Burkina – Blaise Compaoré : « Il faudra bien partir un jour… »

Interviewé en juillet 2014, le chef de l’État burkinabè, Blaise Compaoré, n’éludait aucune question. Son avenir après 2015, la révision de la Constitution, l’opposition, la crise malienne, Hollande, Gbagbo, Sankara… « Jeune Afrique » vous propose de relire cet entretien.

Blaise Compaoré à Ouagadougou, le 23 janvier 2013. © Kenzo Tribouillard/AFP

Blaise Compaoré à Ouagadougou, le 23 janvier 2013. © Kenzo Tribouillard/AFP

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Publié le 23 juillet 2014 Lecture : 17 minutes.

Interview publiée en juillet dans Jeune Afrique n°2792.

Jeudi 3 juillet, palais présidentiel de Kosyam, Ouaga 2000. On montre patte blanche à l’entrée, ce qui prend cinq secondes puisque notre nom figure sur la liste des visiteurs. Ici, tout est carré. Personne ou presque à l’horizon. Pas de conseillers ni de responsables du protocole, encore moins d’hommes en armes.

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On est loin des fourmilières où l’on fait semblant de s’agiter que l’on rencontre si souvent sous d’autres cieux africains. Direction la partie résidentielle du palais, à quelques centaines de mètres. On nous installe dans un des salons à la décoration chargée. Le chef de l’État, Blaise Compaoré, fidèle à ses habitudes, est pile à l’heure du rendez-vous. Décidément, il ne fait rien comme les autres…

S’il ne goûte guère l’exercice de l’interview, et cela se sent, il n’a demandé aucun protocole d’entretien et accepte de répondre à toutes nos questions sans s’y être préparé. Même celles censées le gêner : la fin de son dernier mandat en 2015 et la modification éventuelle de la Constitution, Thomas Sankara, ses anciens lieutenants entrés en dissidence, dont Salif Diallo, compagnon de la première heure et témoin privilégié des trois dernières décennies du Burkina.

Il se montre nettement plus franc quand on aborde la politique intérieure et son cas personnel.

Un des rares hommes du pays, avec le général de division et chef d’état-major particulier du président Gilbert Diendéré, à être dans le secret des dieux. Réservé et diplomate, pour ne pas dire langue de bois, dès qu’il s’agit de l’extérieur et notamment de la crise malienne où il mène une médiation à éclipses, il se montre nettement plus franc quand on aborde la politique intérieure et son cas personnel.

Évidemment, il ne nous dira pas qu’il compte bien se représenter – en tout cas organiser un référendum pour abroger le verrou constitutionnel de l’article 37 – en décembre 2015. Nul besoin cependant de s’appeler Cassandre ou Protée pour deviner, y compris entre les lignes, qu’il envisage plus que sérieusement cette option. Le personnage a le goût des épreuves et l’adversité agit souvent sur lui comme la muleta sur un taureau. De là à imaginer que le front de l’opposition qui s’est ligué contre lui et son projet de référendum constitutionnel ne fait qu’exacerber son envie d’en découdre dans les urnes… Entretien.

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Jeune Afrique : Vous revenez d’une visite officielle de deux jours au Mali, chez votre homologue Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) avec lequel vous entreteniez jusqu’ici des relations plutôt tendues. Comment s’est-elle déroulée et que vous êtes-vous dit ?

Blaise Compaoré : Il s’agissait avant tout d’une visite d’amitié et de travail, entre deux pays voisins préoccupés par la grave crise qui frappe depuis deux ans le Mali. L’objectif principal était d’évaluer ce que nous pouvions faire ensemble pour accélérer le rétablissement de la paix et de la stabilité. Compte tenu des liens qui nous unissent depuis des siècles, ce qu’il se passe au Mali ne peut que concerner le Burkina.

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Quelle est votre évaluation de la situation ?

Depuis les événements de Kidal, il y a quelques semaines, la tension est évidemment perceptible. Mais j’ai cependant l’impression que la volonté de trouver des solutions politiques existe désormais. À preuve, les contacts de part et d’autre ont été repris.

