Photographie : Prisca Munkeni, la subversion douce

Entre Paris et Kinshasa, cette jeune photographe de 33 ans s’invente un monde ésotérique subtilement trash, inspiré par le cinéma et à mille lieues des clichés en vogue quand il s’agit de décrire le continent.

Autoportrait de La Furie, un nom d’artiste qui lui va comme un gant. © Prisca Munkeni

Autoportrait de La Furie, un nom d’artiste qui lui va comme un gant. © Prisca Munkeni

Publié le 6 août 2014 Lecture : 3 minutes.

Ne cherchez pas dans ses images les clichés d’un Zaïre d’autrefois ou ceux de folkloriques sapeurs congolais. « Notre réputation n’a pas besoin des sapeurs pour être détériorée », glisse d’emblée Prisca Munkeni, 33 ans. Cette pétulante artiste photographe ne se départit pas de son sourire charmant en écoutant doctement les questions maladroites du journaliste qui cherche à saisir le sens du titre de sa dernière série, Wrong Education.

Exposée début juin à la Favela Chic, à Paris, c’est une galerie de 16 portraits de naïades lascives au teint blafard ou à la peau ébène. Elles posent en Alice du pays des merveilles, en Ophélie de la tragédie Hamlet ou en Cendrillon, plantées au milieu de décors tantôt glauques et ésotériques, tantôt ultraclassiques. Dans cet univers, on croise aussi des danseurs vêtus de tutus maculés de sang, une bonne soeur plantureuse en porte-jarretelles, cigarette à la main… Une mosaïque d’êtres humains étranges et d’univers fantastiques au milieu de laquelle un albinos branché prend la pose.

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« La condition des albinos est un sujet important, car ils sont considérés comme une espèce rare ou comme des morceaux de viande prisés par les guérisseurs dans certains pays africains », souligne Munkeni. L’atmosphère de ce monde est subtilement trash, avec ses couleurs criardes accentuées par un éclairage agressif, un jeu d’ombres symboliques et une touche de glamour très « mode ».

Sexe, religion, tradition, mythes séculaires… Autant d’inspirations et de sujets que je souhaite mettre en scène, assume-t-elle.

Elle assume. « Sexe, religion, tradition, mythes séculaires… Autant d’inspirations et de sujets que je souhaite mettre en scène. » Volubile, énergique, elle se lève, traverse son appartement du 18e arrondissement de Paris, ouvre des fichiers sur son ordinateur, se rassoit, sirote son café, saute des questions, y revient. Son nom d’artiste, La Furie, lui convient à merveille. Quid, finalement, du titre Wrong Education ? « Cette série renvoie à ma très bonne éducation que j’ai eu besoin de pervertir, attirée par des choses parfois déroutantes, interdites… », confie l’artiste. Avant d’ajouter en s’esclaffant : « Je ne suis pas la seule dans ce cas ! »

Prisca Munkeni est née à Bruxelles, où ses parents ont étudié avant de rentrer à Kinshasa alors qu’elle avait 5 ans. Éducation classique et rigoureuse suivie dans l’école de son quartier de Gombe, au centre de cette mégalopole quittée à 17 ans pour rejoindre Johannesburg (Afrique du Sud), où elle a intégré le centre d’art graphique de l’université Midrand. « La France me semblait trop ennuyeuse et l’Amérique trop grande, avec sa vie en XXL qui me faisait peur », dit-elle.

À Johannesburg, cette francophone noire détonne et intrigue, même parmi les aspirants artistes de l’université. Munkeni, elle, navigue entre les groupes, amuse avec son anglais balbutiant et son énergie débordante, tout en développant une petite société de web design et en s’essayant à la photographie institutionnelle.

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En 2010, repérée par la PopUp Galerie Malva, Prisca Munkeni expose pour la première fois des portraits de danseurs du South African Ballet Theatre qui ont accepté sans rechigner de se prêter au jeu et de se faire « salir », comme elle aime à dire. Wrong Education vient de naître. Déjà, on retrouve dans ses compositions un art de la mise en scène et du portrait posé rappelant les emblématiques photographes américains David LaChapelle et Annie Leibovitz.

« Mon univers et mes sources d’inspiration sont plus cinématographiques que photographiques. J’incite les personnalités que je photographie à se mettre dans la peau de personnages, tels des acteurs figés. Mes photos sont des scènes de film », affirme l’artiste. Les séances de prise de vue s’étirent sur cinq heures, en musique. Parmi ses personnages, de jolies femmes rencontrées à Paris et prêtes à jouer le jeu ou des filles de la bonne société kinoise triées sur le volet. « Je suis une Africaine qui s’est ignorée. J’ai renoué avec cette africanité que j’ai un temps rejetée, adolescente, car je ne la comprenais pas. Je reste une femme en Afrique avec tout ce que cela peut induire », confie celle qui envisage d’organiser des shootings à Kinshasa.

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C’est d’ailleurs une femme qui l’inspire : le fait que sa mère, Éliane Munkeni, désormais présidente de la Chambre de commerce franco-congolaise, soit parvenue à se frayer un chemin dans un milieu politico-économique très masculin n’y est pas pour rien. Prisca Munkeni a son soutien, et peu importe si son oncle lui demande de « trouver un vrai travail ». Entre Paris et Kinshasa, ses deux villes, Prisca Munkeni continue de se faire des films et d’en exposer des scènes comme à la « Photobastei » de Zurich (Suisse), en juillet.

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