Burkina Faso : Blaise Compaoré, la tentation du troisième mandat

Le président du Burkina Faso n’a peut-être pas encore formellement pris sa décision. Mais pour Blaise Compaoré, l’envie de rempiler pour un troisième mandat est grande. Avec le double risque de créer une situation de tensions sociales et politiques et d’écorner son image.

D’ici à moins de deux ans, Blaise Compaoré devra choisir s’il part ou s’il reste. © Meigneux/Sipa

D’ici à moins de deux ans, Blaise Compaoré devra choisir s’il part ou s’il reste. © Meigneux/Sipa

Publié le 25 novembre 2013 Lecture : 7 minutes.

Élections : Partira ? Partira pas ?
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Novembre 2015, cela peut paraître loin, et deux ans en politique, très long. Mais pour un pays qui, de l’aveu même de ses plus hauts dirigeants, ne sait pas faire dans la "transition démocratique", pour la simple raison qu’il n’a jamais eu l’occasion d’en vivre une, c’est une autre histoire. Surtout quand le président sortant, qui en sera alors à sa vingt-neuvième année de règne sans réel partage et qui s’est construit au fil des ans une image d’homme providentiel, n’a toujours pas levé le voile sur ses propres intentions.

Ira, ira pas ? Deux ans avant la fin de son mandat – théoriquement le dernier -, Blaise Compaoré reste fidèle à sa réputation : il cultive le flou. "C’est mon choix qui va être déterminant. Je sais où sont les limites de mes forces et de mon intelligence", se contentait-il de dire le 22 septembre sur La Voix de l’Amérique. Ses partisans, eux, rappellent que 62 ans c’est encore jeune pour un chef d’État.

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À Ouagadougou, chacun a sa petite idée. Un diplomate étranger de premier plan : "Il semble qu’il ne se représentera pas." Ablassé Ouedraogo, son ancien ministre des Affaires étrangères aujourd’hui passé à l’opposition : "Il n’ira pas." Un ami de Compaoré, qui fut son conseiller pendant près de vingt ans et jusqu’à il y a peu : "Je crois qu’il n’a aucune intention de prolonger et qu’il laissera sa place." Le vote en juin 2012 par l’Assemblée nationale d’une loi d’amnistie pour les anciens chefs d’État du Burkina est souvent avancé comme la preuve que Compaoré est prêt à passer la main. D’autres personnalités haut placées dans la sous-région disent le contraire. Il semble surtout qu’il n’a toujours pas pris sa décision et qu’il tranchera en fonction de l’évolution de la situation.

Il a beau répéter à chacune de ses (rares) sorties publiques qu’il n’y pense pas, Compaoré ne trompe personne.

À vrai dire, il a beau répéter à chacune de ses (rares) sorties publiques qu’il n’y pense pas, Compaoré ne trompe personne. Les pressions sont trop nombreuses et trop contradictoires pour qu’il les évacue d’un simple revers de main. D’un côté, il y a son entourage, à commencer par son frère François. Il y a son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), qui réclame depuis plusieurs années la modification de l’article 37 de la Constitution, lequel stipule que le président du Faso n’est rééligible qu’une fois. Il y a tout ce que le monde des affaires compte de puissants. Et il y a l’armée. On a tendance à l’oublier, mais Compaoré et de nombreux dirigeants de l’actuel régime en sont issus, et celle-ci – faut-il le rappeler -, n’a jamais quitté la scène politique depuis sa prise du pouvoir en 1966. Elle est ce que le chercheur Augustin Loada appelle "la matrice du pouvoir", mais aussi "une épée de Damoclès" qui pèse sur les civils.

>> Lire notre carte interactive "Ces chefs d’État africains qui s’accrochent au pouvoir"

Une opposition de mieux en mieux structurée

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Tous ceux-là souhaitent que Compaoré s’accroche au pouvoir pour diverses raisons : pour parachever "l’oeuvre de démocratisation entamée en 1987", pour "préserver la stabilité du pays" ou, plus trivialement, pour conserver le pouvoir, garder la main sur l’économie ou assurer ses arrières. "Le clan du président craint une chasse aux sorcières en cas d’alternance. Il pèse de tout son poids pour que Blaise reste à Kosyam", se désole un cadre du CDP, qui, lui, n’y est pas favorable. À force de persuader les Burkinabè qu’il est le seul recours, l’entourage du président a semble-t-il fini par y croire.

En face, il y a l’opposition, de mieux en mieux structurée, la société civile, plus impliquée que jamais, les étudiants et les syndicats, toujours aussi politisés… Dans la perspective de 2015, ces poches de contre-pouvoir qui, jusque-là, n’arrivaient pas à s’entendre, ont effectué un rapprochement jugé inquiétant au Palais. Les manifestations des mois de juin et juillet ont démontré leur capacité à mobiliser. Celles de 2011, couplées à de nombreuses mutineries, avaient révélé l’ampleur du malaise qui touche aussi bien les soldats du rang que les commerçants, les étudiants ou encore les fonctionnaires.