Et avec IBK, ça va mieux ?

[Rires] Vous savez, nous nous connaissons depuis très longtemps…

On a pourtant dit qu’il vous en voulait, notamment d’avoir soutenu son adversaire lors de la présidentielle, Soumaïla Cissé…

Cette question, qui repose sur des rumeurs, est derrière nous depuis longtemps. Nous en avions déjà parlé lors d’une rencontre à Nouakchott et ne l’avons donc pas évoquée lors de ma visite. Cela n’affecte en rien nos relations, je vous l’assure.

Pensez-vous que le dialogue politique a, cette fois, une chance d’aboutir ?

Il n’y a pas d’autre issue. Chacune des parties en a conscience, je crois. Et la communauté internationale nous accompagne pour y parvenir.

Peut-on négocier avec tout le monde ? Notamment avec le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), qui semble être le groupe le plus fort sur le terrain. Ou le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), voire le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) ?

Il faut discuter avec les signataires de l’accord du 18 juin 2013 [qui prévoyait l’élection présidentielle et des pourparlers inclusifs de paix], dont certains de ces groupes faisaient partie, mais aussi avec les autres groupes, pour peu qu’ils veuillent participer à la recherche d’une solution. Je rappelle cependant que, lorsque nous nous sommes vus à Ouaga pour sceller cet accord, ces mouvements ne voulaient même pas se parler ni s’asseoir à la même table des négociations…

On dit chez nous que trop de viande ne gâte pas la sauce.

Le chef d’Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali, est-il toujours un interlocuteur ?

À partir du moment où le gouvernement malien a fixé les bases de la discussion, à savoir le respect de l’intégrité du territoire et le rejet de l’extrémisme religieux, tous les Maliens impliqués qui respectent ce schéma doivent être écoutés. C’est en tout cas ma conviction.

Il est tout de même difficile d’imaginer des discussions sereines et efficaces avec autant d’interlocuteurs. On se perd maintenant également entre les médiateurs : Algérie, Maroc, Mauritanie, Burkina… N’est-ce pas de nature à compliquer davantage la résolution de cette crise ?

On dit chez nous que trop de viande ne gâte pas la sauce [rires]. Nous nous connaissons bien, nous sommes tous concernés par cette situation et nous nous concertons très régulièrement. Si cela permet d’aboutir plus rapidement à un nouvel accord, dans les semaines à venir donc, nous aurons réussi. Dans le cas contraire, il y aura lieu d’être inquiet, très inquiet même.

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Militairement, où en est la traque des jihadistes d’Aqmi depuis le déclenchement de l’opération française Serval ?

D’après nos informations, leurs capacités opérationnelles ont été considérablement réduites. Mais ne nous leurrons pas, ils n’ont pas disparu, et la menace n’a pas été anéantie. Il faut donc rester vigilant.

Qu’en est-il de la présence militaire française au Burkina ?

On parle de quelques dizaines de membres des Forces spéciales… Nous coopérons effectivement avec la France, notamment en raison de son intervention militaire au Mali. Pour l’instant, donc, ils sont là, tant que la situation l’exigera.

Et les Américains ? Des rumeurs évoquent une base militaire dans le nord du pays. Est-ce vrai ?

Non.


À Ségou, au Mali, lors de la  visite du chef de l’État (à dr.) à son homologue
malien, Ibrahim Boubacar Keïta (à g.), le 1er juillet. © AFP

Autre pays voisin, la Côte d’Ivoire. Les charges pesant sur Laurent Gbagbo ont finalement été confirmées par la Cour pénale internationale, ouvrant la voie à son procès. Qu’en attendez-vous au juste ?

Que justice se fasse.

Ses partisans reprochent justement à la CPI de pratiquer une justice des vainqueurs en ne s’intéressant qu’aux responsabilités de Gbagbo ou de Charles Blé Goudé, alors que les ex-rebelles ou leur chef, Guillaume Soro, eux, semblent jouir de l’impunité la plus totale. Qu’en pensez-vous ?

