Ebola : viande de brousse, le goût du risque

Vecteur potentiel du redoutable virus Ebola, la viande de brousse a été interdite dans les pays touchés par l’épidémie. Une mesure qui ne décourage pas certains consommateurs.

Sur les marchés, singes et antilopes sont toujours recherchés par les amateurs. © CHRISTOPHE LEPETIT/ ONLYWORLD / AFP

Sur les marchés, singes et antilopes sont toujours recherchés par les amateurs. © CHRISTOPHE LEPETIT/ ONLYWORLD / AFP

Publié le 30 juillet 2014 Lecture : 3 minutes.

"Si tu aimes le singe, n’en mange pas. Si tu aimes le babouin, je dis : n’en mange pas. Si tu aimes la chauve-souris, n’en mange pas !" mettent en garde les trois musiciens libériens D12, Shadow et Kuzzy of 2 Kings. Sortie il y a deux mois, leur très entraînante chanson Ebola in Town remporte un véritable succès dans un pays où le virus a déjà fait 105 morts depuis le début de l’épidémie, en mars.

Singe, chauve-souris, agouti, rat, hérisson, pangolin ou encore civette… Ces viandes dites de brousse sont depuis longtemps prisées en Afrique centrale et de l’Ouest, mais elles sont devenues en quelques mois le cauchemar des autorités sanitaires. Et pour cause : selon les scientifiques, certains de ces animaux – au premier rang desquels les chauves-souris – sont un réservoir connu du virus Ebola. Ce sont eux qui le transmettent ensuite à l’homme.

Lorsqu’il s’agit d’animaux chassés, c’est surtout le dépeçage qui représente un danger, car il y a un contact direct avec les organes et le sang.

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"Au sein de la population humaine, ce virus se propage par contact direct avec des liquides physiologiques tels que la salive, la sueur, le sang ou le sperme, explique Éric Leroy, spécialiste des maladies infectieuses à l’Institut de recherche pour le développement et directeur général du Centre international de recherches médicales de Franceville, au Gabon. Entre l’homme et l’animal, le mode de transmission est le même. Lorsqu’il s’agit d’animaux chassés, c’est surtout le dépeçage qui représente un danger, car il y a un contact direct avec les organes et le sang."

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La mesure est difficile à faire respecter

Peu après le début de l’épidémie, la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone – suivis par certains de leurs voisins, comme la Côte d’Ivoire – ont tout simplement interdit la commercialisation et la consommation de viande de brousse. Mais sur le terrain, la mesure est difficile à faire respecter, notamment dans les zones rurales où marchés et maquis spécialisés sont encore approvisionnés et fréquentés.

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"Mon père, mes grands-pères, mes aïeux ont toujours mangé des chauves-­souris et ne sont jamais tombés malades ! Moi-même, j’en consomme depuis des années, s’emporte Serge, un habitant de Guéckédou, en Guinée forestière, dans le sud du pays. Je ne comprends pas pourquoi tout à coup il faudrait s’en priver. Si la viande est si dangereuse, pourquoi n’avons-nous pas été prévenus auparavant ?"

Le fait que la maladie touche pour la première fois la région "ne veut pas dire que le virus n’a jamais été présent, répond Éric Leroy. Mais cette fois, à un moment précis, toutes les conditions ont été réunies pour qu’il y ait un passage du virus de l’animal à l’homme".

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Une question de goût et d’identité culturelle

Rémy vit lui aussi à Guéckédou. Et comme sa soeur Claude, installée à Paris, il n’envisage pas de ne plus consommer de viande de brousse. Pour eux, c’est avant tout une question de goût et d’identité culturelle. "C’est une manière de garder le lien avec nos racines, avec les plats et les saveurs de notre enfance, explique Claude. Je sais qu’en Europe c’est souvent mal vu, mais ici on mange bien des grenouilles, non ?" Dès qu’elle retourne au pays, elle ne se prive pas d’en rapporter quelques kilos dans ses valises, "pour [sa] consommation personnelle" et même si c’est strictement interdit. Ce qu’elle préfère ? Le porc-épic, "à la fois goûteux, ferme et peu gras".

"Lorsqu’on demande à la population de ne plus manger de viande de brousse, cela suscite des interrogations, et c’est normal, explique Alpha Mahmoud Barry, médecin épidémiologiste et président de l’ONG Santé Plus en Guinée. Il faut faire davantage de prélèvements et de tests sur les animaux incriminés pour apporter des preuves scientifiques. Actuellement, on se contente d’asséner des consignes dans les médias. Cela ne suffira pas pour faire changer les comportements."

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