Mali : au Nord, c’est le far west

À Alger, on négocie depuis le 16 juillet, mais dans le Septentrion, on se bat. Entre l’armée, les milices et les rebelles touaregs, rien ne va plus… Seuls les jihadistes et les trafiquants paraissent y trouver leur compte.

Depuis le 21 mai, Bamako ne contrôle plus le territoire au nord de la boucle du Niger. © Kenzo Tribouillard/AFP

Depuis le 21 mai, Bamako ne contrôle plus le territoire au nord de la boucle du Niger. © Kenzo Tribouillard/AFP

Publié le 29 juillet 2014 Lecture : 5 minutes.

Le contraste est saisissant. Le gouffre entre, d’un côté, les intentions des dirigeants (chefs de guerre ou membres du gouvernement) et, de l’autre, la réalité du terrain, béant. Au moment même où les négociations entre l’État malien et les groupes armés qui occupent le nord du pays débutaient, le 16 juillet, à Alger, dans le désert, les hommes affûtaient leurs armes et leur soif de vengeance. Lorsque les uns s’apprêtaient à livrer bataille sur des mots ("autonomie", "indépendance"), les autres se demandaient quand aurait lieu la prochaine boucherie.

Huit semaines après le cessez-le-feu arraché par le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz à Kidal, la situation dans le Nord-Mali est plus instable que jamais. Ce n’est plus un désert de sable, c’est un labyrinthe de sang dont personne n’a pour l’heure trouvé l’issue, et dans lequel seule l’hydre à plusieurs têtes que sont les groupes jihadistes semble trouver son bonheur.

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Le 14 juillet, l’armée française a perdu un neuvième homme depuis le début de l’opération Serval. Tué dans les environs d’Al Moustarat, au nord de Gao, par une voiture chargée d’explosifs et lancée à toute vitesse sur une centaine de soldats en mission. Trois jours plus tôt, des combats d’une violence extrême avaient opposé plusieurs groupes armés dans la région d’Anéfis.

>> Lire aussi : ce que Bamako et les groupes armés négocient à Alger

D’un côté, les combattants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), les deux principales rébellions touarègues, ainsi que le Mouvement arabe de l’Azawad, proche du MNLA, baptisé MAA-MNLA. De l’autre, les hommes du MAA dissident, que l’on dit fidèles à Bamako (et dont le groupe est baptisé MAA-Bamako), mais aussi des miliciens peuls et touaregs.

Aujourd’hui, se désole un acteur des médiations dans la région, le Nord est une mosaïque de milices incompréhensible pour le profane.

Le bilan est lourd. Les combats auraient fait une quarantaine de victimes. À l’origine de cette tuerie, il y a la soif de revanche née de défaites passées, mais aussi la lutte plus ancienne pour le contrôle des routes commerciales et des trafics en tous genres.

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Les drapeaux du MNLA et du HCUA flottent à nouveau

"Aujourd’hui, se désole un acteur des médiations dans la région, le Nord est une mosaïque de milices incompréhensible pour le profane. Des Touaregs se battent contre des Touaregs. Des Arabes se battent contre des Arabes. Et tout ce beau monde cohabite avec les groupes jihadistes, qui sont toujours là. C’est une poudrière incontrôlable." Et incontrôlée.

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Le 21 mai, l’armée malienne, défaite par les irrédentistes touaregs à Kidal, n’a pas seulement déserté le fief des Ifoghas. Elle a aussi perdu le contrôle de presque toute l’étendue désertique qui se situe au nord de la boucle du fleuve Niger. En quelques heures, une bonne partie des localités qu’elle avait réinvesties dans le sillon de l’armée française début 2013 ont été abandonnées aux forces rebelles… ou à leur propre sort. Ménaka, Tessalit, Aguelhok, Anéfis, Ber, Kidal… Les seules villes du Nord dans lesquelles l’armée est en mesure d’imposer sa loi (avec l’aide des forces étrangères) sont Tombouctou, Gao et Bourem.

>> À voir aussi : Carte interactive : quand l’armée malienne perd le nord

Les drapeaux du MNLA et du HCUA flottent à nouveau. Personne ne le nie. "Aujourd’hui, l’armée n’est plus sur le terrain, admet un officier de l’armée malienne. Nous n’avons plus bougé de nos positions depuis le cessez-le-feu [du 23 mai]. Nous évitons même de sortir seuls pour éviter des affrontements. Quand nous sortons, c’est avec les Casques bleus de la Minusma ou avec Serval." Ce n’est pas la bérézina de 2012, quand les groupes irrédentistes et terroristes avaient conquis les deux tiers du pays, mais tout de même…

Les Français n’ont pas pour vocation de faire la police et ne veulent surtout pas se mêler du conflit avec les rebelles touaregs.

"Les populations sont livrées à elles-mêmes", reconnaît notre officier. Il y a bien Serval et la Minusma. Mais les Français n’ont pas pour vocation de faire la police et ne veulent surtout pas se mêler du conflit avec les rebelles touaregs, qu’ils considèrent comme un problème intérieur au Mali. "Notre priorité est de traquer les éléments terroristes", indique-t-on à Paris. Quant aux Casques bleus, ils brillent par leur absence, surtout dans les zones rurales.

>> Lire aussi l’interview de Ramtane Lamamra : "Un accord dans 100 jours" sur le Nord-Mali

Montée des haines communautaires

"Plus personne ne protège les civils, constate avec amertume Bajan Ag Hamatou, député de Ménaka et chef coutumier des Oullimidens, une tribu touarègue. Résultat : les gens s’organisent en milices. C’est très dangereux car cela se fait sur des bases communautaires." Les Arabes de l’Est, les Arabes de l’Ouest, les Songhaïs, les Peuls, les Imghads… Autant de groupes qui ne sont pas forcément représentés à Alger.

Le MNLA accuse le gouvernement de favoriser l’émergence de ces milices, de se battre à leurs côtés, même. Les combattants imghads, selon lui, seraient commandés par le général El Hadj Ag Gamou, un des leaders de la communauté qui n’est autre que le conseiller stratégique du chef d’état-major des armées. Il aurait, selon certaines sources, passé un pacte avec d’autres groupes pour débarrasser le pays du MNLA.

Ce ne serait pas la première fois : pour lutter contre les rébellions, Amadou Toumani Touré ne s’était pas privé en son temps d’instrumentaliser les milices et avait fait appel à un certain Gamou. "Mais on a changé d’époque, conteste un membre du gouvernement. Nous ne sommes pas derrière ces groupes armés et Gamou n’a rien à voir avec les miliciens. Ses hommes ont été intégrés dans l’armée." Selon plusieurs sources, le général se trouvait à Bamako quand la bataille d’Anéfis a éclaté.

De fait, si certaines de ces milices sont proches du pouvoir actuel et se battent contre un ennemi commun, "leur loyauté est, comme toujours dans cette région, à géométrie variable", note un bon connaisseur du Sahel qui officie auprès de plusieurs chefs d’État de la sous-région. Et qui s’inquiète : "On assiste à la montée des haines communautaires. Il faut résoudre ce problème avant de commencer à négocier, sinon ça ne servira à rien ! Ces tensions ethniques, c’est une bombe pour le pays."

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