Rien du tout. Ni vous, ni moi, ni eux ne savons ce que la CPI prépare. Attendons donc la fin de la procédure avant de formuler ce type de commentaires.

Autre critique à l’endroit de cette juridiction, plus générale celle-ci : elle ne s’intéresse qu’aux Africains. Une justice de Blancs, en somme…

Ce sont les Africains qui ont permis la création de cette cour. Sans nos voix, je ne suis pas sûr qu’elle aurait existé. Nous estimions que les crimes et les exactions commis chez nous, qui déshonoraient notre continent, ne pouvaient rester impunis.

Or il faut bien le reconnaître, nous ne sommes pas toujours en mesure de les juger nous-mêmes. Balayons déjà devant notre porte : que je sache, l’impartialité de nos juges ou nos capacités propres pour ce type de procès sont loin d’être parfaites. Enfin, même si je comprends ces critiques, qui reposent il est vrai sur des faits que tout le monde peut constater, ce n’est pas parce que cette justice a ses limites, comme ailleurs dans le monde, qu’il faut tout remettre en question.

À charge pour nous d’obtenir les réformes nécessaires. Et, surtout, de mettre en place nos propres juridictions pour gérer nous-mêmes les responsables africains de tels actes. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons souhaité, lors du dernier sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba, mettre en place une Cour africaine de justice et des droits de l’homme.

Le problème principal de l’UA, c’est d’obtenir avant tout des résultats concrets.

Force panafricaine d’intervention, lutte contre le terrorisme, intégration continentale… Les dossiers en souffrance de l’Union africaine (UA) sont légion. Que faut-il faire, selon vous, pour secouer une organisation qui ne semble pas à la hauteur des attentes des Africains ?

Le problème principal de l’UA, c’est d’obtenir avant tout des résultats concrets. Cela fait longtemps que je dénonce, en interne, nos méthodes de travail : nos réunions ne commencent jamais à l’heure fixée, nous perdons un temps fou à écouter les discours des uns et des autres, le nombre de points figurant à l’ordre du jour est monstrueux, de telle sorte que nous ne pouvons que les survoler.

Nous devrions nous concentrer sur les mesures qui ont un impact évident sur les populations : interconnexion électrique, mise à disposition de milliers de tracteurs pour nos paysans, aménagement de barrages, construction de routes, etc. De quoi d’autre, sérieusement, pouvons-nous parler entre le Burkina, le Malawi ou l’Égypte ? Traitons les problèmes pratiques, évidents. C’est à ce niveau que les Africains nous attendent.

Contrairement à l’impression de départ, ou aux déclarations d’intention en tout cas, depuis l’élection de François Hollande, la France est omniprésente sur le continent. Notamment à travers deux interventions militaires, au Mali et en Centrafrique. Est-ce une bonne chose selon vous ?

Personne n’intervient parce qu’il s’ennuie. La France a certainement d’autres préoccupations. Si elle est intervenue, dans les deux cas évoqués, c’est à la demande des Africains, mais aussi parce que c’est son devoir. Cela pose, au fond, le problème de nos propres carences…

Vous connaissez François Hollande depuis longtemps. A-t-il évolué vis-à-vis de l’Afrique, qui ne faisait pas particulièrement l’objet d’une attention particulière avant son arrivée au pouvoir ?

Je ne crois pas qu’il ait fondamentalement changé vis-à-vis de l’Afrique. Il est simplement aujourd’hui dans une position où, compte tenu de ses responsabilités, il est forcément plus sensibilisé aux évolutions de notre continent. La France est un pays très structuré. L’administration, l’armée ou le monde des affaires, qui nous connaissent bien, se chargent, si besoin, de rappeler au chef de l’État les intérêts du pays.

Êtes-vous toujours en contact avec Nicolas Sarkozy ?

Nous nous sommes appelés l’an passé. Simple échange d’amabilités.

Les images de sa garde à vue et ses déboires avec la justice française vous ont-ils surpris, voire choqué ?

Pas particulièrement. Avec la justice, mieux vaut attendre la fin du feuilleton avant de se prononcer.

