Angélique Kidjo : « Les femmes sont la colonne vertébrale de l’Afrique »

Bourrée d’énergie, la chanteuse béninoise Angélique Kidjo enchaîne les albums et les missions humanitaires. Dans son treizième opus, elle loue la beauté des Africaines et leur résilience. Rencontre pétillante.

Angélique Kidjo en septembre 2013, à New York. © Dave Kotinsky / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Angélique Kidjo en septembre 2013, à New York. © Dave Kotinsky / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

ProfilAuteur_NicolasMichel

Publié le 24 avril 2014 Lecture : 7 minutes.

Avec Eve, la Béninoise Angélique Kidjo signe le 13e album de sa carrière, juste après la parution de son autobiographie – My Life, My Music – publiée par HarperCollins en janvier. Bourrée d’énergie, celle qui joue à guichets fermés en Australie, qui s’autorise une apparition sur une vidéo d’art contemporain de son compatriote Romuald Hazoumé et qui s’implique corps et âme au sein de l’Unicef et d’Oxfam, dédie les 16 morceaux de son nouvel opus à la beauté des femmes africaines et à leur résilience. Mesdames, louez votre plus grande ambassadrice. Messieurs, prenez-en de la graine !

Jeune Afrique : Sur ce nouvel album, dédié aux femmes africaines, vous avez tenu à faire entendre la voix de votre mère. Pourquoi ?

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ANGÉLIQUE KIDJO : C’est ma mère qui m’a appris à chanter. Aujourd’hui, elle a 87 ans, et malgré tout, je crois qu’elle se débrouille pas mal. J’avais envie d’avoir sa voix avec moi parce que j’ai loupé le coche avec mon père. On se faisait toujours des blagues en disant "au prochain album, au prochain album…". Je ne l’ai finalement jamais enregistré et quand il est parti, en 2008, j’ai perdu sa voix. Il ne reste plus que les souvenirs.

Votre mère continue de chanter ?

Quand on a commencé cet album, nous nous trouvions au village. Je voulais enregistrer mes cousines, et elle chantait tout le temps. Elle ne pouvait pas s’en empêcher. On l’a placée loin, mais on l’entendait encore. À un moment donné, je lui ai dit : "Maman, tu veux qu’on enregistre ?" C’est dans son sang, elle aime taper dans les mains, faire danser les gens pour qu’ils passent un bon moment. Et puis cet album est dédié aux femmes africaines, et elle a été mon premier exemple de ce qu’une femme africaine peut accomplir en une journée. Elle se levait le matin très tôt pour aller au marché acheter le poisson le plus frais, les légumes les plus beaux, et elle a gardé cette discipline encore aujourd’hui. C’est impossible de l’arrêter ! Ma mère, c’est comme un train en marche ! Nous, on s’inquiète un peu car elle prend de l’âge et n’a pas envie de ralentir du tout !

Chez les Kidjo, la musique était-elle très présente ?

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Nos parents ont toujours été des mélomanes, et ils aimaient danser. La chanson "Kamoushou" est d’ailleurs écrite sur un rythme que mes parents adoraient. C’est très lent, très élégant. Le titre sur lequel ma mère chante, "Bana", elle l’a appris à Pointe-Noire où elle est née. Cette comptine a fait le tour de l’Afrique, c’est un mélange de yorouba, de fon, de lingala, chacun l’adapte avec sa langue.

On a tellement d’inspiration dans l’horreur ! À croire que le mal a plus d’influence que le bien sur nous.

Comment est venue l’idée de dédier cet album aux femmes africaines ?

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J’ai commencé à l’écrire fin 2011 suite à plusieurs voyages que j’ai faits avec l’Unicef et Oxfam, pour aller à la rencontre de femmes victimes d’abus différents, comme celles du Darfour, au Tchad. En 2005, le sommeil m’a échappé à cause de ces voyages. Les atrocités entendues sont inimaginables. Et chaque année, cela recommence. La capacité de l’être humain à détruire l’autre est incroyable… On a tellement d’inspiration dans l’horreur ! À croire que le mal a plus d’influence que le bien sur nous.

Vous avez été inspirée, dites-vous, par les femmes kényanes…

Quand je suis arrivée au Kenya, en août 2012, pour un programme sur la malnutrition sévère du nouveau-né, cela a été très dur. Pourquoi cette situation perdure-t-elle, alors que dans la nourriture il y a assez de nutriments pour une alimentation équilibrée ? Simplement parce que quand les maris bergers reviennent des montagnes, ils se servent les premiers et mangent avant les enfants et les femmes. Quand on le dit aux épouses, elles font un sourire de découragement. J’ai compris que ce serait difficile à changer. Dans le deuxième village où je suis allée, les femmes m’ont vue déprimée et elles ont commencé à chanter. Je me suis réveillée d’un coup, j’avais des frissons partout, j’ai commencé à chanter et à danser. Tout ce qu’elles faisaient, je le faisais. Elles étaient contentes car habituellement, les gens qui arrivent ici n’en ont rien à faire et ils se barrent. Cela a été comme une ampoule qui s’éclaire. Je me suis dit, c’est ça que je veux : faire entendre la voix des femmes africaines.

