Jean Servais Somian : dompter le cocotier grâce au design

Exposé du 28 mai au 30 juin à la galerie Guirandou Arts pluriels d’Abidjan, le designer ivoirien installé à Paris s’est fait une spécialité : travailler le palmier.

« L’Afrique doit arrêter de créer pour elle seule, elle doit créer pour le monde ». © Sandra Rocha/J.A.

« L’Afrique doit arrêter de créer pour elle seule, elle doit créer pour le monde ». © Sandra Rocha/J.A.

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Publié le 9 juin 2014 Lecture : 4 minutes.

Solide silhouette élancée à l’image de ses Demoiselles de Grand-Bassam – des étagères façonnées en hommage aux femmes réprimées par l’administration coloniale française en 1949 -, Jean Servais Somian s’est lancé un défi : dompter le cocotier ! Cette plante qui se dresse le long du littoral et dans les terres d’Éburnie n’est pas un arbre à proprement parler, et son tronc pas vraiment du bois. Rarement sculptée à cause de ses nombreuses fibres, elle requiert un savoir-faire unique. « Depuis quinze ans, je livre un combat avec le cocotier. Il me faut trouver des troncs aux fibres ultracompactes qui permettent d’en vider le coeur, ce qui limite les possibilités de création et impose une direction aux pièces à inventer. C’est la plante qui dicte sa forme à l’objet », explique le designer né en Côte d’Ivoire en 1971. Avec l’expérience, il a pris « conscience de [s]es limites » et a créé, avec des forgerons ivoiriens, les outils adaptés lui permettant de mener à bien ses réalisations.

Le palmier, qu’il ne travaille qu’à partir de morceaux récupérés, il aime l’aérer, le creuser ou le perforer pour en faire des pièces uniques ajourées. Lampes, commodes, vases, amphores, étagères, miroirs, les combinaisons sont multiples. « Jean Servais Somian renouvelle le champ du design made in Côte d’Ivoire en employant des matériaux qui font corps avec son environnement souche, explique le critique d’art ivoirien Franck Hermann Ekra. Sa facture fait fusionner les horizons géographiques et temporels, et s’inscrit avec force dans une contemporanéité nomade. Il recycle et fixe le temps à l’aide d’objets porte-mémoire venus d’ici et d’ailleurs. »

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Formé à l’âge de 16 ans auprès de Georges Ghandour, un ébéniste d’origine libanaise qui fournissait en meubles de style Félix Houphouët-Boigny et la petite bourgeoisie de la sous-région, Jean Servais Somian découvre le cocotier à Grand-Bassam, où il a passé une partie de son enfance. Un artisan descendant d’une famille de sculpteurs du roi, le « vieux Kanga », lui montre comment s’y prendre avec ce matériau rebelle. Ce qui lui permet, quand meurent ses grands-parents et sa tante, qui l’ont élevé, de subvenir à ses besoins. « J’avais un bon filon. Je fréquentais les Français du 43e bataillon d’infanterie de marine, à Abidjan. Ils aimaient mes meubles. La coke, aussi ! » avoue celui qui finira par quitter la lagune Ébrié pour éviter de partir à la dérive. Cap sur Paris. S’enchaînent alors les petits boulots chez les ébénistes du faubourg Saint-Antoine, puis d’autres sans rapport avec sa vocation quand il se retrouve sans papiers. « Serveur, vigile, j’ai tout fait, s’amuse-t-il. J’ai même passé mes nuits à laver les panneaux routiers du quartier de la Défense ! »

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Mais cet hyperactif ne tient pas en place et, à partir de 1996, il multiplie les allers-retours entre sa terre d’adoption et sa terre natale, où, avec des amis, il ouvre à Abidjan un piano-bar, le Zigzag, qu’il meuble de ses créations. Ses chaises de gardien relookées confectionnées à partir de planches de bois reliées par des lanières de cuir (un clin d’oeil aux corsets du couturier français Jean Paul Gaultier) séduiront un reporter du New York Times, qui lui en commandera cinquante exemplaires. « Ma clientèle a d’abord été occidentale, commente-t-il. Les Africains ne s’intéressent à moi que depuis peu. »

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Une exposition parisienne en 2000, et surtout une participation à la Biennale internationale du design de Saint-Étienne en 2002 offrent une bonne visibilité à l’artiste, qui, installé à Paris, continue de produire en Côte d’Ivoire, où une dizaine d’artisans oeuvrent à ses côtés dans ses ateliers de Grand-Bassam et d’Abidjan. Même s’il travaille aussi l’ébène, l’iroko, le bété, le manguier, c’est avec le cocotier que Jean Servais Somian attire l’attention du monde du design. « En face de mon stand, il y avait celui de Philippe Starck. La claque ! C’est là que j’ai mesuré le chemin qu’il me restait à faire. À la fin de la première journée, j’étais totalement déprimé. Le lendemain, j’étais en une du journal local. Mon stand s’est rempli de monde, alors que moi j’étais totalement flippé parce que je ne voyais que les limites de mon travail ! » raconte-t-il hilare.

Les débuts n’ont pourtant pas toujours été faciles : « Les critiques m’ont blessé quand elles affirmaient qu’il n’y avait pas de design africain, mais seulement de l’artisanat. » Pas de quoi pour autant décourager cette forte tête qui projette de monter un laboratoire de design à Grand-Bassam. Au programme : recherche, formation, professionnalisation, innovation à partir des techniques modernes et traditionnelles. « Sortons des sentiers battus pour créer une nouvelle économie. On n’arrivera jamais à la perfection, philosophe-t-il, mais visons l’excellence. Soyons ambitieux : l’Afrique doit arrêter de créer pour elle seule, elle doit créer pour le monde. »

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