Gabon – Ali Bongo Ondimba : « Le temps de l’impunité est révolu »

Bilan, gouvernement, réformes, opposition, présidentielle 2016, corruption, Centrafrique, France… Cinq ans après son élection, le chef de l’État gabonais s’explique.

Ali Bongo Ondimba revient sur son bila,; les présidentielles, Ebola, le terrorisme… © Desirey Minkoh pour J.A.

Ali Bongo Ondimba revient sur son bila,; les présidentielles, Ebola, le terrorisme… © Desirey Minkoh pour J.A.

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Publié le 16 septembre 2014 Lecture : 19 minutes.

Libreville, fin août. Difficile, dès la sortie de l’avion, d’échapper au spectre Ebola : panneaux d’information géants et blouses blanches vous attendent avant même la police des frontières et les douaniers. Difficile également de ne pas percevoir l’autre fièvre qui, elle, frappe le pays : celle qui touche les politiques.

À deux ans de la présidentielle, c’est déjà la panique sur l’échiquier. Bien sûr, la grande mue de Jean Ping y est pour beaucoup. Le jadis très diplomate président de la Commission de l’Union africaine (UA) s’est transformé en tonton flingueur. Dans son viseur : Ali Bongo Ondimba (ABO). Il rejoint la cohorte des ex de "papa Omar", barons de l’ancien parti unique qui rêvent de déloger le fils du palais présidentiel.

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Pierre Mamboundou n’est plus de ce monde, André Mba Obame, malade, a disparu des écrans radars. Voilà donc Jean Ping en nouvelle tête d’affiche. Piquant, pour ceux qui se souviennent des relations qu’il s’est évertué à entretenir avec le président quand il briguait un second mandat à la tête de l’UA… En tout cas, l’opposition a repris du poil de la bête.

Une "chasse aux sorcières"

L’autre cause de cette subite hausse de tension tient en un mot : audits. Dans un pays où l’élite et les politiques ont érigé en art la confusion entre leurs portefeuilles et les caisses de l’État, ils sont nombreux à craindre les investigations de la Direction générale du contrôle des ressources et des charges publiques. Dans l’administration, dans l’opposition ou au sein des entreprises phares du pays, on rase les murs, l’échine parcourue de sueurs froides, en priant pour échapper à la justice gabonaise.

Les adversaires d’Ali, qui ont tous été aux affaires du temps du généreux et peu sourcilleux Omar, dénoncent déjà une chasse aux sorcières. Ceux de son camp qui sont inquiets exhibent la menace d’un départ avec armes et bagages chez l’ennemi. Les "makayas", les Gabonais d’"en bas", eux, observent avec une pointe d’amusement et sans doute une certaine incrédulité les premiers chapitres d’un thriller qui promet d’être sanglant.

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Le chef de l’État nous a reçu dans son immense bureau du premier étage du Palais du bord de mer le 26 août. Il revient notamment sur les cinq années qui se sont écoulées depuis son élection, répond aux critiques et explique comment il entend réveiller la belle endormie d’Afrique centrale…

JEUNE AFRIQUE : L’ambiance politique est électrique à Libreville. La présidentielle ne se tiendra que dans deux ans, et déjà les esprits s’échauffent. Vous y attendiez-vous ?

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ALI BONGO ONDIMBA : Le remue-ménage auquel nous assistons ne me surprend guère : c’est souvent l’opposition qui lance les hostilités en premier. C’est normal, nous sommes préoccupés par les tâches qui nous incombent, alors qu’elle n’a rien d’autre à faire que de penser au prochain scrutin.

André Mba Obame éloigné de l’arène politique par la maladie, votre plus virulent adversaire est aujourd’hui Jean Ping, l’ancien président de la Commission de l’Union africaine (UA). Vous vous connaissez depuis longtemps. Comment avez-vous vécu son basculement dans l’opposition ?

