Sam Pa, très sulfureux intermédiaire

Depuis dix ans, le nom de ce businessman – et ancien espion chinois ? – apparaît dans de nombreux contrats miniers passés entre Pékin et l’Afrique. Son parcours sinueux commence en Angola pendant la guerre civile…

On connaît l’âge de "Sam Pa", 56 ans, mais sa véritable identité est un mystère. DR

On connaît l’âge de "Sam Pa", 56 ans, mais sa véritable identité est un mystère. DR

Publié le 15 septembre 2014 Lecture : 8 minutes.

La scène se déroule en décembre 2013. Alors qu’il revenait des obsèques de Nelson Mandela, Ernest Bai Koroma, le président de la Sierra Leone, s’est arrêté en Angola. L’objet de sa visite ? Négocier des investissements pour son pays, ravagé par plus de dix ans de guerre civile. Lors d’un dîner servi dans la salle à manger d’un gratte-ciel doré du centre de Luanda, les convives ont pu observer Koroma mener une conversation animée avec un Chinois assis à sa droite.

Ce mystérieux individu, de petite taille, portait un costume noir, une cravate rouge et des lunettes rectangulaires. On connaît son âge – 56 ans -, mais son véritable nom reste un mystère. Il utilise au moins sept identités différentes. Le plus souvent, toutefois, il se fait appeler Sam Pa.

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En dix ans, Sam Pa s’est taillé une réputation. Il mène aujourd’hui des affaires aux quatre coins du globe. Ses activités pèsent plusieurs dizaines de milliards de dollars.

En dix ans, Sam Pa s’est taillé une réputation. Il mène aujourd’hui des affaires aux quatre coins du globe. Ses activités pèsent plusieurs dizaines de milliards de dollars. Parti de rien, il a construit un réseau tentaculaire de sociétés dans lesquelles on retrouve les mêmes propriétaires et des administrateurs communs ; un écheveau complexe dont tous les fils convergent vers le même siège social, situé 88 Queensway, à Hong Kong.

Surnommée Queensway Group, cette nébuleuse est structurée autour de deux entreprises principales : la compagnie pétrolière China Sonangol (une coentreprise avec le groupe pétrolier public angolais), et China International Fund, qui contrôle des projets d’infrastructures et d’exploitations minières.

Mais le mystérieux Sam Pa n’est répertorié ni comme actionnaire ni comme administrateur d’aucune des sociétés du Queensway Group. Officiellement, il n’agit qu’en tant que modeste « représentant » lors des rencontres avec les présidents, les cheikhs et autres magnats avec lesquels le groupe est en affaires. Son pouvoir et sa richesse, il les a amassés en jouant le rôle de principal intermédiaire dans la vaste opération de séduction menée par la Chine en Afrique.

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Les autorités chinoises nient tout lien officiel entre le gouvernement et les activités du Queensway Group en Afrique. Pourtant, notre enquête a établi que Sam Pa et ses associés entretiennent d’étroites relations avec les services de renseignement et les plus grandes entreprises publiques chinoises.

Les sociétés du groupe n’ont pas hésité à financer les régimes répressifs qui contrôlent certains des États africains les plus riches en ressources naturelles. Une stratégie qui a d’ailleurs valu à Sam Pa d’être inscrit cette année sur la liste noire établie par l’Office de contrôle des actifs étrangers (OFAC), qui dépend du Trésor des États-Unis.

Bien des histoires circulent sur le passé de l’intermédiaire chinois. Toutes ne concordent pas et aucune ne dresse un portrait complet du personnage. Il serait né en Chine continentale en 1958, puis serait parti vivre à Hong Kong alors qu’il était encore enfant. Chinois, il possède également la nationalité angolaise. Et il a deux enfants.

