Mali – Oumar Mariko : la forte tête, les putschistes et les rebelles

Réputé pour son franc-parler, Oumar Mariko est à la fois médecin, militant révolutionnaire et proputschiste. Portrait de l’enfant terrible de la classe politique locale.

Oumar Mariko, acclamé par des partisans à Bamako, le 31 mars 2012. © Issouf Sanogo/AFP

Oumar Mariko, acclamé par des partisans à Bamako, le 31 mars 2012. © Issouf Sanogo/AFP

Publié le 3 septembre 2014 Lecture : 7 minutes.

"On reconnaît une vache à sa couleur, mais la couleur de l’homme se trouve dans son ventre." Il aime bien le citer, ce proverbe bambara, Oumar Mariko. Il y en a un, français celui-là, qui dit : "Il n’y a pas de fumée sans feu." Il lui va bien aussi. Mariko, éternel opposant jusqu’à l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), en 2013, est à lui seul une chronique acide du Mali de ces trois dernières décennies, un exceptionnel instigateur de coups fourrés, mais aussi une très utile boîte à rumeurs. Des mois, des années même que son nom est placé au coeur des intrigues les plus folles.

Le flot ne s’arrête jamais. En juin dernier, on lui prête la paternité d’une tentative d’assassinat du président, que son parti (Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance, Sadi) soutient pourtant. L’histoire est à dormir debout : des sous-officiers se seraient mis en tête d’attaquer la demeure d’IBK. Dans le lot des "comploteurs", il y a le sergent-chef Amara Sylla, un des gardes du corps de Mariko, qui, le jour J, lui a emprunté sa voiture… "Je n’ai rien à voir avec tout ça", clame le député.

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Le même mois, c’est à l’Assemblée nationale qu’on évoque son nom. Les députés s’interrogent : faut-il lever son immunité ? Impliqué dans une affaire de violences à l’endroit de deux étudiants le 30 avril 2012 (le jour du contre-coup d’État des Bérets rouges), Mariko est inculpé pour "complicité de coups et blessures volontaires". Selon une source judiciaire, "il n’y a rien dans ce dossier".

En août, il fait encore la une. Depuis plusieurs mois, la France refuse de lui accorder un visa. "Sur les 147 députés, je suis le seul dans ce cas", dénonce-t-il. Paris lui fait comprendre que c’est à cause de ses ennuis judiciaires. Mais un diplomate l’admet : "On ne va pas donner un visa à un homme qui passe son temps à critiquer la France."

Son ONG, Médecins de l’espoir, soigne les pauvres

C’est peu de dire que Mariko critique la France. Avec son langage cru et sa voix forte, il la broie. Quand l’intervention militaire se dessine début 2013 pour contrer l’offensive jihadiste, il fait tout pour s’y opposer. Après la débâcle de l’armée malienne à Kidal, le 21 mai dernier, ce sont ses partisans qui scandent : "À bas la France complice du terrorisme !"

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L’ancienne métropole, il l’a eu en horreur dès son enfance passée dans la région de Sikasso, au sud-est de Bamako. Son père, un vétérinaire, avait fait six mois de prison sous la colonisation pour avoir giflé un colon. Au lycée, il se tourne vers les oeuvres marxistes et s’intéresse à l’histoire de son peuple. "Il ne s’agit pas de tout magnifier, dit-il. Il y a des valeurs négatives. Mais les Africains ont une histoire et doivent en être fiers." Comme sa compatriote, la célèbre altermondialiste Aminata Traoré, avec laquelle il chemine depuis des années, Mariko adule Sékou Touré (qu’il a rencontré en 1981, souvenir exquis), s’abreuve des discours de Modibo Keïta et honnit tout ce qui peut s’apparenter à du néocolonialisme.

Mais Mariko ne fait pas que parler, il met les mains dans le cambouis. Les débats de salon, il ne connaît pas. "Je ne suis pas un intellectuel", avoue-t-il. À 15 ans, il participe à ses premières grèves. À 21 (nous sommes en 1980), il les organise. À 22, il crée son premier parti dans la clandestinité. À 27, il goûte aux geôles de Moussa Traoré. À 31, il est de ceux qui font tomber le despote. L’Association des étudiants du Mali, qu’il a fondée, est le fer de lance de la contestation en 1991. "On ne voulait pas faire la révolution, se souvient-il. C’est le pouvoir qui nous a poussés vers l’opposition."

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C’est à cette époque que Mariko devient populaire dans les casernes. Les jeunes sous-officiers – ceux-là mêmes qui feront tomber Traoré – apprécient son patriotisme. Depuis, quand il visite un camp, c’est vers lui que vont les soldats. "L’armée est constituée des couches pauvres, celles qu’il défend au quotidien", rappelle un adversaire politique. Son quotidien, depuis vingt ans, c’est son ONG, Médecins de l’espoir, qui soigne les pauvres, son réseau de radios, Kayira, qui donne la parole à tous, et son parti, Sadi. Le pouvoir ? Il n’y a jamais vraiment goûté. L’argent ? Il s’en désintéresse, affirment ses proches.

