Turquie : Erdogan et son ombre

Face à un président turc qui ne cesse d’accroître son pouvoir et d’étendre ses prérogatives, quel rôle pour Ahmet Davutoglu, son nouveau Premier ministre ?

Ahmet Davutoglo, Premier ministre turc. © AYKUT UNLUPINAR / AFP

Ahmet Davutoglo, Premier ministre turc. © AYKUT UNLUPINAR / AFP

JOSEPHINE-DEDET_2024

Publié le 2 septembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Sera-t-il la marionnette d’Erdogan ? ou aura-t-il assez de caractère pour ne pas plier systématiquement devant celui auquel il doit toute sa carrière et qui, le 21 août, l’a choisi pour lui succéder au poste de Premier ministre et de chef de l’AKP ? Le rôle d’Ahmet Davutoglu (55 ans) sera assurément nouveau. Car avec l’élection de son président au suffrage universel – une première -, la Turquie entre dans une ère de changement.

Fort de sa victoire dès le premier tour de scrutin, le 10 août, Recep Tayyip Erdogan veut transformer le régime parlementaire en régime présidentiel. En attendant la modification de la Constitution à laquelle il rêve de procéder en 2015 et qui lui conférerait des pouvoirs équivalents à ceux d’un Vladimir Poutine, il compte convoquer le gouvernement quand bon lui semble.

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"Même le général Evren [auteur du coup d’État de 1980 et père de l’actuelle Constitution] ne l’avait jamais fait, rappelle l’universitaire stambouliote Sahin Alpay. Erdogan s’imagine qu’il peut exercer un contrôle total sur le gouvernement et le Premier ministre alors que seul ce dernier est responsable devant le Parlement. Cela pourrait provoquer des conflits entre eux."

Ex-universitaire au look d’apparatchik

Voilà pourquoi le choix d’Erdogan s’est porté sur Davutoglu, dont la fidélité ne lui a fait défaut ni lors du mouvement de contestation de Gezi (mai-juin 2013) ni lors du scandale de corruption qui l’a éclaboussé en décembre 2013. "Une prime à l’incompétence", s’insurgent les leaders de l’opposition, qui estiment que cet ex-universitaire au look d’apparatchik, dont les phrases embrouillées suscitent souvent les sarcasmes, a mené la diplomatie turque à une impasse.

En tant que conseiller d’Erdogan, puis, à partir de 2009, ministre des Affaires étrangères, Davutoglu est d’abord parvenu à sortir la Turquie d’une relation trop exclusive avec les États-Unis, se montrant hyperactif au Moyen-Orient, en Amérique latine, en Asie et en Afrique, ouvrant des ambassades et dopant les échanges commerciaux.

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Mais depuis 2011, la Turquie ne cesse de réagir à contretemps. Lors du Printemps arabe, elle a soutenu Ben Ali et Kadhafi avant de se raviser. Elle s’est ensuite brouillée avec l’Égypte en affichant ses sympathies pour les Frères musulmans et son hostilité au général Sissi avant que celui-ci ne l’emporte. Aujourd’hui, elle s’acharne contre le Syrien Bachar al-Assad au moment où les Occidentaux s’inquiètent de la progression des jihadistes.

Après la saisie de camions remplis d’armes, elle est même soupçonnée d’avoir apporté un soutien à des factions extrémistes comme Jabhat al-Nosra en Syrie. En juin, l’enlèvement de 49 diplomates turcs à Mossoul, dans le nord de l’Irak, par des membres de l’État islamique (EI) a sonné le glas de ces relations ambiguës et contraint Ankara à rester en marge du conflit qui se joue à ses portes.

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La politique du "zéro problème" avec les voisins dont se targuait Davutoglu est devenue celle du "zéro ami". La Turquie n’a plus d’ambassadeur en Égypte, en Israël et en Syrie. Autant dire que son influence dans la région se réduit comme peau de chagrin, et que, dans la crise de Gaza, elle n’a pu jouer les intermédiaires entre ses amis du Hamas et l’État hébreu.

Ni fanatique ni génie

Sur le plan intérieur, d’aucuns espèrent toutefois que la virulence d’Erdogan à l’égard de toute opposition sera tempérée par la présence d’un Davutoglu peu enclin aux polémiques. "Je l’ai connu sur les bancs de l’université, c’est un vieil ami. En dépit de nos divergences politiques, je l’ai toujours considéré comme un homme très gentil et estimable", confie la journaliste Nuray Mert, pour qui il n’est "ni l’islamiste fanatique que décrivent ses détracteurs ni le génie célébré par ses admirateurs". Davutoglu a un jour reconnu qu’à la maison le ministre était Sare, son épouse gynécologue – et militante antiavortement. Reste à savoir si, face à un Erdogan tout-puissant, il aura son mot à dire.

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