Afrique du Sud : « Agaat », chef d’oeuvre de Marlene Van Niekerk

Dix ans après sa parution, le chef-d’oeuvre de la Sud-Africaine Marlene Van Niekerk est enfin traduit en français. Un roman qui explore dans toute leur ambiguïté les relations Blancs-Noirs.

« Agaat », de Marlene Van Niekerk, aux éditions Gallimard. © DR

« Agaat », de Marlene Van Niekerk, aux éditions Gallimard. © DR

ProfilAuteur_SeverineKodjo

Publié le 2 septembre 2014 Lecture : 2 minutes.

C’est un roman d’une puissance à couper le souffle. En 1953, Milla De Wet, femme de pouvoir afrikaner à la tête d’un vaste domaine agricole, pense ne jamais pouvoir enfanter et adopte, contre l’avis de sa famille, une fillette. Une métisse qu’elle élèvera sous l’apartheid envers et contre tout… Jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte et relègue l’enfant adopté à sa condition d’être-objet manipulable, sur lequel elle exerce sa toute-puissance. La fillette devient domestique et devra s’occuper de l’éducation du fils de la famille, avec lequel elle noue des liens quasi maternels.

Cinquante ans plus tard, alors que l’Afrique du Sud bascule vers la démocratie, Milla De Wet, paralytique et muette, se retrouve à la merci d’Agaat, qui s’occupe de son corps absent. Alors que la mort s’éternise, elle observe la domestique et se souvient de sa grandeur passée mais aussi de ses nombreux moments de bassesse. Cynique, elle est parfaitement consciente de sa déchéance et de ce qu’elle a fait endurer à Agaat, mais aussi de l’humiliation que cette dernière, partagée entre haine et reconnaissance, amour et vengeance, lui fait subir.

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Détails sordides

Dans son second roman, Agaat, dont il aura fallu attendre dix ans la traduction en français, la Sud-Africaine Marlene Van Niekerk nous plonge au plus profond de la psychologie de ces deux femmes et nous fait assister, impuissants, à ce que l’homme peut avoir de plus lâche et de plus vil. Elle ne nous épargne rien, ni la sourde violence des rapports interraciaux sous l’apartheid, ni les sordides détails des soins quotidiens que la domestique inflige à la paraplégique. Elle, la femme-objet, réduit sa mère-maîtresse à un corps-animal qu’il faut nourrir, toiletter, purger…

L’ire contenue d’Agaat traverse les pores de sa peau. La victime se transforme en bourreau. "Est-ce cela qui a libéré le poison ? Le fait que je sois devenue dépendante d’elle, plus que je ne l’avais jamais été ? Pourtant j’avais toujours dépendu d’elle, depuis le début. Mais je sentais que plus je m’enfonçais dans la déchéance, plus elle était rancunière et furieuse. S’était-elle retenue pendant toutes ces années ?" se demande Milla.

Effritement du pouvoir blanc

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D’une main de maître, Marlene Van Niekerk explore toute la complexité des relations humaines et toute l’ambiguïté des sentiments générés par les rapports de pouvoir entre un maître et son esclave. Agaat regarde parfois la vieille Afrikaner avec tendresse. Elle gère son agonie d’une main de fer dans un gant tantôt de crin, tantôt de velours. Avec elle, il n’y a pas de place pour l’improvisation. Tout doit être planifié.

Elle a parfaitement intégré et assimilé les codes du monde bourgeois de sa maîtresse. Agaat n’est pas seulement le récit de ces deux femmes. C’est également celui de l’effritement du pouvoir blanc et de la tâche incommensurable à laquelle la nouvelle Afrique du Sud devra faire face pour se construire comme nation Arc-en-Ciel.

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