Au tournant du millénaire, le président Jiang Zemin enjoint aux entreprises publiques chinoises d’aller chercher à l’étranger des ressources naturelles, des marchés pour leurs produits et des projets de construction pour les travailleurs chinois. Afin d’atteindre ce triple objectif, l’Afrique devient une destination de choix. Mais les mandarins de Pékin ont besoin d’intermédiaires susceptibles de leur ouvrir des portes dans les capitales africaines. Or Sam Pa possède à la fois le dévouement à la mère patrie et l’entregent nécessaire pour tisser des liens avec les décideurs.

Il s’attaque d’abord à l’Angola. Pour s’y implanter, sa rencontre, début 2003, avec Helder Bataglia sera déterminante. Cet homme d’affaires né au Portugal, qui est devenu l’un des plus grands investisseurs privés d’Angola, raconte que Sam Pa lui a proposé à l’époque de former une coentreprise pour investir en Afrique. Intéressé par ce partenariat, mais soucieux de mieux connaître son interlocuteur, Bataglia l’accompagne lors d’un voyage en Chine.

Invité à divers dîners officiels, il peut ainsi rencontrer des représentants d’entreprises publiques chinoises. Dans un pays où les relations personnelles sont essentielles, Bataglia dit n’avoir eu aucun doute quant à l’étendue des pouvoirs de sa nouvelle connaissance : « Tout naturellement, j’en ai conclu que Sam travaillait pour le gouvernement. En fait, je crois qu’il est issu des services secrets. »

Ventes d’armes

Selon un informateur qui a été proche desdits services et qui connaît bien les réseaux des marchands d’armes actifs en Afrique, Sam Pa travaillait en effet pour le renseignement chinois dès les années 1980. Selon cette source, il a été impliqué dans les ventes d’armes chinoises au gouvernement du président angolais José Eduardo Dos Santos durant les dernières années de la guerre civile. Et c’est dans ce contexte qu’il s’est constitué un impressionnant carnet d’adresses.

À la fin de la guerre civile, en 2002, les émissaires de Dos Santos jetèrent les bases d’un contrat de plusieurs milliards de dollars qui allait devenir la première transaction de grande envergure menée à bien par la Chine en Afrique. Selon cet accord, les crédits apportés par Pékin pour construire des routes, des voies ferrées et des logements seraient remboursés en pétrole. C’est ainsi que Luanda allait devenir le deuxième fournisseur de pétrole de la Chine derrière l’Arabie saoudite.

Dans ce contexte, les nouveaux partenaires, Helder Bataglia et Sam Pa, se taillent rapidement un rôle d’intermédiaires incontournables, grâce à leurs réseaux dans les deux capitales. Au cours d’un deuxième voyage à Pékin, à la fin de 2003, ils sont reçus par le vice-premier ministre Zeng Peiyan en personne – c’est ce dernier qui représentera la Chine en 2005 à Luanda pour la signature d’une série d’accords de coopération entre les deux pays.

Lors de cette audience, les deux hommes sont accompagnés de Manuel Vicente, alors directeur de la compagnie pétrolière nationale angolaise Sonangol et futur vice-président du pays. C’est en cultivant ses relations avec Vicente que Sam Pa peut accéder au premier cercle du régime, qui tient d’une main de fer la puissance pétrolière montante de l’Afrique.

Fin 2003, tout s’accélère pour l’intermédiaire chinois. Royal Dutch Shell met en vente les parts qu’il possède dans un projet d’exploitation offshore en partenariat avec BP. Le permis, connu sous le nom de Bloc 18, semble très prometteur, et de nombreux candidats se portent acquéreurs. Mais plutôt que d’accorder une licence à une autre compagnie étrangère, Manuel Vicente décide que c’est la société nationale Sonangol qui l’exploitera avec un partenaire de son choix.

