France : un gouvernement enfin cohérent, mais si fragile !

Après l’éviction d’Arnaud Montebourg et des ministres frondeurs, le gouvernement Valls II va pouvoir mener une politique ouvertement sociale-libérale. Ce changement de cap peut-il lui permettre de retrouver la faveur des électeurs ? Dans l’immédiat, il va surtout provoquer de graves turbulences dans sa majorité.

François Hollande et Manuel Valls. © AFP

François Hollande et Manuel Valls. © AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 1 septembre 2014 Lecture : 5 minutes.

La refonte du gouvernement de Manuel Valls, le 26 août, met un terme à une situation sans précédent sous la Ve République : un gouvernement démissionnant après les critiques de l’un de ses membres – Arnaud Montebourg, en l’occurrence – contre "l’impasse" où conduit selon lui la politique économique du chef de l’État.

La "cohérence" et la "clarté" qui ont présidé aux choix de François Hollande et de Manuel Valls lors de la formation de la nouvelle équipe ne leur éviteront pas une impopularité grandissante, notamment auprès des sympathisants socialistes qui jugent leur politique contraire aux promesses de la campagne de 2012. La rébellion gronde chez les députés de la majorité. Et l’ovation que les patrons ont réservée à l’ode aux entreprises récitée par Valls, le 27 août, devant l’université d’été du Medef risque de les exaspérer un peu plus.

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Fort de sa proximité avec le Premier ministre et toujours bravache, ledit Montebourg pensait pouvoir continuer à "peser de l’intérieur" pour "infléchir la ligne du gouvernement". Un pied dedans, un pied dehors, il n’a pas vu qu’il avait passé les bornes au cours du week-end des 23 et 24 août. D’abord dans une interview au Monde, puis lors de sa "fête de la rose" à Frangy-en-Bresse. Toujours hostile à la "réduction dogmatique des déficits", il a exigé "une inflexion majeure" de la politique d’austérité, qui, selon lui, aboutit au "coulage" de l’économie.

>> Lire aussi : premier Conseil des ministres pour le gouvernement "Valls II"

Le hic est que Hollande et Valls avaient répété qu’il n’en était pas question. Le sang du second n’a fait qu’un tour face à cette remise en cause de la ligne du gouvernement qui a provoqué la raillerie de Bruno Le Maire, candidat à la présidence de l’UMP : "Qui gouverne la France ? Montebourg ou Hollande ?"

Le Premier ministre a convaincu le président de chasser le trublion, qui, pour faire bonne mesure, le sommait aussi de s’opposer à Bruxelles et à la chancelière allemande à quelques jours du sommet de Bruxelles (le 30 août). Exit le chantre du made-in-France. Exit Benoît Hamon, le ministre de l’Éducation, solidaire de son collègue. Exit Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, qui refuse "le tragique contre-pied de tout ce pour quoi nous avons été élus".

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Coup de jeune au gouvernement

"C’est la forme qui a coûté son poste à Montebourg, analyse Daniel Cohen, professeur à l’École normale supérieure. Car, sur le fond, il endosse l’essentiel de la ligne Valls. N’a-t-il pas déclaré qu’il fallait que la France se désintoxique de la dépense publique et approuvé le plan de 50 milliards d’euros d’économies ? Quand il réclame une politique plus équilibrée entre l’offre et la demande, ne dit-il pas la même chose que Hollande demandant à Bruxelles un soutien de la conjoncture ?"

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La composition du gouvernement Valls II met en lumière son caractère minoritaire. Les écologistes, certains communistes, des proches de Martine Aubry et plusieurs "frondeurs" de la gauche du PS ont refusé d’y entrer, faute d’une politique plus sociale. Deux nominations ont défrayé la chronique et donné un coup de jeune à ce gouvernement de briscards "hollandais".

Celle de Najat Vallaud-Belkacem au ministère de l’Éducation récompense son parcours ministériel sans faute et ses prises de position en faveur de l’égalité des sexes et du mariage pour tous, ce qui lui vaut d’être traitée de "Khmère rose" par la droite. Celle d’Emmanuel Macron, 36 ans, ex-secrétaire général adjoint de l’Élysée, ex-sherpa du président lors des sommets du G20 et l’un des pères du Pacte de compétitivité, au poste de ministre de l’Économie confirme le cap social-libéral de Hollande.

The Economist y voit la preuve que "le gouvernement Valls envisage sérieusement une approche favorable aux affaires". Pour le Parti communiste, le pouvoir a choisi de mener "une politique plus droitière que jamais, symbolisée par l’arrivée d’Emmanuel Macron, homme clé des banques et de la finance".

Le résultat de ce tohu-bohu est catastrophique. "Dans le sondage que nous avons publié dans Le Parisien du 27 août, 59 % des personnes interrogées estiment que le pouvoir a eu raison de faire partir Montebourg, et cette proportion monte à 75 % chez les sympathisants socialistes, commente Gaël Sliman, président de l’institut Odoxa. Mais 80 % des sondés refusent de qualifier la politique gouvernementale de claire, de juste et d’efficace." Tous perdants.

"Plus personne n’a confiance, analyse l’universitaire Dominique Plihon, membre du groupe des Économistes atterrés. Or, sans confiance des entreprises et des consommateurs, pas de redémarrage de l’économie. Je ne comprends pas l’aveuglement de Hollande et de Valls, qui croient que la machine repart quand les entreprises se portent mieux. Ça ne marche pas ainsi. Les entrepreneurs investissent quand il y a de la demande, donc du pouvoir d’achat."

L’exécutif en équilibre sur une tête d’épingle

Partagé par tous les "frondeurs" socialistes, ce keynésianisme pourrait provoquer des votes négatifs à l’Assemblée qui paralyseraient l’exécutif. C’est pourquoi Valls, qui se sait idéologiquement minoritaire, a prévu de demander un vote de confiance auquel il n’est nullement obligé. "Si la majorité n’est pas au rendez-vous, a-t-il prévenu, nous ne pourrons pas continuer." À bon entendeur, salut : en cas de vote de défiance, l’Assemblée sera dissoute et un raz-de-marée de droite mettra les rebelles au chômage. La majorité gouvernementale tiendrait à 16 voix, à condition que les radicaux de gauche y demeurent.

"L’exécutif se trouve en équilibre sur une tête d’épingle, conclut Daniel Cohen, ce qui est périlleux quand on voit la montagne de dossiers qui l’attend : réformes territoriale, de l’école, du logement, de la fiscalité, etc. C’est comme s’il s’était dit : fichus pour fichus, entrons dans les livres d’histoire comme ceux qui ont sauvé la France."

De qui espérer un secours ? Paradoxalement, de Bruxelles et d’Angela Merkel, les boucs émissaires des "frondeurs". "Avec deux ministres eurocompatibles à Bercy [Michel Sapin et Emmanuel Macron], le gouvernement montre à ses partenaires qu’il va dans la bonne direction. Certes, la France ne respectera pas en 2015 sa promesse de réduire son déficit à 3 % de son produit intérieur brut, mais ces efforts pourraient lui éviter des sanctions", juge Yves Bertoncini, directeur de Notre Europe – Institut Jacques-Delors.

Mieux : inquiets de la langueur européenne, Washington, le FMI et la Banque centrale européenne appellent à moins de rigueur. Jean-Claude Juncker, le patron de la Commission, projette un plan de relance de 300 milliards d’euros et l’Allemagne crée un salaire minimum. Autant de signes qu’Arnaud Montebourg n’a pas eu la patience d’analyser et qui donnent au couple Hollande-Valls l’espoir de tenir jusqu’au regain du marché du travail. En 2017 ?

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