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Il y a aussi l’Église catholique, historiquement très influente au Burkina. En dénonçant, le 15 juillet, dans une lettre pastorale qui a pris les traits d’un tract de l’opposition, "le malaise social", "une gouvernance de plus en plus déconnectée de la réalité", "la corruption" et surtout la "patrimonialisation de l’État", les évêques, qui ne sont pas favorables à la modification de l’article 37, ont lancé un sérieux avertissement.

Il y a enfin la communauté internationale. Un certain nombre de voisins qui s’inquiètent d’une possible déstabilisation du pays ont d’ores et déjà envoyé des messages à "Blaise" via des intermédiaires. "Rassurez-le. Dites-lui qu’on ne l’oubliera pas. Qu’on lui trouvera une mission à sa hauteur." À la Francophonie, à l’Union africaine ou ailleurs.

La position des deux seuls partenaires qui comptent vraiment au Burkina – les États-Unis et la France – est ambiguë.

Plusieurs pays européens, dont l’aide bilatérale est loin d’être négligeable, ont de leur côté manifesté leur attachement à la Constitution. Les États-Unis et la France aussi, même si la position des deux seuls partenaires qui comptent vraiment au Burkina est ambiguë. Certes, Emmanuel Beth, qui était le représentant de la France à Ouagadougou jusqu’en août dernier, lui aurait plusieurs fois conseillé de "ne pas y aller". Mais Paris et Washington ne cachent pas leur embarras : si Compaoré a subi un relatif échec au Mali (la confiance placée par ses hommes en Iyad Ag Ghaly reste en travers de la gorge de la France), il est toujours considéré comme un partenaire essentiel dans la sous-région. La stabilité du Faso n’a pas de prix alors que la Côte d’Ivoire et le Mali sortent à peine du chaos et que d’autres pays pourraient y plonger. Et l’hospitalité du pays en matière militaire est loin d’être négligeable, alors que la guerre contre la nébuleuse salafiste ne fait que débuter : voilà plusieurs années que le Faso sert de base pour les forces d’élite et les services de renseignements des armées française et américaine.

>> Lire aussi l’interview de Rinaldo Depagne (ICC) : "Le départ de Compaoré devrait créer un vide"

Au-delà de toutes ces pressions, Compaoré doit prendre en considération les conséquences de ce qu’impliquera son choix. S’il tarde à dévoiler ses intentions, il alimente la machine à rumeurs, qui n’est pas sans impact sur le climat sociopolitique. S’il annonce qu’il ne se représentera pas, il ouvre la voie à une guerre de succession qui pourrait laminer son parti, déjà en proie à de graves dissensions depuis qu’en mars 2012 la plupart des barons du CDP ont été évincés du bureau politique au profit des proches de François Compaoré. A-t-il commis là une erreur rédhibitoire en ne désignant pas de successeur longtemps à l’avance ? Certains, au CDP, le pensent. "Notre parti peut rester dix ans au pouvoir, vingt ans même, après Blaise. Mais on ne prépare personne ! Rien n’est fait pour trouver un successeur. Au contraire, tous ceux qui sortent du lot sont écrasés", se désole un cadre du parti proche de Roch Marc Christian Kaboré, un des barons placardisé.

54% des Burkinabè ne veulent pas que la Constitution soit changée

Dans un rapport publié en juillet, intitulé "Avec ou sans Compaoré, le temps des incertitudes", le think tank International Crisis Group établissait un douloureux parallèle avec le voisin ivoirien : "À la manière de ce qui s’est produit lors de la succession de Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, les caciques du régime pourraient se livrer à une bataille destructrice pour prendre la place laissée vacante par le président."

Enfin, si Compaoré décide de se représenter, il prend le double risque de créer une situation de tension politique et sociale et d’écorner son image. Va-t-il passer en force ? Comptera-t-il sur un vote du Congrès ? La polémique suscitée par la création du Sénat (qui n’a toujours pas vu le jour) l’en a dissuadé. La seule option qui lui reste est donc la voie référendaire. Mais c’est risqué. "Tout change très vite dans ce pays. Aujourd’hui, les gens réfléchissent, s’expriment, s’informent", note l’opposant Ablassé Ouedraogo.

Une enquête d’opinion considérée comme fiable illustre cette évolution. Menée il y a un an auprès de 1 200 Burkinabè par le Centre pour la gouvernance démocratique, elle révèle que 54 % des sondés ne veulent pas que la Constitution soit modifiée dans le but de permettre à Compaoré de se présenter à nouveau. En 2008, ils n’étaient que 46 %.

L’armée peut-elle jouer un rôle en 2015 ?

Cela reste une énigme. Selon Rinaldo Depagne, analyste principal chargé de l’Afrique de l’Ouest pour International Crisis Group, "l’armée burkinabè est aussi silencieuse que le président qui l’a façonnée. Les mutineries de 2011 ont cependant montré que l’armée, en particulier sa base, n’était pas aussi disciplinée qu’on le pensait. Depuis l’indépendance, le Burkina est traversé par une grande dynamique : à chaque fois qu’un régime a tenté d’imposer trop fortement son autorité, s’est montré incapable de gouverner ou a imposé un contrôle trop inégalitaire des ressources du pays, il a fini par être renversé, par la rue ou par l’armée".

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