Lorsque l’accord pour le Bloc 18 est finalement bouclé, l’exploitation du gisement est attribuée à une société baptisée Sonangol Sinopec International. En apparence, il s’agit d’un partenariat équilibré entre les entreprises publiques angolaise et chinoise. En réalité, l’actionnaire local de cette compagnie n’est pas la compagnie pétrolière nationale, mais China Sonangol, une coentreprise créée peu avant en partenariat avec Queensway Group et dans laquelle l’Angola ne contrôle que 30 % des parts.

Aujourd’hui, le gisement produit 180 000 barils par jour, soit un dixième de la production angolaise. Tous les permis pétroliers accordés par la suite par les autorités de Luanda l’ont été à Sonangol Sinopec. Et c’est via cette société que transitent les cargaisons de brut envoyées en Chine au titre du remboursement des investissements chinois.

Junte

Depuis sa tête de pont angolaise, Sam Pa mène l’expansion de son empire à marche forcée. En 2009, il se rend en Guinée, où la junte militaire, qui vient de prendre le pouvoir, a un urgent besoin de fonds. Selon Mahmoud Thiam, à l’époque ministre des Mines, Sam Pa promet alors 30 millions de dollars (21 millions d’euros) en guise de « geste de bonne volonté », une somme qui est d’ailleurs rapidement versée.

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Les discussions portent ensuite sur un contrat en vertu duquel China International Fund construirait des infrastructures pour un montant de 7 milliards de dollars en échange de permis miniers. Cet accord est dévoilé fin septembre 2009, au lendemain de la répression sanglante d’un rassemblement pacifique dans le grand stade de la capitale.

Diamants

Mais les espoirs guinéens de Sam Pa sont douchés après qu’une tentative d’assassinat a obligé Moussa Dadis Camara, le chef de la junte, à partir en exil. En 2010, des élections rendent le pouvoir aux civils. « Depuis que je suis au pouvoir, Sam Pa n’a pas remis les pieds dans le pays », a affirmé Alpha Condé, le président de la Guinée, en novembre dernier, lors d’une interview.

Ce qui n’a pas empêché China International Fund de créer une coentreprise avec Bellzone, une société minière cotée à Londres, à laquelle elle a apporté les permis obtenus du temps de la junte. En 2012, les deux sociétés ont décroché un contrat pour fournir du minerai de fer au suisse Glencore.

Cette même année, l’ONG anticorruption britannique Global Witness affirme que Sam Pa a été autorisé à exporter des diamants extraits du gisement zimbabwéen de Marange, contrôlé par l’armée, après avoir gratifié la police secrète du président Robert Mugabe de 200 véhicules et de 100 millions de dollars. Les avocats de China International Fund admettent que la société a fourni des fonds au gouvernement zimbabwéen, mais pour « des raisons commerciales légitimes ».

>>>> Voir aussi –  Li Keqiang : « La Chine n’empruntera jamais la voie du colonialisme en Afrique »

L’arrivée de la Chine et de ses investissements a suscité de grands espoirs pour le développement de l’Afrique. Mais, aujourd’hui, des observateurs tirent la sonnette d’alarme.

Ils nient que la société a financé la police secrète et assurent que, si la filiale de Queensway Group a bien obtenu une concession de diamants à Marange, elle l’a jugée non viable et n’a « pas exporté un seul carat ».

« Nouvelle forme d’impérialisme »

L’arrivée de la Chine et de ses investissements a suscité de grands espoirs pour le développement de l’Afrique. Mais, aujourd’hui, des observateurs tirent la sonnette d’alarme. Lamido Sanusi, jusqu’à récemment gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, estime qu’en accueillant ses prétendants chinois « l’Afrique s’expose volontairement à une nouvelle forme d’impérialisme« . Un personnage tel que Sam Pa est évidemment un pur produit de la mondialisation.

Mais sa façon de combiner politique, clientélisme et affairisme rappelle des méthodes d’une autre époque. Certains n’hésitent pas à le comparer à Cecil Rhodes, le magnat britannique des mines, qui s’était taillé un empire en Afrique australe il y a plus d’un siècle.

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