Quand il entre, la foule se lèvre

Quand il arrive à notre premier rendez-vous, au siège de Radio Kayira, un bâtiment délabré, c’est à bord d’une petite japonaise déglinguée. Ce jour-là, la radio sert de lieu de réunion au Mouvement populaire du 22 mars (MP22), que Mariko et d’autres ont créé en 2012 pour soutenir le putsch des sous-officiers de Kati. Quand il entre, la foule se lève. "C’est le seul qui ose dire la vérité", dit un jeune arrivé au guidon d’un deux-roues orné du portrait d’Amadou Haya Sanogo.

Sanogo, Mariko le voit toujours, même en prison. Il continue à dire que le renversement d’Amadou Toumani Touré (ATT) en mars 2012 était nécessaire. A-t-il joué un rôle ? Les services disent que oui. "Il était en contact direct avec les militaires", affirme un haut responsable du renseignement de l’époque. L’adjudant-chef Seyba Diarra, l’un des cerveaux de la junte, aujourd’hui en prison, est un très bon ami. Le colonel Youssouf Traoré, autre figure des putschistes certainement assassiné en septembre 2013, aussi. Quant à Sanogo, Mariko l’avait rencontré à plusieurs reprises avant le coup d’État, mais il affirme n’avoir jamais eu de relation forte avec lui.

Dans l’entourage d’ATT, on va plus loin : Mariko serait derrière la manifestation des femmes des militaires de Kati, qui a mis le feu aux poudres quelques semaines avant le putsch. Il aurait aussi joué un rôle dans le désastre du Nord. "Après le massacre d’Aguelhok, en janvier 2012, il prévenait les soldats pour leur dire de fuir avant de se faire tuer", affirme notre source de renseignements, qui assure que "des écoutes téléphoniques le prouvent".

Iyad et Mariko, c’est une vieille histoire, qui remonte à 1991.

Mariko nie en bloc. Le putsch ? Il n’était pas au courant. Plusieurs leaders de l’ex-junte le confirment. Il avait bien senti le vent tourner dans l’armée, "depuis qu’on envoyait [les soldats] à la boucherie". Il appelait même de ses voeux un renversement d’ATT. Mais il n’a pas fomenté le coup. "Il n’avait aucun ascendant sur nous. Il nous servait de caution vis-à-vis du peuple", souffle un ancien compagnon d’armes de Sanogo. Jamais, jure Mariko, il n’a incité les soldats de Tessalit à fuir. "J’étais en contact avec eux. Ils se plaignaient de n’avoir ni vivres ni armes. Ce sont eux qui m’appelaient." En revanche, il reconnaît avoir contacté Iyad Ag Ghaly, le chef d’Ansar Eddine. "Je lui ai dit de foutre la paix aux femmes et aux enfants [des militaires]."

"On peut lui faire confiance"

Iyad et Mariko, c’est une vieille histoire, qui remonte à 1991. Le premier mène la rébellion touarègue. Le second oeuvre pour la paix dans le Nord. Les premières rencontres sont empreintes de méfiance. Puis les deux hommes apprennent à se connaître. "Les Touaregs apprécient Mariko parce qu’il n’est pas comme les autres politiciens. On peut lui faire confiance", explique un ami du trublion qui a participé à plusieurs rébellions.

En janvier 2013, quand Iyad lance son offensive sur Konna avec les autres groupes jihadistes du Nord (ce qui provoquera le déclenchement de l’opération Serval), Mariko organise des manifestations réclamant la démission du président par intérim, Dioncounda Traoré. La coïncidence est d’autant plus troublante qu’il multiplie les échanges téléphoniques avec les hommes d’Ansar Eddine. Les services français affirment en avoir la preuve. A-t-il voulu profiter du chaos au Nord pour permettre à Sanogo de revenir sur le devant de la scène, comme le pensent un certain nombre d’observateurs ? Encore une fois, il nie. "Les gens d’Ansar Eddine m’appelaient pour me prévenir qu’Iyad, avec qui ils n’étaient pas d’accord, préparait quelque chose. J’ai transmis l’information aux services de renseignement et aux Algériens", se défend Mariko, qui assure n’avoir "rien à cacher".

Mission secrète à Niafunké

Juin 2012. De retour d’Iran, Oumar Mariko reçoit un appel d’un ami proche d’Iyad Ag Ghaly : "On veut faire la paix. Il faut que tu nous aides !" Un mois plus tard, Mariko obtient de Sanogo un ordre de mission pour entamer les négociations avec Ansar Eddine. "Je voulais qu’ils s’entendent, pour éviter une intervention étrangère", explique-t-il. Premier round en juillet 2012, à Niafunké, à la "frontière" entre le Nord occupé et le Sud. Accompagné d’un ami touareg, Yehia Ag Ibrahim, et de deux militaires, Mariko rencontre le colonel Mbarek Ag Akli, un officier de l’armée passé à l’ennemi, dans une ambiance bon enfant.

Deuxième round le 12 septembre 2012, toujours à Niafunké. Muni d’un nouvel ordre de mission, mais accompagné cette fois par des proches de Sanogo, il retrouve Mbarek. Certains ont voulu voir dans ces missions secrètes une conspiration entre la junte et Ansar Eddine. De la synthèse de cette rencontre qui a été transmise aux services de renseignement (et dont Jeune Afrique a obtenu copie), il ne ressort pas grand-chose, si ce n’est une volonté évidente des deux parties de dialoguer pour, selon les termes employés par le colonel Mbarek, "trouver une solution au problème".

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