Je le connais, effectivement, depuis de très nombreuses années. Mais je n’ai pas été surpris. Lorsque nous avons envoyé des émissaires auprès de plusieurs chefs d’État pour solliciter leur soutien à la réélection de M. Ping à la tête de la Commission de l’UA, certains d’entre eux se sont étonnés et leur ont répondu : "Ali veut qu’on soutienne Ping, mais sait-il ce que Ping dit et pense de lui ?" Il tenait un double langage, devant moi, et devant les autres. À partir de ce moment-là, nous savions que, tôt ou tard, il se retrouverait dans le camp d’en face…

Il ne mâche pas ses mots et multiplie les attaques à votre encontre. Il vous traite d’autocrate, et vos collaborateurs de "légion étrangère". Il accuse votre directeur de cabinet Maixent Accrombessi d’être le véritable président du pays et décrit un Gabon qui va droit dans le mur… Que lui répondez-vous ?

Je n’ai pas de temps à perdre avec ce type de girouette. Je note cependant que c’est le même Ping qui m’encourageait et me félicitait, avec force obséquiosité, chaque fois qu’il venait me rendre visite à Libreville.

Après Mba Obame, c’est tout de même le deuxième ­proche collaborateur de votre père, avec qui vous avez travaillé, qui devient votre principal opposant. Cela commence à faire beaucoup…

Vous oubliez Oyé Mba, Eyéghé Ndong, Myboto, Adiahénot… La liste est longue !

Jean Ping et Mba Obame sont quand même largement plus virulents.

Il s’agit pour eux de se faire entendre, voilà tout. Car, en dehors des insultes, ils n’ont rien à proposer. Tenez : connaissez-vous le programme de M. Ping ?

Non…

C’est normal, il n’en a pas. Omar Bongo disait souvent : "Le chien aboie, la caravane passe." Nous avons bien d’autres choses à faire que de gaspiller notre temps à nous préoccuper de ce type de personnage.


Rencontre avec Jean Ping, alors président de la Commission de l’Union africaine
dans la résidence présidentielle, en mars 2012. © DR

La proximité de Jean Ping avec votre soeur Pascaline [ils ont eu deux enfants ensemble, NDLR], avec qui vous entretiendriez des rapports plutôt tendus, rend-elle la situation plus complexe ?

Contrairement à ce que vous pensez, ma soeur et moi entretenons de bonnes relations familiales. Quant à ses relations à elle, posez-lui la question directement.

Dans la perspective de 2016, l’opposition tente de s’unir. Craignez-vous une candidature unique ?

L’opposition fait ce qu’elle veut. Ce type de stratégie n’est pas nouveau chez nous. Ce serait même assez logique. Ce qui me préoccupe, c’est mon camp, point.

>> Lire aussi l’interview de Joseph John-Nambo : "L’opposition gabonaise essaie d’exister comme elle le peut"

Vous avez lancé cette année un pacte social destiné essentiellement à la lutte contre la pauvreté, signé par des partis politiques regroupés au sein d’une nouvelle majorité présidentielle. Cela ressemble quand même à des grandes manoeuvres en vue de 2016…

Non, ce rassemblement consistait à répondre à une exigence : sortir nos compatriotes de la précarité et lutter contre les inégalités. Nous avons élaboré une stratégie de développement humain qui repose sur d’importants investissements et qui répond aux problèmes relevés dans une étude minutieuse et exhaustive, la première dans l’histoire du pays, réalisée par le cabinet McKinsey.

J’ai invité les différentes forces politiques, la société civile, les parlementaires et les diplomates à s’y intéresser et à y participer. Certains ont estimé, quels que soient leurs projets ou leurs obédiences, qu’ils devaient nous accompagner, d’autres non.


Construction de logements sociaux dans le quartier d’Angondjé, à Libreville.
© David Ignaszeweski pour J.A.

Ce pacte social, en résumé un programme contre la pauvreté, arrive sans doute un peu tard. Pourquoi l’avoir lancé seulement maintenant ?

Il n’y a pas besoin d’être un génie, effectivement, pour remarquer le problème. Ce qui m’intéressait avant tout, c’était d’obtenir une analyse beaucoup plus fine que ce simple constat. Beaucoup de questions se posent, ici comme ailleurs en Afrique, pour identifier les causes, les défaillances de l’État, les pistes de solutions pérennes… Cela commence par savoir où, géographiquement, se situent les poches de pauvreté les plus importantes.