Autre partenaire important de l’Afrique, la Chine. Le Burkina est l’un des derniers pays du continent à avoir préféré Taïwan à Pékin. Comment l’expliquez-vous ?

C’est un choix que nous avons effectué il y a près de vingt ans et que nous ne regrettons nullement. Mon obsession, ce sont les partenariats qui nous permettent de nous développer. En la matière, nous sommes pleinement satisfaits de celui que nous avons noué avec Taïwan, qu’il s’agisse d’agriculture ou de formations techniques et professionnelles.


Le président taïwanais Ma Ying-jeou, à Ziniare, en 2012. Taïwan est un partenaire
du Burkina, préféré à la Chine. © Ahmed Ouoba/AFP

Enfin, les États-Unis. Vous rendrez-vous au sommet de Washington, début août, avec la majorité de vos pairs africains ?

Oui, j’y serai.

Ne craignez-vous pas, compte tenu des positions de Barack Obama sur les nécessaires alternances au pouvoir, d’y recevoir des leçons de démocratie ?

Je n’ai aucun problème à écouter les autres, ni même à recevoir des leçons. Mais ce qui m’intéresse le plus, c’est ce que pensent les Burkinabè.

États-Unis – Afrique, France-Afrique, Europe-Afrique, Chine-Afrique, Japon-Afrique… Les sommets avec le continent se multiplient. À quoi servent-ils finalement ?

Pour nous, il s’agit d’opportunités dont il faut savoir tirer profit. C’est aussi le signe qu’on s’intéresse enfin à l’Afrique, de toutes parts. Cela permet de mieux nous faire connaître, mais aussi de nous ouvrir au reste du monde. Enfin, la plupart du temps, et pour être plus pragmatique, c’est l’occasion d’y nouer d’importants partenariats ou de trouver les financements dont nous avons besoin.

Abdou Diouf achèvera son dernier mandat à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie en novembre prochain. Plusieurs candidats se sont déjà déclarés. Le Burkina en soutient-il un en particulier ?

Nous ne nous sommes pas encore penchés sur cette question.

Pensez-vous que son successeur doive être africain ?

Aucun texte ne stipule cela. Ce qui importe le plus, à mes yeux, c’est la compétence, pas l’origine géographique. Car poursuivre l’immense travail mené par Abdou Diouf ne sera pas chose aisée.

Votre nom a été évoqué pour lui succéder, notamment côté français. Manière peut-être de vous proposer une porte de sortie honorable. Vous en a-t-on parlé et êtes-vous intéressé ?

Absolument pas. D’ailleurs, je ne crois pas avoir les capacités requises pour ce genre de job. Ni le bon profil.

C’est-à-dire ?

La Francophonie s’occupe du monde entier, de l’Afrique au Vietnam en passant par le Canada ; il faut une expérience que je n’ai pas. Je suis trop jeune…

Il n’est pas exclu, même si l’article 37 venait à être modifié, que je m’arrête en décembre 2015, comme c’est pour l’instant prévu.

Lors de votre dernière interview à Jeune Afrique, fin 2012, à la question "envisagez-vous de modifier la Constitution pour vous représenter en 2015 ?", vous nous aviez répondu que l’échéance était encore loin, que vous n’y pensiez pas car vous aviez d’autres priorités. Le terme de votre mandat approche à grands pas : avez-vous enfin pris votre décision ?

Non, je n’ai encore rien décidé. Je suis toujours dans ma réflexion, j’écoute les uns et les autres. Sur la question du référendum pour supprimer la limitation du nombre de mandats, comme sur celle de ma candidature si ce dernier la rendait possible. Il n’est d’ailleurs pas exclu, même si l’article 37 de notre Constitution venait à être modifié, que je m’arrête en décembre 2015, comme c’est pour l’instant prévu.

