humiliations, de rêves ».

« Il faut que tu sois fière d’être algérienne »

Yasmine Chouaki, née d’une fille d’ouvrière berrichonne qui aujourd’hui avoue « n’être bien qu’avec les gens de sa race » et d’un berger kabyle, arrivé en France en 1957, qui reniera son identité pour s’intégrer, pourrait sans conteste être l’une de ses invitées. Son père, qui l’a fait baptiser, lui a donné « le prénom le plus christique qui soit ». Et alors qu’il ne lui parlait jamais de sa culture ni de sa langue ou de sa religion, il lui répétait : « Il faut que tu sois fière d’être algérienne, Christine ! » Laquelle usera de son second prénom dès qu’elle foulera seule le sol algérien pour s’y installer, à 25 ans.

Je suis une métisse en devenir permanent, beaucoup plus métissée qu’hier et bien moins que demain.

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En rupture avec ses parents après une tentative de suicide six années plus tôt, la jeune femme s’est exilée un temps en Suisse, où elle a appris le journalisme à Couleur 3, station de la Radio suisse romande, puis à New York, où elle s’est découverte algérienne et a décidé de partir à la rencontre de cette partie d’elle-même qu’elle ignorait. « Mon père a fait un chemin inouï que j’ai contredit », explique-t-elle en prenant une bonne dose de caféine et de vitamine C avant d’entamer sa journée à RFI.

Lorsqu’elle débarque dans sa famille paternelle, sa grand-mère l’accueille à bras ouverts : « Elle a été un repère pour moi », un pilier sur lequel se construire. « J’ai demandé la nationalité algérienne, Je reprenais ainsi mon dû », confie celle qui avouait, dans une auto-interview, en 2012, avoir « du sang colon et du sang indigène » et « ne pas très bien savoir quoi faire avec ça ». « Je suis une métisse en devenir permanent, beaucoup plus métissée qu’hier et bien moins que demain », dit-elle.

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À Alger, la jeune femme rencontre l’amour et se marie avec le dramaturge et romancier Aziz Chouaki, qui sera le second pilier dont elle a besoin : « Il me structure totalement, dit-elle. Il est ma pièce manquante. » Pendant cinq ans, Yasmine Chouaki apprend l’arabe, étudie les lettres à l’université tout en travaillant à la radio Chaîne 3. « Je fais tout ce qu’il ne faut pas faire, avoue-t-elle. Je m’adresse à l’imaginaire des Algériens sans le connaître. Je transgresse beaucoup de tabous sans le savoir. »

L’aventure prend fin en 1990, quand son mari reçoit des menaces de mort et qu’elle-même se fait congédier de la radio, quittant les locaux encadrée par deux policiers. « Je suis revenue à Paris fauchée par la vie car je n’avais pas fini mon histoire avec l’Algérie. Un impossible s’est joué avec ce pays. »

Orientalisée, désorientalisée, réoccidentalisée

Se confronter à l’histoire multiple des personnes qu’elle interviewe lui aura permis, concède-t-elle aujourd’hui, de se réparer. « Je me suis orientalisée, désorientalisée, réoccidentalisée. Et mes invités m’auront appris que quitter son origine, y retourner, tourner autour, c’est un destin, une pierre précieuse » à valoriser dans un pays où les tensions communautaires s’éveillent.

« Je suis très inquiète du charme épouvantable que peuvent incarner Marine et Marion Le Pen tout comme je crains la montée d’un islamisme en France. On est assis sur une bombe : on ne fait rien de ce qu’il faut par rapport à notre histoire coloniale et on va le payer cher. J’aimerais qu’un jour, dans notre pays, s’élève une « Christiane Taubira de la colonisation » ! De la même manière qu’il est bienvenu de voir un historien israélien comme Shlomo Sand reconnaître que l’État d’Israël se comporte comme un État colonisateur, j’aimerais qu’une personnalité française – pas forcément issue de la diversité – se lève pour demander qu’une loi reconnaisse enfin la colonisation comme crime contre l’humanité. »

Alors, Yasmine Chouaki, « rentrer à la maison, pour vous, ça veut dire quoi » ? « C’est être bien dans mon ventre et être dans l’écriture », répond-elle le sourire aux lèvres, amusée de devoir répondre à l’une des incontournables questions qu’elle pose à ceux qui sont d’ici et d’ailleurs.

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