Plutôt que de se baser sur une vague idée, nous avons souhaité obtenir la photographie le plus précise possible de ceux qui souffrent au Gabon. C’est aujourd’hui le cas. Et les solutions n’en seront que meilleures. Au passage, je signale que cette étude a été rendue publique.

Dans cette lutte contre la précarité, quels objectifs vous fixez-vous et de quels moyens disposez-vous ?

Notre philosophie, c’est la conditionnalité. L’État est prêt à vous aider si vous faites un certain nombre d’efforts, si vous êtes plus responsable. Nous ne sommes pas là pour distribuer de l’argent de manière stérile mais pour aider les Gabonais à mieux vivre, notamment grâce à leur travail. "Apprendre à pêcher, comme disent les Chinois, plutôt que de donner du poisson." La nuance est de taille.

Sur le plan des moyens, nous avons décidé de consacrer, sur les trois prochaines années, environ 250 milliards de F CFA [plus de 380 millions d’euros]. Ensuite, nous ferons le point afin de voir s’il faut accélérer l’effort, mieux le répartir, etc.

Quel bilan tirez-vous des cinq ans qui se sont écoulés depuis votre élection ?

Nous avons trouvé le pays dans une situation politique et économique délicate, avec la disparition du défunt président, pilier de la nation pendant plus de quatre décennies, et un taux de croissance négatif. Il fallait prendre le taureau par les cornes, dans l’urgence et sans véritable préparation. Depuis, le pays est resté stable, et notre taux de croissance oscille entre 5 % et 7 %. C’est donc encourageant, le signe que nos réformes portent leurs fruits.

Premier effort important : les infrastructures, auxquelles nous devons consacrer l’essentiel de nos investissements. Les années précédentes, tout le monde nous disait qu’il n’était pas possible d’y consacrer plus de 200 milliards de F CFA tant le budget de fonctionnement était important. Or, dès la première année, nous sommes passés à 600 milliards de F CFA.

Autre priorité : diversifier notre économie. Aujourd’hui, notre taux de croissance hors pétrole est à deux chiffres, preuve que notre politique, celle de la transformation locale des matières premières, a été judicieuse. Quand nous avons décidé d’interdire, dans le secteur du bois, l’exportation des grumes, cela nous a valu nombre de quolibets. Comment expliquer que, près de cinquante-quatre ans après notre indépendance, avec 88 % du territoire recouvert par la forêt, nous n’utilisions pas le bois dans la construction ?

Ou que nous achetions des meubles fabriqués à l’extérieur du pays, produits à partir de bois gabonais ? Au Gabon, comme souvent ailleurs en Afrique, nous marchons sur la tête ! Notre objectif, d’ici à 2020, est donc que plus aucun produit ne soit exporté sans avoir subi localement une première transformation.

>> Lire aussi : retour sur le terrain électoral

Et qu’est-ce qui n’a pas marché ?

L’échec, en tout cas ce sur quoi nous n’avons pas encore réussi, c’est le logement. J’ai promis, lors de la campagne présidentielle de 2009, de fournir 5 000 logements par an. Je n’ai pas tenu cette promesse. À vrai dire, j’ai sous-estimé les difficultés et les écueils. Je pensais qu’il suffisait de réunir les moyens et d’avoir la volonté. Erreur ! Le secteur n’était pas organisé.

Il n’y avait pas de politique d’urbanisme ou d’assainissement dans la capitale, pourtant construite sur une zone marécageuse. Et aucun cadre législatif attractif pour les investisseurs qui auraient pu compléter l’offre de l’État. L’acquisition d’une maison était jusqu’à présent réservée aux personnes nanties. Car obtenir un crédit à long terme et à des taux supportables par le plus grand nombre était mission impossible !

Bref, avant de se lancer dans les chantiers, il a fallu réformer. Cela a pris beaucoup plus de temps que je ne pensais. Idem dans les secteurs de l’eau et de l’électricité. Mais cela commence à s’améliorer.

