RDC – Médard Kayamba Badye : « Lubumbashi a failli être britannique »

Une région riche en cuivre, des rivalités coloniales dont les Belges sortirent vainqueurs au début du XXe siècle, et Élisabethville était née. Un historien lushois revient sur cette épopée.

Médard Kayamba Badye est l’un des auteurs de « Lumumbashi, cent ans d’histoire ». © Sikasso pour J.A.

Médard Kayamba Badye est l’un des auteurs de « Lumumbashi, cent ans d’histoire ». © Sikasso pour J.A.

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Publié le 26 mars 2014 Lecture : 4 minutes.

RDC : Lubumbashi la cosmopolite
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RDC : Lubumbashi la cosmopolite

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Professeur à l’université de Lubumbashi (Unilu), Médard Kayamba Badye, 65 ans, est un spécialiste de l’histoire économique et sociale du continent. Coauteur de l’ouvrage Lubumbashi, cent ans d’histoire, paru en 2013 aux éditions L’Harmattan, il explique comment les ambitions économiques et les rivalités entre le royaume de Belgique et l’Empire britannique ont conduit à la création d’Élisabethville, la future Lubumbashi. Et en quoi l’évolution de son peuplement est essentielle pour comprendre l’identité si singulière de la métropole katangaise.

Jeune Afrique : Dans quel contexte la création d’Élisabethville s’est-elle décidée ?

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Médard Kayamba Badye : Tout a commencé avec la création du Comité spécial du Katanga, le CSK, en 1900. Il fallait en effet une structure mixte qui associe l’État indépendant du Congo (Créé en 1885, l’État indépendant du Congo était placé sous la souveraineté du roi des Belges. Sous la pression des Anglo-Saxons et de l’opinion publique, qui s’élevait contre le régime de travail forcé imposé par l’administration de Léopold II, ce statut est abandonné en 1908 au profit d’une annexion du Congo par la Belgique en tant que colonie) et la Compagnie du Katanga, société privée, pour mettre en pratique la politique de gestion du territoire et assurer la distribution des concessions minières et foncières. Son responsable, un général, est venu s’installer aux abords de la rivière Lubumbashi et d’une mine de cuivre qui existait déjà, à Ruashi. En 1906 fut créée l’Union minière du Haut-Katanga [UMHK], associant le CSK, Tanganyika Concessions Limited – la société du Britannique Robert Williams – et la Société générale de Belgique, principale banque du royaume.

En 1909, le futur Albert 1er [il devint roi des Belges en décembre de la même année, au décès de son oncle] visita la région avec son épouse Élisabeth. Elle donna son nom à la mine de Ruashi, qui devint Élisabethmine. Et lorsque la ville fut créée, en 1910, on la baptisa Élisabethville.

Comment s’est-elle développée ?

Dans une première phase, elle est peuplée par des non-Africains. Les Belges ne sont alors pas nombreux sur le terrain. Les Britanniques sont présents, en particulier Robert Williams, mais aussi d’autres étrangers d’origine européenne venant d’Afrique du Sud, surtout des Italiens et des Grecs. Quelle qu’ait été leur origine, ceux qui venaient d’Afrique du Sud étaient considérés comme des Britanniques par les Belges, qui, en réaction, décidèrent de favoriser une immigration plus importante vers le Congo, en particulier vers Élisabethville.

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Avaient-ils raison de craindre à ce point qu’elle devienne britannique ?

Elle a vraiment failli le devenir. Si la prospection minière au Katanga avait repris peu avant 1900, c’était à l’initiative de Robert Williams, ami de Cecil Rhodes, lequel était déjà aux portes du Congo, en Rhodésie du Nord (l’actuelle Zambie) et voulait mettre la main sur toutes les mines de l’Afrique centrale. Les Belges ont donc toujours gardé en tête que les Britanniques avaient pour ambition de prendre le Congo.

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Et qu’en était-il de la population indigène et africaine ?

La caractéristique de cette région du sud du Congo était sa très faible densité démographique, due aux ravages de la traite négrière. Il fallait donc faire venir de la main-d’oeuvre. Or les accords qui régissaient l’UMHK prévoyaient qu’elle achète des vivres aux colons britanniques qui, en retour, lui fournissaient la main-d’oeuvre qui manquait localement. Jusqu’à la fin des années 1920, le peuplement africain d’Élisabethville fut donc surtout constitué par les travailleurs que l’on faisait venir du Sud, c’est-à-dire des colonies britanniques – Rhodésie du Nord, Rhodésie du Sud (Zimbabwe), Nyassaland (Malawi) -, et un peu d’Angola.

Pourquoi s’est-on mis à recruter des Congolais venus d’autres provinces ?

À l’époque, on ne parlait pas d’Africains, mais juste de travailleurs.

Cette deuxième phase de peuplement, celle de la croissance de la ville, fut la plus importante. Alors qu’auparavant chaque province veillait jalousement sur sa main-d’oeuvre, le Congo belge a revu sa politique en la matière autour des années 1930, notamment parce qu’il recevait de gros investissements dans les secteurs de l’énergie, de l’eau et, surtout, des chemins de fer.

À l’époque, on ne parlait pas d’Africains, mais juste de travailleurs. Élisabethville s’est alors retrouvée organisée en trois grands secteurs : la "ville européenne", c’est-à-dire le centre-ville, les "cités africaines" et, enfin, les camps de travailleurs qui regroupaient la main-d’oeuvre de différentes sociétés, telles que l’UMHK et le chemin de fer Bas-Congo – Katanga (BCK).

Au début, ces travailleurs avaient des contrats de trois mois, donc ils venaient et repartaient. Puis la durée des contrats s’est allongée. Ils sont venus avec leurs femmes, se sont installés, ont eu des enfants. Mais avec la crise, à partir de 1940, l’Union minière a décidé de se séparer d’une bonne partie de ses travailleurs, qui ont dû quitter les camps pour s’installer dans les cités africaines, où, dès lors, tous les groupes ethniques se sont trouvés réunis. Et quand les activités ont repris, à la fin des années 1940, plutôt que d’aller les chercher ailleurs, c’est dans ce vivier que l’Union minière et les autres entreprises ont recruté les travailleurs dont elles avaient besoin. D’ailleurs, l’Union minière était qualifiée de tshanga-tshanga, c’est-à-dire "qui mélange", en swahili.

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