Oreilles meurtries

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  • Tshitenge Lubabu M.K.

    Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.

Publié le 24 juillet 2014 Lecture : 3 minutes.

Je vous ai parlé, il n’y a pas longtemps, de cet immeuble de vingt-deux niveaux situé sur le boulevard du 30-Juin, la plus grande artère du centre-ville de Kinshasa. Je vous ai dit que j’étais au quatorzième étage ; qu’un monte-charge faisait office d’ascenseur ; que je contestais le mode de répartition des charges basé non pas sur ce que l’on consomme en termes d’eau et d’électricité, mais sur la taille de l’appartement.

Je reviens sur ce cas pour vous dire qu’habiter à cet endroit est un véritable chemin de croix. Raison pour laquelle j’ai décidé de prendre mes jambes à mon cou afin de ne pas perdre le nord ou, si vous voulez, et c’est mieux, le sud. Tenez. À 4 heures du matin, ce ne sont pas les chants d’oiseaux qui me réveillaient. C’était, au contraire, un concert assourdissant et incessant de klaxons. Une cacophonie de voix qui s’entrechoquent. En un mot comme en trois, le summum du sans-gêne, le bruit et la fureur pour gagner sa maigre pitance. Il en sera ainsi jusqu’à 1 heure du matin, le lendemain.

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Or, à cette heure-là, un bar situé à cinq cents mètres derrière l’immeuble déverse dans mes oreilles des tonnes de décibels, violant mon droit à la quiétude et au sommeil en m’imposant des chansons d’une qualité artistique douteuse. Vieux jeu, moi ? Je ne le nie point. À 3 heures du matin, alors que, bravant tous les dangers, Morphée tente de me prendre dans ses bras, des voisins braillards se mettent à se raconter, sur le palier, tout et n’importe quoi, sans doute convaincus qu’ils sont les seuls habitants de l’immeuble ou, pourquoi pas, de notre planète. Combien d’heures ai-je dormi ? Je vous laisse compter.

Un soir, seul avec moi-même, je laisse mes oreilles s’abreuver de toutes les nuisances sonores qui perforent le vitrage de l’appartement. Soudain, à moins que ce ne soit un cauchemar, le bruit s’amplifie, se transforme en vacarme. Je crois entendre des milliers de voix scandant je ne sais quel hymne. Et puis, je me mets à penser que des milliers de pieds écrasent, dans un élan commun, le macadam qui recouvre le tracé du boulevard.

La curiosité professionnelle m’inonde. D’un bond, je fonce vers la baie vitrée. Je la tire. Me voici sur le balcon, persuadé que la foule manifeste. Mais que vois-je ? Un groupe de débrouillards, une dizaine tout au plus, qui, pour gagner quelques sous, hèlent les passagers qui veulent prendre un taxi collectif pour rentrer chez eux ! Comment expliquer qu’une poignée de personnes soit capable de produire autant de bruit qu’une foule immense en train de battre le pavé ? Je n’ai pas encore réussi à percer ce mystère.

J’ai fini par déménager. Mais là où je me suis installé, non loin du centre-ville, ce n’est pas mieux. L’autre jour, un voisin a passé l’arme à gauche. Sa famille a organisé des obsèques dignes de son rang. Toutes les nuits, sans demander l’avis de personne, un orchestre a joué de la musique à fond. Impossible de fermer l’oeil. À l’aube, un autre voisin et ses amis, disciples d’un certain Jésus de Nazareth avec lequel je n’ai rien à voir, se sont mis à vociférer des prières auxquelles je n’ai rien compris et qui n’ont eu d’autre effet que de m’exaspérer. 

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Multipliez tout cela par millions et vous vous rendrez compte du degré de pollution sonore atteint par Kinshasa. Quant aux bourgmestres des vingt-quatre communes, ne leur demandez pas de faire respecter la loi sur les nuisances sonores : ils ignorent qu’elle existe.

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