Abdelmalek Alaoui, l’homme qui murmure à l’oreille des puissants

Sans renier l’héritage de son père, indéboulonnable ministre de Hassan II, Abdelmalek Alaoui ne doit sa réussite qu’à son talent. Fondateur de Global Intelligence Partners, il conseille grands patrons et hommes politiques.

Abdelmalek Alaoui est né à Rabat en 1978. Il est le fils de Moulay Ahmed Alaoui, membre du gouvernement marocain entre 1956 et 1998. © Hassan Ouazzani/JA

Abdelmalek Alaoui est né à Rabat en 1978. Il est le fils de Moulay Ahmed Alaoui, membre du gouvernement marocain entre 1956 et 1998. © Hassan Ouazzani/JA

Publié le 19 septembre 2014 Lecture : 5 minutes.

La plupart des consultants marocains sont installés à Casablanca, le grand centre des affaires du royaume. Pas lui. Abdelmalek Alaoui a choisi d’implanter le siège de Global Intelligence Partners (GIP) dans un quartier huppé de Rabat, la capitale administrative. Au plus près du pouvoir. « C’est ici que je travaille. Mais je dispose aussi d’un autre local, plus discret, où je reçois mes clients. La confidentialité est essentielle dans notre métier », explique-t-il en tirant une bouffée de son cigare cubain.

Abdelmalek Alaoui a grandi dans une famille pas comme les autres. Son père, Moulay Ahmed Alaoui (décédé en 2002), était l’un des grands serviteurs du trône et un proche de la famille royale. Il fut ministre sans interruption de 1956 à 1998. Sa mère, Assia Bensalah Alaoui, est aujourd’hui ambassadrice itinérante de Mohammed VI.

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Quand on s’appelle Alaoui au Maroc, les portes s’ouvrent assez facilement. Mais quand on est le fils du vizir Moulay Ahmed, pas besoin de frapper…

« Je suis un enfant du Makhzen. J’ai grandi dans une maison avec un hall immense et une magnifique bibliothèque. J’ai vu défiler de nombreuses personnalités marocaines et étrangères dans notre salon. Cette ambiance peut être une source de stress dans une famille, mais cela offre aussi de nombreux avantages », confie-t-il.

Parmi ces atouts : un réseau impressionnant. Quand on s’appelle Alaoui au royaume chérifien, les portes s’ouvrent assez facilement. Mais quand on est le fils du vizir Moulay Ahmed, elles s’ouvrent avant même qu’on y frappe. Pourtant, cet héritage peut vite devenir pesant pour qui veut se faire un prénom.

« Plus jeune, je m’étais juré de ne jamais côtoyer les puissants, de ne jamais faire de politique… », se souvient celui qui, aujourd’hui, dans le royaume, et même dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, murmure à l’oreille des grands.

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Dans l’ombre

De fait, Abdelmalek Alaoui s’est affirmé à l’écart des arcanes du Palais et des cabinets ministériels. Dès 2005, il se lance dans des activités alors assez nouvelles au Maroc : l’intelligence économique, le lobbying et la communication d’influence. Aujourd’hui, sa société emploie une vingtaine de consultants et surveille quotidiennement quelque 15 000 sources d’information.

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Diplômé de l’École de guerre économique de Paris, de Sciences-Po Paris et de HEC, Abdelmalek Alaoui est aujourd’hui l’un des experts les plus en vue dans ces domaines. Et il ne manque pas de clients. Non seulement il conseille des grands patrons marocains comme Mostafa Terrab (OCP), Abdeslam Ahizoune (Maroc Telecom) ou Moulay Hafid Elalamy (alias MHE, groupe Saham), mais remporte aussi presque tous les contrats de veille stratégique proposés par le gouvernement. Il a ainsi mis en place des cellules de veille au sein des ministères du Tourisme ou du Commerce et de l’Industrie, ainsi qu’à l’Établissement de contrôle et de coordination des exportations (EACCE), organisme public rattaché au ministère de l’Agriculture.