Le temps presse pourtant : si l’option du référendum est choisie, il doit avoir lieu avant le mois de mai 2015, soit dans moins d’un an…

Si vous voulez, vous pouvez venir tous les mois à Ouaga me poser la question, vous finirez bien par obtenir la réponse [rires]. Plus sérieusement, je refuse de m’enfermer dans un schéma précis et compte bien utiliser le temps qu’il me reste, avant mai prochain, donc, pour mûrir ma réflexion. Sans compter que, compte tenu des urgences du moment et des attentes des Burkinabè, je ne pense pas qu’il soit vraiment prioritaire de sombrer dans la politique politicienne ou dans un débat qui risquerait de nous éloigner des vraies préoccupations.

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Votre parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), a vécu un véritable choc avec le départ de plusieurs dizaines de cadres entrés en dissidence, et non des moindres : Roch Marc Christian Kaboré, Salif Diallo, Simon Compaoré, tous jadis très proches de vous et ayant occupé de hautes fonctions. En cause : votre volonté de modifier le fameux article 37 pour pouvoir rester au palais de Kosyam. Comment avez-vous vécu cette crise politique ?

Au Burkina, chacun est libre de faire ses choix : partir, revenir, repartir… Ce n’est ni la première ni la dernière fois que cela arrive, et j’y suis habitué.

Il ne s’agit tout de même pas de n’importe qui : ils ont été à vos côtés pendant des lustres. Et aujourd’hui, ils tiennent des propos peu amènes à votre endroit…

Ils ne sont pas les seuls, ils s’expriment et c’est leur droit. Mais s’ils pensent réellement ce qu’ils disent de moi – et je remarque que leur "lucidité" est pour le moins subite -, je préfère largement qu’ils aient quitté le CDP.

Êtes-vous toujours en contact avec eux ?

Absolument pas. Nous discutons par stades interposés…

Hormis lors des émeutes qui ont suivi l’assassinat de Norbert Zongo, en 1998, et lors de la crise de 2011 [mutinerie au sein de l’armée], vous n’avez jamais eu à affronter une telle adversité. Vos opposants n’ont jamais été aussi nombreux, actifs et soudés. Notamment depuis le retour de Zéphirin Diabré et l’arrivée des dissidents du CDP. Cela vous inquiète-t-il ?

Je ne décide pas de la taille et de la vigueur de l’opposition. J’aurais pu être inquiet si, au sein des institutions, à l’Assemblée notamment, l’équilibre des forces avait été modifié. Avant le départ des dissidents, le CDP avait 70 députés. Il en a toujours 70 aujourd’hui.


Au palais de Kosyam, lors de l’entretien, le 3 juillet. © Issa Compaoré

Certes, mais il y a désormais dans les rangs de vos adversaires un ancien président de l’Assemblée, un ancien maire de Ouaga, votre ex-numéro deux. Cela change quand même beaucoup de choses…

On se demande à qui ils doivent ce glorieux passé… Et puis les Burkinabè ne sont pas amnésiques : ils les ont entendus dire des choses hier et le contraire aujourd’hui. En particulier sur cette question du référendum. Pas sûr que cela valorise leur parole politique.

Où en est la création du Sénat, à laquelle ils s’opposent également ?

Son existence figure dans la Constitution, donc il verra le jour, évidemment. Il reste cependant encore un certain nombre de discussions à mener et de points à régler.

Le médiateur que vous avez été, dans bien des crises africaines, est, cette fois, lui-même l’objet de médiations : Alassane Ouattara mais aussi l’ancien président burkinabè Jean-Baptiste Ouédraogo tentent ou ont tenté de renouer les fils du dialogue entre vos opposants et vous…

Oui, ce sont des contributions de bonne volonté, qui essaient de trouver une solution consensuelle à un conflit politique. Cela ne me gêne absolument pas.

Vous êtes un certain nombre de chefs d’État concernés par la limitation du nombre de mandats qui pourraient être tentés par des modifications constitutionnelles : Thomas Boni Yayi, Joseph Kabila, Denis Sassou Nguesso, Paul Kagamé, etc. Vous êtes d’ailleurs premier de cordée, si l’on peut dire. En parlez-vous ensemble ?

Je mentirais si je vous disais que non, mais, franchement, très peu.