Vous parlez, plus précisément, de leur résilience…

Dans les circonstances les plus difficiles, les femmes se relèvent et se tiennent droites. Elles n’ont pas envie d’être définies par ce qui leur arrive. Bien que pauvres, elles sont les premières à se lever, les dernières à se coucher. Elles sont toujours en train de se dire que c’est à elles de faire que demain soit meilleur, même avec le peu qu’elles ont. Les gens les plus heureux se trouvent dans les pays pauvres, dit-on. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont pas dans l’urgence de courir après les biens de consommation, comme dans les pays riches.

Vous faites partie de ceux qui pensent que les femmes, en politique, feraient mieux que les hommes ?

Ce n’est pas que je pense qu’on peut mieux faire que les hommes : on fait mieux que les hommes. Il faut regarder le Parlement rwandais, qui a transformé ce pays ! Et en France, quand le droit à l’IVG recule, qui le décide ? Des hommes qui ne savent pas ce que c’est que d’être enceinte. Moi, je dis toujours : "Les mecs, sortez de mon appareil de reproduction, c’est pas votre problème, c’est mon corps et j’en fais ce que je veux. Moi, je ne vous dis pas ce que vous devez faire avec ce que vous avez entre les jambes !"

Les femmes sont-elles la solution aux problèmes de l’Afrique ?

Sans elles, l’Afrique s’écroulerait, car elles en sont la colonne vertébrale. Sans elles, les hommes politiques peuvent tenir tous les discours qu’ils veulent, ils n’y arriveront pas ! Éduquer les filles aujourd’hui, c’est l’investissement le plus rentable pour les nations africaines. Une femme éduquée sait comment investir dans le pays, elle met ses enfants, garçon ou fille, à l’école. Il est prouvé que le PIB augmente quand les femmes sont éduquées. Il va falloir décider si on veut des sociétés corrompues vivant de la générosité des autres ou si l’on veut créer notre propre richesse.

Pourquoi avez-vous décidé de vous installer aux États-Unis ?

C’est la musique qui m’a emmenée là-bas. Depuis que j’ai compris l’existence de l’esclavage, j’ai décidé de devenir avocate des droits de l’homme. Ou de devenir musicienne et de refaire le voyage musical à l’envers. Cette histoire, c’est la mémoire américaine, c’est la mémoire du monde. J’ai rencontré pleins de gens. Kenny Kirkland qui a joué sur l’album Oremi juste avant de mourir, ou Brandford Marsalis sur Logozo. J’ai aussi rencontré Kelly Price qui a écrit "Open Your Eyes" après une conversation au cours de laquelle elle m’a dit que son rêve avait toujours été d’aller en Afrique. Je lui avais répondu : "Commence le voyage ici." Puis je suis allée au Brésil, parce que c’était plus simple que de revenir au Bénin. Puis aux Caraïbes à Sainte-Lucie, à la Barbade, à Cuba, en Jamaïque pour retrouver toute cette musique qui est arrivée avec les esclaves. Puis au Bénin. Cela m’a pris une dizaine d’années pour faire ce voyage et finalement, je suis restée aux États-Unis.

Je n’ai rien à faire avec les politiques. Quand les gens me disent : "Vous ne faites pas de politique", je réponds que j’adore mon micro.

Vous suivez la politique béninoise ?

Je la suis de loin, mais je ne veux pas intervenir parce que je n’y vis pas. Je n’ai rien à faire avec les politiques. Quand les gens me disent : "Vous ne faites pas de politique", je réponds que j’adore mon micro.

Est-il difficile de faire un disque, aujourd’hui ?

Cela a toujours été compliqué de faire des disques, même quand il y avait des maisons de disque, soit c’était le directeur artistique qui était complètement nul, soit il voulait que vous fassiez un truc différent. Le métier a changé, internet a appauvri les artistes parce que les droits d’auteur se réduisent comme peau de chagrin. Jusqu’à quand va-t-on tirer sur la corde ? La musique va-t-elle devenir un métier de minorité riche ou demeurer un outil de langage de toutes les cultures ?

D’où tirez-vous cette énergie ?

La musique me donne l’énergie. Je ne suis pas sur scène en dilettante. C’est mon petit bout de paradis sur terre, c’est ce qui me donne la capacité d’avancer tous les jours, malgré les problèmes, la bêtise de gens stupidement racistes. La musique me permet de garder l’esprit ouvert ! Ma soeur me dit toujours : "Toi, tu mets le feu. À tes concerts, les gens sortent avec la banane." C’est exactement ce que je veux, que les gens aient la ba-na-ne !

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Propos recueillis par Nicolas Michel

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