JA2800 p100 parcours Abdelmalek AlaouiVeille stratégique et sectorielle 

La clientèle de sa société s’étend même désormais jusqu’au sud du Sahara. Au Bénin, en Éthiopie, au Togo ou au Burkina Faso, Abdelmalek Alaoui traite directement avec les premiers cercles du pouvoir. Que vend-il au juste ? « De la veille stratégique et sectorielle, du conseil en stratégie et en communication de crise… Nous agissons également lors de campagnes électorales pour veiller sur les adversaires politiques de nos clients », explique le patron de GIP.

« Enfin, lorsqu’un secteur ou une personnalité fait l’objet d’une tentative de déstabilisation, nous intervenons pour coordonner une contre-offensive médiatique », ajoute-t-il, en restant évasif sur les moyens employés.

Redorer l’image

Malgré sa discrétion, les observateurs savent qu’il a contribué à forger la nouvelle image de Moulay Hafid Elalamy. Naguère qualifié de « patron prédateur », ce dernier est devenu aux yeux des médias « un grand philanthrope », « un patron patriote ».

« Un travail de fond a été mené pour redorer l’image du fondateur du groupe Saham et faire oublier les coups de Bourse qui l’ont enrichi à la fin des années 1990, assure un proche collaborateur de celui qui est devenu, en 2013, ministre du Commerce et de l’Industrie. Pour cela, MHE a créé notamment la Fondation pour l’égalité des chances et il a financé des projets de jeunes entrepreneurs. C’est Abdelmalek Alaoui qui lui a soufflé certaines de ces idées. »

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Autre mission pour laquelle le lobbyiste a agi dans l’ombre : la négociation des accords agricoles avec l’Union européenne en 2010. « Il a été mandaté par le ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch, pour infléchir la position de certains parlementaires et médias européens qui s’opposaient farouchement à la reconduction des accords. Akhannouch a d’ailleurs payé cette prestation sur ses deniers, car elle était hors budget pour le ministère », confie une source proche du dossier.

Doté d’un exceptionnel sens de la repartie qui n’est pas sans rappeler l’éloquence de son défunt père, Abdelmalek Alaoui est aussi à la manoeuvre lors du torpillage de la proposition de loi de 2013 qui visait à interdire la publicité pour l’alcool, défendue par le groupe parlementaire du Parti de la justice et du développement (PJD – islamiste – au pouvoir).

« Tout le monde croyait que cette loi allait passer comme une lettre à la poste, car il est toujours difficile de défendre l’industrie de l’alcool, surtout dans un pays musulman. Mais Abdelmalek a sorti un lapin de son chapeau : l’association des producteurs de raisins, inconnue jusque-là. L’idée était de montrer aux députés et à l’opinion que cette interdiction allait mettre en péril toute une filière agricole qui emploie des milliers de paysans modestes. Et ça a marché ! » raconte un collaborateur du communicant.

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Médias

Pour certains professionnels du secteur, le succès fulgurant de GIP s’explique en grande partie par sa proximité avec le Palais. Mais le jeune patron jure, la main sur le coeur, qu’il n’en est rien. « Pour la moitié des missions qui nous sont confiées, nous avons remporté le contrat via un appel d’offres ; l’autre moitié émane de clients à l’international. Il est vrai qu’avoir un bon réseau est essentiel pour réussir en affaires. Mais cela ne fait pas tout. Pour s’imposer dans ce métier, il faut surtout être crédible. Et je pense que les résultats concrets que j’ai obtenus témoignent du savoir-faire de GIP », avance-t-il.

Auteur de plusieurs ouvrages dont Intelligence économique et guerres secrètes au Maroc (Éditions Alphée) – le livre le plus vendu dans le royaume en 2010 -, Abdelmalek Alaoui publie régulièrement des chroniques dans l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur ou le magazine américain Forbes. Il voudrait même lancer son propre média – certains affirment qu’il est derrière le projet de lancement du site internet Huffington Post Maroc, qui devrait voir le jour avant la fin de l’année. Le père conseillait le roi, le fils est le roi du conseil.

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