Principal argument avancé pour défendre le projet de référendum sur l’article 37, comme d’ailleurs l’idée que la limitation du nombre de mandat serait antidémocratique : le peuple est souverain, c’est à lui de décider. Cela suppose que le vote soit totalement libre, honnête et transparent, ce qui est encore trop rarement le cas sur le continent. N’est-ce pas là un argument fallacieux ?

Cela dépend de quel pays on parle, évidemment, mais vous avez en partie raison. Le véritable enjeu est là. Battons-nous justement pour des scrutins véritablement démocratiques plutôt que pour des verrous constitutionnels destinés à limiter la durée de vie au pouvoir. Au Burkina, notre histoire prouve que les gens sont mûrs, qu’ils peuvent faire leur choix en toute sincérité.

Pour obtenir des résultats, en Afrique, nous avons besoin de plus de temps.

En 1978, déjà, le président Lamizana a été poussé au deuxième tour, les députés de l’opposition étaient aussi nombreux que ceux du parti au pouvoir à l’Assemblée. Et il n’y avait pas d’observateurs… On a tendance à appliquer un peu facilement à l’Afrique les concepts occidentaux de gouvernance. Mais être président sur le continent, à la tête d’États fragiles, cela n’a rien à voir avec être président de la France ou des États-Unis.

Des pays développés où les institutions sont fortes, les ressources financières et humaines abondantes, où les routes se construisent vite sans avoir à trouver des bailleurs, etc. Pour obtenir des résultats, en Afrique, nous avons besoin de plus de temps.

Ressentez-vous l’usure du temps ?

Bien sûr, comme tout le monde.

Avez-vous peur de votre vie après le pouvoir ?

Non, pas du tout. Vous savez, après vingt-sept ans à la tête d’un pays, on éprouve naturellement le besoin de se reposer ou de faire autre chose. Ne vous y trompez pas : si je réfléchis à ce que je ferai après 2015, ce n’est pas parce que j’ai peur de ne plus être considéré ou de m’ennuyer, ou encore par volonté de m’accrocher à mes privilèges.

Ce qui me préoccupe, c’est ce que deviendra le Burkina, trouver la bonne formule, garantir la stabilité, ne pas voir détruit tout ce qui a été mis en place. Je n’ai pas envie d’assister à l’effondrement de mon pays pendant que je me repose ou parcours le monde…

C’est pour cela que je réfléchis beaucoup à tout cela et que je n’ai pas encore tranché la question, qui n’a rien à voir avec le devenir de ma petite personne.

Quel que soit le terme, il faudra bien partir un jour…

Rassurez-vous, je n’ai pas de doute là-dessus.

J’imagine que vous avez déjà réfléchi à ce moment et à celui ou celle qui sera amené à vous succéder…

Évidemment, mais ce n’est pas le genre de réflexion que l’on partage en public.

La justice burkinabè s’est une nouvelle fois déclarée incompétente, fin avril, face à la demande d’exhumation de la dépouille de Thomas Sankara formulée par sa famille. Pourquoi la question de son exact lieu de sépulture est-elle toujours aussi délicate ?

Thomas est enterré au cimetière de Dagnoën, à Ouaga. Nombreux d’ailleurs sont ceux, proches, famille ou citoyens lambda, qui vont s’y recueillir. Certains en doutent, c’est leur droit, mais la justice, ici, est indépendante. Elle fait son travail, loin de toute immixtion du politique. Je n’ai donc pas à commenter cette décision.

Son nom résonne comme un mythe, un peu partout en Afrique. Une sorte de Che Guevara du continent, y compris auprès d’une jeunesse qui ne l’a pas connu. Cela vous gêne-t-il ?

Pas le moins du monde. D’autres se souviennent qu’à son époque il n’y avait aucune liberté dans ce pays : ni de presse, ni d’association, ni d’entreprendre, ni syndicale, ni politique… D’ailleurs, les partis, nombreux, qui revendiquent sa mémoire et utilisent son nom n’ont jamais vraiment brillé. Il y a le mythe et il y a la réalité.

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Propos recueillis par Marwane Ben Yahmed

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