Vous avez lancé un audit des finances publiques qui fait grand bruit. C’est peu dire qu’au Gabon elles sont réputées être "volatiles"…

Lorsque vous arrivez à la tête d’une administration, d’une entreprise ou d’un État, vous faites d’abord le tour du propriétaire. Nous l’avons fait, et avons trouvé des choses pas très reluisantes. Notamment en ce qui concerne la dette intérieure.

C’est la raison pour laquelle nous avons arrêté de payer les entreprises auxquelles nous devions de l’argent, le temps d’y voir plus clair. Contrairement à ce que beaucoup ont affirmé, les caisses de l’État n’étaient pas vides. J’ai voulu comprendre, mieux discerner ce qui nous était imputable de ce qui était frauduleux ou fantaisiste. Depuis un certain nombre d’années, dans notre pays, tout le monde réclame que les finances publiques soient assainies. Mais personne ne l’avait encore fait. Eh bien nous, nous allons le faire.

Et vous verrez que ceux qui réclamaient cet assainissement sont les mêmes que vous entendrez bientôt protester.

Parce qu’ils seraient concernés ?

Mais évidemment ! Notamment ceux qui étaient aux affaires avant, qui se drapent aujourd’hui dans les habits d’opposants et nous font la leçon. Assainir, mettre fin aux abus délirants qu’il y a eu ici, oui, mais chez les autres… Sinon, ils appellent cela une "chasse aux sorcières".

Ce n’est pas le premier audit dans l’histoire du Gabon, mais les poursuites sont extrêmement rares…

Le temps de l’impunité est révolu. Les enquêtes sont en cours, et elles aboutiront. Ceux qui pourront rembourser l’État le feront. Ceux qui ne s’exécuteront pas subiront des sanctions. Cette dynamique ne s’arrêtera pas de sitôt. Nous sommes même en train de prendre des contacts à l’étranger pour nous soutenir dans cette démarche. Car l’évasion fiscale ne touche pas que les Occidentaux…

Pour que vos opposants n’appellent pas cela une "chasse aux sorcières", encore faut-il que tout le monde, y compris dans votre camp, soit entendu et susceptible d’être condamné. Beaucoup doutent de cette impartialité.

Je les rassure, personne ne sera épargné. Pour preuve : les premières interpellations ont touché des gens assimilés à mon camp. Vous entendez des cris d’orfraie, certains deviennent subitement opposants, et je vais me faire pas mal d’ennemis. Mais je pense que cette démarche recevra l’approbation des Gabonais.

Vous avez nommé, en janvier, un nouveau Premier ministre, Daniel Ona Ondo. Il s’agit du troisième en cinq ans. Cette fois, c’est le bon ?

Le choix d’un Premier ministre correspond à une situation donnée, à un moment particulier, dans un contexte bien précis. Inutile donc de comparer les différents titulaires du poste. Daniel Ona Ondo est en tout cas un homme d’expérience, qui peut nous aider à atteindre les nouveaux objectifs que nous nous sommes fixés.


Daniel Ona Ondo, le nouveau Premier ministre? © D.R.

Êtes-vous satisfait de votre équipe gouvernementale ?

Non, car les Gabonais attendent beaucoup plus. Je suis quelqu’un de très exigeant et je dirais "peut mieux faire". Et, surtout "doit mieux faire".

Ces derniers mois ont été marqués par de très nombreuses grèves, dans des secteurs clés comme l’école, l’hôpital, la douane, les impôts ou le pétrole. Quel signe y voyez-vous ?

Que la réforme n’est pas chose aisée. Un certain nombre de grèves ont commencé après la décision de réorganiser ce qui me semblait représenter un frein à notre développement, à savoir les fonds communs [système ancien et généralisé de primes octroyées aux fonctionnaires, devant être remplacé par la prime d’incitation à la performance, NDLR].

