Biram Dah Abeid : « En Mauritanie, les Haratines sont traités comme des objets »

Président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste, Biram Dah Abeid dénonce la subsistance de pratiques esclavagistes en Mauritanie.

Biram Dah Abeid a pris conscience très tôt du racisme en Mauritanie. © DR

Biram Dah Abeid a pris conscience très tôt du racisme en Mauritanie. © DR

Publié le 18 avril 2014 Lecture : 2 minutes.

Militant antiesclavagiste subversif, Biram Dah Abeid, lui-même descendant d’esclaves, est la bête noire du régime mauritanien depuis qu’il a, en 2008, fondé l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA). En 2012, il a été détenu plusieurs mois (sans avoir été jugé) pour avoir brûlé des écrits considérés par certains comme sacrés mais qu’il qualifie pour sa part d’esclavagistes et d’anti-islamiques. Ce passage par la case prison ne l’a pas dissuadé de poursuivre son combat. À 49 ans, Biram Dah Abeid, qui a reçu le prix des droits de l’homme des Nations unies en 2013, est candidat à l’élection présidentielle de juin prochain.

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Biram Dah Abeid : Tout le monde sait très bien que non. Les Maures sont largement minoritaires, mais ils s’accaparent tous les leviers du pouvoir : politiques, économiques et administratifs. Ils représentent 90 % des membres du gouvernement, 100 % des hommes affaires, 95 % des officiers supérieurs… La discrimination est en contradiction avec les lois en vigueur, mais celles-ci sont faites seulement pour tromper les Occidentaux, qui se satisfont des apparences. La loi qui criminalise l’esclavage n’a jamais été appliquée : les Haratines, qui représentent 20 % de la population, sont toujours des esclaves par ascendance et, à ce titre, considérés comme la propriété des Arabo-Berbères. Ce sont des objets. Ils n’ont pas droit à l’éducation, à la propriété, à l’état civil…

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Peut-on parler de racisme ?

Bien sûr ! Dans les discours comme dans les pratiques. Les Maures se considèrent comme des Blancs, des "beïdane", et nous appellent les "soudan", les Noirs. Pour eux, c’est synonyme d’esclave.

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À quel âge avez-vous pris conscience de tout cela ?

J’avais 8 ans. Quand je suis né, on transhumait, mes parents et moi, derrière nos animaux, des deux côtés du fleuve Sénégal. Nous ne vivions pas avec les Maures. Mais avec la sécheresse, nous nous sommes installés dans un bourg à 35 km de Rosso. Il y avait là-bas cinq familles maures et 300 familles négro-mauritaniennes. Mais c’étaient les Maures qui dirigeaient tout. Quand on avait des problèmes avec les enfants maures, on nous corrigeait, mais les enfants maures, eux, n’étaient jamais corrigés. Et quand l’État distribuait quelque chose aux populations, il fallait toujours passer par les Maures. C’est là que j’ai commencé à poser des questions à mon père.

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Comment faire évoluer les mentalités ?

Les mentalités ont déjà évolué. Mais nous devons continuer. Il faut que le pouvoir cesse d’être le fait d’une minorité qui fonde sa gouvernance sur la discrimination. Pour cela, il faut que l’élite noire accepte d’enfreindre les règles et dénonce le discours officiel qui présente, de façon très hypocrite, la Mauritanie comme une nation multiethnique.

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Propos recueillis par Rémi Carayol

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