Patrick Seale, une passion arabe

Orientaliste dans l’âme, grand spécialiste de la Syrie et éditorialiste engagé, notre collaborateur s’est éteint le 11 avril à Londres, à l’âge de 83 ans.

Proche d’Assad père, Patrick Seale avait dénoncé dans J.A. le régime du fils. © DR

Proche d’Assad père, Patrick Seale avait dénoncé dans J.A. le régime du fils. © DR

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 23 avril 2014 Lecture : 3 minutes.

Du soleil des indépendances arabes au crépuscule sanglant de la Syrie en guerre, Patrick Seale aura été un témoin privilégié de la formation du Levant contemporain. Mais celui qui avait si bien narré les grands combats qui s’y sont menés ne verra pas le dénouement du plus déterminant d’entre eux, la guerre de Syrie, sur laquelle il avait écrit de nombreux articles, publiés notamment dans J.A. Vaincu par le cancer, le journaliste et écrivain britannique s’est éteint le 11 avril à Londres, à l’âge de 83 ans. Il était né sous le ciel orageux de Belfast, en 1930, d’un père anglais spécialiste des études bibliques et arabes et d’une mère tunisienne. Mais très vite, Morris Seale embarquait sa famille pour Damas, où il avait pris la direction de la mission presbytérienne irlandaise.

Patrick Seale avait l’orientalisme dans le sang. Fragment de l’empire ottoman éclaté après 1918, la Syrie était alors sous mandat français. Seale y restera vingt ans et verra le pays accéder, en 1946, à l’indépendance. Il verra aussi, deux ans plus tard, des milliers de réfugiés palestiniens y affluer après la création de l’État d’Israël. Études en Angleterre, service militaire dans le renseignement en Égypte, premières armes en journalisme à l’agence Reuters, en 1954. Au début des années 1960, sa passion arabe le ramène à Beyrouth, où il se lie avec Kim Philby, correspondant du quotidien britannique The Observer et agent double à la solde des Soviétiques. En 1962, ce dernier, démasqué, fuit à Moscou et Seale hérite de son poste au Liban.

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Trois ans plus tard, il publie son premier livre de référence, The Struggle for Syria, sur la construction de l’État postcolonial, qui sera complété, en 1988, par Asad of Syria : The Struggle for the Middle East et, en 2010, par The Struggle for Arab Independence : Riad el-Solh and the Makers of the Modern Middle East. Rédigé à partir de longs et rares entretiens avec le président Hafez al-Assad, le deuxième volet de cette trilogie est considéré par beaucoup de spécialistes comme son oeuvre majeure, mais d’autres y dénoncent une entreprise ayant participé à légitimer la dictature des Assad. "J’avais beaucoup apprécié son premier livre, déclare ainsi Farouk Mardam-Bey, intellectuel syrien et grand éditeur de littérature arabe en langue française. Mais je suis nettement plus réservé sur son deuxième…" Pour Gilles Kepel, spécialiste du monde arabe contemporain, Seale "avait pris un certain nombre de positions que tout le monde ne partageait pas, mais il est resté une référence qui avait un accès privilégié aux élites, ce qui devient de plus en plus rare. Il fait partie de cette génération de grands journalistes proches de grands dirigeants aujourd’hui déchus : une époque révolue".

Certes proche d’Assad père, Seale était moins intime avec son fils. Trois mois après le déclenchement de la révolution, en mars 2011, le journaliste dénonce le "catalogue d’atrocités" constitué par Bachar, et la "loi du plus fort et le mépris de la vie humaine" qui caractérisent son régime (J.A. nº 2633). En juin 2012, alors que les chancelleries hostiles à Assad le voyaient tomber, il écrit avec lucidité : "La survie d’Assad à long terme dépendra de la capacité de l’Iran à préserver sa stabilité. […] La loyauté de l’armée et des services de sécurité reste l’atout maître du régime". "Les États-Unis et la Russie feraient bien de s’unir pour imposer un cessez-le-feu", recommandait-il encore dans le dernier article que nous avons publié de sa main, en avril 2013. Visionnaire passionné, mais également esthète et agent littéraire, Patrick Seale laisse quatre enfants et une famille orientaliste désormais orpheline.

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