Ces mouvements avaient pour objectif de nous empêcher de travailler, d’obtenir des résultats et, surtout, de faire les réformes. Ceux qui se lancent dans des grèves devraient déjà se demander si, sur le terrain, ils sont à la hauteur. Est-ce que ceux qui manifestent, sans service minimum, dans le secteur de la santé, en pleine épidémie d’Ebola, sont conscients de leurs responsabilités ? Ils veulent plus ? J’ai indiqué que je n’ai rien contre la distribution des primes ou autres avantages.

Mais je demande à ce que le travail soit apprécié. Si l’on fait plus, si l’on travaille mieux, on peut réclamer plus. Mais vouloir toujours davantage sans contrepartie, voire même sans faire son travail le plus élémentaire, c’est non.

Le chinois Addax et le français Total ont été l’objet de redressements fiscaux spectaculaires (respectivement 400 millions et 805 millions de dollars). Comment en est-on arrivé là ?

Cela procède de la même idée : dans tous les secteurs d’activité, nous avons voulu comprendre comment les choses se déroulaient. Le secteur pétrolier a donc été audité. Nous nous sommes aperçus qu’un certain nombre de sociétés se trouvaient dans une situation opaque. Dans quel pays du monde l’administration fiscale ne va pas vérifier si les entreprises sont à jour, et paient leurs impôts ?

Il ne s’agit pas de n’importe quelles entreprises. Total, fleuron de l’ex-puissance coloniale, n’est guère habitué à ce genre de mise au point… Ne pensez-vous pas que cela puisse avoir des répercussions sur vos rapports avec la France ?

Le politique n’a rien à voir avec l’administration. Si l’administration fiscale constate qu’une entreprise ne paie pas correctement ses impôts, elle émet un avis de redressement, et les deux parties entrent alors en négociation pour trouver un terrain d’entente. Rien de plus normal. Le Gabon ne peut-il pas se comporter comme les autres nations ?

Avoir le droit ne signifie pas pour autant que cela ne suscite pas de réactions…

Les réactions sont légitimes, mais il faut trouver un terrain d’entente au lieu d’entrer dans des susceptibilités politiques qui seront vaines. Dans le cas de Total, cela n’a aucunement bouleversé les relations diplomatiques que nous entretenons avec la France.

Il fut un temps où les choses ne se seraient pas passées ainsi…

Le président Hollande et moi avons décidé de laisser les administrations faire leur travail. Nous n’intervenons pas.


Avec François Hollande sur le porte-avion Charles-de-Gaulle, lors du 70è anniversaire
du débarquement en Provence. © Desirey Minkoh

Vous ne connaissiez pas François Hollande lorsqu’il a été élu, alors que vous étiez assez proche de Nicolas Sarkozy. Comment évolue votre relation ?

Il nous a fallu une année entière pour faire connaissance et s’apprécier l’un l’autre, notamment en travaillant sur des dossiers délicats comme celui de la Centrafrique. Aujourd’hui, nous entretenons de très bons rapports. La France est notre premier partenaire économique et les liens qui nous unissent sont étroits et anciens : le président de la République gabonaise sera toujours en bons termes avec le président de la République française. Quel qu’il soit.

Le Gabon n’est évidemment pas à l’abri de l’épidémie Ebola, dont il fut l’un des foyers dans les années 2000. Comment gérez-vous cette menace ?

Comme tout le monde désormais, avec une vigilance accrue. Nous disposons de structures et de laboratoires compétents et efficaces, comme le Centre international de recherches médicales de Franceville, dont la réputation n’est plus à faire.

Un effort de sensibilisation très important est mené auprès de la population, en toute transparence. Face à Ebola, il n’y a pas trente-six solutions : il faut dépister ceux qui viennent de l’extérieur et qui pourraient avoir été atteints, expliquer les risques et fournir les recommandations d’usage partout dans le pays, disposer de tout l’équipement médical adéquat en cas de détection d’un cas, circonscrire les éventuelles zones affectées, etc. Nous sommes prêts.

