Peinture : Sara, Mulongoy, Kibwanga… l’influence de l’école de Lubumbashi

Bela Sara, Pilipili Mulongoy et Mwenze Kibwanga ont fait la renommée de l’école de Lubumbashi. Aujourd’hui, leurs oeuvres font partie des collections du musée de Tervuren ou du MET de New York.

Mwenze Kibwanga, Sans titre, huile sur toile (65X106 cm), 1986.. © DR

Mwenze Kibwanga, Sans titre, huile sur toile (65X106 cm), 1986.. © DR

CECILE-MANCIAUX-2024

Publié le 18 mars 2014 Lecture : 4 minutes.

L’histoire commence en 1946. Pierre Romain-Desfossés, ancien officier de la marine française, est établi depuis deux ans à Élisabethville après avoir fait campagne dans l’Oubangui-Chari (Tchad) avec le général Leclerc. Passionné d’Afrique, fasciné par la sensibilité et l’originalité de ses artisans et artistes – sculpteurs, peintres, potiers -, il décide d’ouvrir à de jeunes talents locaux les portes de son hangar, situé sur l’avenue Moëro. Il y a déjà rassemblé une belle collection d’objets d’art traditionnel. Il veut désormais en faire un atelier, où il pourra guider ses protégés dans l’expression de leur don, loin de l’influence des canons esthétiques occidentaux. Surnommé le Hangar, l’atelier prend l’appellation officielle d’Académie d’art populaire indigène. Ainsi naît l’école d’Élisabethville, future école de Lubumbashi – une ironie du sort, car le terme d’"école" faisait bondir Romain-Desfossés… Le Hangar verra émerger de nombreux artistes, dont certains acquièrent rapidement une renommée internationale, à l’image de Mwenze Kibwanga (1925-1999), Pilipili Mulongoy (1914-2007) et Bela Sara (originaire de l’ethnie tchadienne des Saras, décédé à Brazzaville en 1968), ancien ordonnance de Romain-Desfossés. 

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À ceux qui se présentaient dans son atelier, il faisait passer un test tout simple : "Assieds-toi sous cet arbre et peins ce que tu vois." Une consigne qui les poussait à explorer leur nature profonde et à redécouvrir leur environnement quotidien, pour le saisir à la fois dans sa globalité et dans ses détails. Chez les peintres de l’école de Lubumbashi, on retrouve les mêmes sources d’inspiration : scènes de chasse et de pêche, vie villageoise, faune et flore locales. Tous laissaient parler leur instinct pour représenter la nature. Tous travaillaient à partir d’une palette particulièrement décorative. Tous privilégiaient l’absence de fond, animant les arrière-plans de répétitions linéaires ou de hachures, mais sans intégrer leur sujet à un paysage. Si le travail se faisait en commun, en revanche, chacun des talents découverts par Romain-Desfossés a su développer une esthétique et des techniques personnelles.

Pierre Romain Defossés et Mwenze Kibwanga, qui intégra l'atelier en 1950.

Pierre Romain Defossés et Mwenze Kibwanga, qui intégra l’atelier en 1950. © DR

Pointilliste

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Premier élève du Hangar et autodidacte complet, Bela préférait peindre avec les doigts. Conjuguée à un caractère réputé fougueux, cette empreinte digitale donne à ses tableaux un cachet singulier. Rites initiatiques, paysages aquatiques, scènes de chasse donnant à voir l’affrontement entre l’homme et une jungle menaçante… Animées de contours incertains, de couleurs profondes et contrastées, ses oeuvres "pointillistes" sont décoratives et pleines de fraîcheur, ce qui n’enlève rien à leur mystère. Pilipili Mulongoy privilégiait pour sa part la flore et la faune zaïroises – ses oiseaux, crocodiles, poissons, félins… Dans sa peinture, les animaux évoluent au milieu d’univers délicats, sur fond d’herbe et de fleurs formé de petites taches hachurées, caractéristiques de sa technique.

Pilipili, qui travaillait à ses débuts avec des morceaux de bois, maîtrisa rapidement le pinceau, décuplant la dimension poétique de ses oeuvres. Il garda en revanche l’habitude de couvrir la surface de ses panneaux de petites hachures polychromes qui donnent à ses tableaux une touche extrême­ment décorative de réalisme candide, qu’ils représentent une scène bucolique ou un tragique combat animalier. Quant à Mwenze Kibwanga, qui était déjà portraitiste, il continua de placer la figure humaine au coeur de ses tableaux de la vie quotidienne : chasse, travail, danse… Fils de tisserand, Mwenze était doté d’un sens de l’ordonnancement et de la rythmique des coloris : ses oeuvres évoquent la trame d’un tissu. Un style très personnel, nerveux et dynamique, caractérisé par un système de zébrures concentriques faites d’épais traits de pinceau, alternant les tons chauds et froids (ocres et beiges, bruns et noirs, verts et noirs).

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Pilipili Mulongoy, Pintades, huile sur toile, panneau de masonite (125 x 247 cm), 1950.

Cotés

Après la mort de Romain-Desfossés, en 1954, le Hangar fut repris par l’artiste belge Laurent Moonens, qui, tout en veillant à préserver son intégrité, lui fit rejoindre son Académie des beaux-arts et des métiers d’art (créée en 1951). Pilipili, Mwenze et Bela y enseignèrent. En 1957, elle fut transformée par les autorités coloniales en Académie officielle des beaux-arts d’Élisabethville et découpée en trois sections – peinture, publicité et dessin de bâtiment. Elle devint ensuite l’Institut des beaux-arts de Lubumbashi, sa forme actuelle.

Bella Sara, Sans titre, huile sur toile (82,5 x 66,5 cm), 1965.

Aujourd’hui, les oeuvres de ces peintres parmi les plus cotés de l’école de Lubumbashi font partie des collections publiques du Katanga. On peut les admirer au Musée national de Lubumbashi, ainsi que dans les locaux du gouvernorat et du Bâtiment du 30-Juin (siège de l’assemblée provinciale). Mais la plupart sont exposées au Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren (Belgique), dans les collections Rockefeller du Metropolitan Museum of Art, à New York, ou au Musée d’art du comté de Los Angeles (États-Unis), quand elles n’appartiennent pas à des collectionneurs privés. En 2012, les quatre dernières oeuvres de Mwenze Kibwanga, provenant d’une collection privée, ont été exposées à l’Institut des beaux-arts de Lubumbashi avant qu’un amateur belge s’en porte acquéreur. L’influence de ces pionniers sur les générations de peintres qui ont émergé après l’indépendance est incontestable, comme le reconnaît l’artiste Kiat wa Madanda, qui a débuté auprès d’eux son apprentissage à l’âge de 15 ans et enseigne aujourd’hui à l’Institut des beaux-arts de Lubumbashi. Au fil du temps, les jeunes artistes ont fini par s’émanciper et adopter des techniques beaucoup plus classiques pour les uns, avant-gardistes pour les autres, utilisant la récupération ou le collage, concevant des installations… Mais l’âme des anciens n’a pas pour autant disparu. L’héritage de Mwenze, Pilipili et Bela reste vivant et palpable dans le travail des artisans et artistes lushois d’aujourd’hui, dont les oeuvres remplissent les ateliers de Katuba et de Ruashi ainsi que le marché des oeuvres et objets d’art de Kalukuluku.

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Par Cécile Manciaux et Jean-Jules Tshoza Kay

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