Vous assurez la présidence de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) jusqu’au prochain sommet, dont la date n’a pas été déterminée. La principale inquiétude dans la région demeure la crise centrafricaine, qui n’en finit pas…

Le sommet de la Cemac aura lieu avant la fin de l’année. Il est certain que la crise centrafricaine a occupé toutes nos réunions et nécessité d’importants moyens financiers pour venir en aide au pays et à ses ressortissants. Les Centrafricains doivent comprendre qu’en aucun cas il ne peut y avoir d’issue militaire. Un camp pourrait l’emporter sur l’autre, ponctuellement, mais cela ne ferait que nourrir un cycle infernal.

La violence n’engendre que la violence. La réconciliation est inévitable, et la solution demeure politique. Ce n’est pas impossible : si les Rwandais ont pu se réconcilier, ils le peuvent également. Nous pouvons les y aider, mais nous ne pouvons pas prendre les décisions à leur place.


Sommet extraordinaire sur la Centrafriqe de la Communauté
écnomique des États d’Afrique centrale (Ceeac) en avril 2013
à N’Djamena, au Tchad. © Elmond Jiyane/AFP

Catherine Samba-Panza vous semble-t-elle être la femme de la situation ?

Elle n’a pas de baguette magique. Les problèmes auxquels elle fait face ne lui sont pas imputables et n’importe qui d’autre à sa place rencontrerait les mêmes difficultés.

Sur un plan plus institutionnel, la Cemac ne brille pas par ses efforts en vue d’une véritable intégration régionale. Notamment si on la compare à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et surtout à la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Croyez-vous réellement à son projet communautaire ?

Il est bien sûr impossible d’envisager un réel développement pérenne de nos pays sans intégration. Mais il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs. Nous parlons de libre circulation, par exemple, mais nous n’y sommes pas prêts. D’ailleurs, pour vraiment circuler en Afrique centrale, il faudrait déjà des routes dignes de ce nom qui vous emmènent d’une ville à une autre dans la région…

Il faudrait aussi que les frontières à l’extérieur de la zone Cemac soient contrôlées. La libre circulation, dans les conditions actuelles, peut se révéler un élément déstabilisant, y compris en matière sécuritaire. N’oublions pas que Boko Haram, entre autres, sévit déjà au Cameroun. N’oublions pas non plus qu’au Gabon 25 % de la population est d’origine étrangère, ce qui est un taux élevé. L’ignorer serait irresponsable.

Vous venez d’évoquer la menace que fait planer Boko Haram au Cameroun, après le Nigeria. Que faire, selon vous, pour y mettre fin ?

Les terroristes franchissent les frontières, les gouvernements doivent donc se parler et mettre en place des politiques communes. Cela implique que nous investissions plus dans nos politiques de défense. D’une part parce que cela n’a pas été suffisamment fait par le passé – nos lacunes sont aujourd’hui criantes -, mais aussi parce que nous sommes confrontés à un fléau d’un genre nouveau.

Il faut donc rattraper notre retard et nous adapter à l’adversaire, notamment en matière de renseignement et de formation de nos troupes. Voilà pour le court et le moyen terme. Tout cela n’aurait cependant guère de sens sans développement économique, car ces criminels ne sont jamais aussi forts que là où la pauvreté sévit.

Vous êtes le "petit dernier" dans une région dirigée par des chefs d’État en place parfois depuis plusieurs décennies. Comment cela se passe-t-il entre vous ?

Bien, très bien même. Je suis peut-être le dernier arrivé, et je suis le plus jeune, mais ils me connaissent et je les connais depuis longtemps. Je n’ai pas été bizuté, si c’est ce qui vous inquiète, et, de mon côté, je respecte la séniorité.

Plusieurs chefs d’État africains sont concernés par la limitation du nombre des mandats et envisageraient de revoir la Constitution : Blaise Compaoré, Denis Sassou Nguesso, Paul Kagamé, Joseph Kabila, Thomas Boni Yayi, etc. Qu’en pensez-vous ?

Chaque cas est spécifique et je me vois mal commenter ce qui se fait ailleurs. Le peuple est souverain, c’est lui qui décide. Le débat devrait donc, à mon avis, se recentrer sur la transparence et l’équité des élections. Même si, de ce point de vue, le continent a tout de même beaucoup progressé.

Parlons un peu de justice internationale. La Cour pénale internationale (CPI) a finalement tranché : l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo sera bien jugé à La Haye. Est-ce, selon vous, une bonne chose ?

Cette question concerne les Ivoiriens, et eux seuls. S’ils estiment que Laurent Gbagbo s’est mal comporté et qu’il doit être jugé, je n’y trouve rien à redire.

Le problème, justement, c’est qu’il ne sera pas jugé en Côte d’Ivoire…

C’est aux Ivoiriens qu’il faut poser la question. Je ne vois pas d’inconvénient – en tout cas je n’en fais pas une question de principe – à ce qu’un dirigeant africain puisse être jugé par la CPI. En revanche, je ne peux que m’interroger sur la liste des accusés qui doivent comparaître devant cette juridiction. Seuls les Africains commettraient des forfaits sur cette terre ? Soyons sérieux…

Autre procès symbolique, au Sénégal cette fois, celui de Karim Wade, qui s’est ouvert le 31 juillet. Vous le connaissez bien : comment vivez-vous sa situation actuelle ?

C’est un ami, effectivement. Je suis donc peiné de le voir ainsi, en prison. Mais je ne me prononce jamais sur des affaires qui sont entre les mains de la justice. Nous verrons bien à l’issue de son procès.


Au Palais du bord de mer, lors de l’entretien, le 26 août. © Desirey Minkoh pour J.A.

Selon vous, de là où il vous observe cinq ans après son décès, quel regard porterait votre père sur le Gabon d’aujourd’hui et sur votre action ?

C’était quelqu’un d’extrêmement exigeant, qui vous félicitait rarement. J’imagine donc que, même s’il devrait être globalement satisfait de l’évolution du pays, il nous dirait de faire plus et mieux.

Et comment vivrait-il les tensions qui existent entre vous et ses anciens collaborateurs, comme Jean Ping, André Mba Obame, Zacharie Myboto ou Jean Eyéghé Ndong ?

Il ne serait nullement surpris, je pense. Des proches, ministres ou membres éminents du parti, qui basculent subitement dans l’opposition, il a connu cela, et plus d’une fois… C’est presque un sport national chez nous. Quand à ceux que vous évoquez, je crois, pour certains d’entre eux en tout cas, qu’il l’avait anticipé.

Sa succession n’est toujours pas ouverte. En cinq ans, c’est étonnant. C’est votre soeur aînée, Pascaline, qui est l’exécutrice testamentaire légale de votre père. Est-ce un sujet de tensions dans la famille ?

Ce sont des affaires de famille, et cela prend du temps. On nous a dit qu’il fallait attendre, donc nous attendons.

Quelle leçon principale avez-vous tirée au cours de ces cinq dernières années ?

Qu’il faut énormément de patience pour gérer un État, a fortiori le Gabon. Je suis beaucoup plus tolérant et patient que je ne pensais pouvoir l’être.

Quel a été l’obstacle le plus difficile ?

Changer les mauvaises habitudes et faire évoluer les mentalités. Vous n’avez pas idée…

Si l’un de vos enfants vous disait : "Dans cinq ou dix ans, je souhaite faire de la politique", que lui répondriez-vous ?

Ils sont encore jeunes, donc nous avons encore un peu de temps [rires]. Je ne vais pas jouer la comédie et vous répondre : "Oh non, ce serait terrible, c’est tellement difficile, je les en dissuaderais." Les enfants de chefs d’État vivent la politique au quotidien : si l’un d’eux décide de s’y lancer, c’est qu’il aura mûrement réfléchi ce choix.

Est-ce que je le souhaite ? Compte tenu de ce que j’ai vécu ces cinq dernières années – la duperie, la lâcheté, les tromperies, la face sombre de l’être humain exacerbée par ce milieu -, je ne le leur conseillerais pas. Mais ce sera à eux de choisir leur voie.

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Propos recueillis par Marwane Ben Yahmed

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