Chine : drogues, l’âge de glace

En moins de cinq ans, la République populaire est devenue le premier exportateur mondial de méthamphétamines et autres drogues de synthèse. Les fameuses ice drugs.

Incinération de sachets de bingdu par la police, à Shenyang en 2012. © AFP

Incinération de sachets de bingdu par la police, à Shenyang en 2012. © AFP

Publié le 20 juin 2013 Lecture : 6 minutes.

Acheter de la drogue en Chine ? Rien de plus simple. Il suffit de se connecter sur internet et, moyennant une somme comprise entre 30 et 100 euros, vous recevrez directement chez vous quelques cristaux de méthamphétamines, des cachets d’ecstasy, voire de la cocaïne. « Nous livrons dans tout le pays en moins de vingt-quatre heures. Vous pouvez commander sur internet ou par téléphone », annonce un site internet local. Les photos qui accompagnent le texte montrent clairement des sachets de drogue, essentiellement des méthamphétamines (drogue de synthèse). La police du Net fait périodiquement le ménage dans les sites défendant les droits de l’homme. Ou ceux qu’elle juge pornographiques. Mais les dealers de la Toile prospèrent en toute impunité.

On estime qu’un quart des accros chinois prennent des méthamphétamines. Ils n’étaient que 8 % en 2008. L’héroïne régresse face à ces drogues de synthèse, moins chères et plus faciles à fabriquer (il suffit d’un laboratoire de quelques mètres carrés). Soixante-dix pour cent des consommateurs ont moins de 35 ans. La plupart habitent dans une grande ville.

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En Chine, on consomme des cristaux de bingdu (littéralement : « drogue de glace ») dans les boîtes de nuit et les karaokés. Pour moins de 1 euro la dose. « C’est une drogue que beaucoup de jeunes consomment de façon récréative, explique Zhang Yongan, directeur du centre antidrogue de l’université de Shanghai. On prend du bingdu entre amis. Rien à voir avec l’héroïne, qui reste une drogue de marginaux, venus souvent des campagnes. » « Il nous arrive d’acheter du bingdu en discothèque, confirme un jeune Pékinois. Ce n’est pas très cher, et ça nous permet de danser toute la nuit. »

La police ? « Ça dépend des endroits. Les clubs ont, en général, de bonnes relations avec les autorités. Sauf dans le cas de gros trafics, les descentes sont rares. » De leur côté, les gérants de discothèques jurent qu’ils font le ménage parmi leurs clients. « Pas de drogue chez nous », fanfaronne l’un d’eux à Sanlitun, le quartier chaud de Pékin. La réalité est très différente.

Pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène, il faut se rendre dans la banlieue de Shanghai. Là, entre les exportateurs de tee-shirts et de médicaments, sont installés de petits chimistes aux grandes ambitions. La plupart vendent sur internet des cristaux certifiés purs à 99,9 %. Méthylméthcathinone, dérivés de la méphédrone, naphyrone, pentedrone… Des drogues de synthèse qui échappent à toute répression puisqu’elles ne sont pas encore répertoriées. Des molécules aux noms barbares, couramment utilisées en pharmacie, mais dont le mélange peut se révéler détonant.

« Il est très facile pour ces laboratoires de s’informer sur les drogues interdites en Chine et dans le reste du monde. Puis d’en inventer de nouvelles et de les commercialiser sans craindre ni la police ni les douanes », explique un agent de la lutte antidrogue à l’ambassade du Royaume-Uni à Pékin. Des laboratoires de ce type, on en trouve des milliers sur la côte entre Shanghai et Canton. Certaines drogues arrivent de Corée du Nord (voir encadré) ou de Birmanie, puis sont reconditionnées et prises en charge par les triades de Taiwan et de Hong Kong, parfois par les yakuzas japonais. Mais, de plus en plus, le trafic échappe aux mafias traditionnelles au profit des producteurs de « médicaments » eux-mêmes.

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Overdoses

Ainsi, 80 % des drogues de synthèse consommées en Europe proviendraient de ces filières. Aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, les sachets de bingdu arrivent directement par la poste ou s’achètent en club. La presse se fait régulièrement l’écho de la mort par overdose d’adolescents ayant consommé ces substances, produites à l’autre bout du monde.

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« Il y a quelques mois, j’ai découvert une drogue dont la structure moléculaire était toute nouvelle : la 3-MMC, écrit ainsi un consommateur sur un site britannique en libre accès, sur lequel on s’échange bons plans et dernières découvertes. Jusque-là je prenais de la 4-MMC, c’est-à-dire de la méthamphétamine. Quand j’ai ouvert la pochette, j’ai tout de suite reconnu l’odeur âcre si particulière de cette drogue. Depuis, j’en commande régulièrement par pochettes de 2 grammes. » Son fournisseur est un laboratoire de Shanghai, qui, chaque mois, tient la gageure de proposer plusieurs nouveaux produits. En moins de cinq ans, grâce à ces chimistes à l’imagination débordante, la Chine est devenue le plus gros dealer de la planète.

Il suffit de modifier une molécule pour transformer un médicament en drogue ou en poison.

Longtemps, lesdits chimistes ont eu recours à la méphédrone. Depuis 2010, celle-ci est interdite sur le territoire de l’Union européenne, mais qu’importe : il suffit de changer une molécule pour que, de nouveau, un vide juridique soit créé. Selon l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), une soixantaine de nouvelles substances en circulation ne sont pas encore reconnues comme des drogues. On les appelle les NPS, pour nouveaux produits de synthèse.

« La plupart des NPS vendus en Europe sont produits en Chine, explique un rapport de l’OEDT. Ils entrent dans l’UE via les pays qui n’ont pas encore décidé de leur statut juridique, avant d’être redistribués ailleurs. Les matières premières sont alors mélangées et, éventuellement, conditionnées de différentes manières. Les pays où sont implantés les sites de vente sur internet ne sont pas ceux à partir duquel les produits sont expédiés. Et pas davantage ceux où se trouvent les serveurs informatiques. Ce système d’une rare complexité brouille la traçabilité des circuits de production et de distribution. »

Les douanes estiment qu’une trentaine de sites internet en français vendent des NPS. Mais les sites en anglais se comptent par centaines. Ils proposent des produits à des prix compris entre 8 et 20 euros.

Filières

Le marché est si rentable que, depuis peu, les organisations criminelles ont créé leurs propres filières. Selon un agent chargé de la lutte antidrogue aux Nations unies, le bingdu représente aujourd’hui un risque majeur, au même titre que l’héroïne ou la cocaïne. Les autorités chinoises semblent enfin résolues à réagir. La pseudoéphédrine, une molécule utilisée dans la fabrication du bingdu et de ses dérivés, pourrait être bientôt interdite. Problème : c’est aussi un puissant décongestionnant nasal. Distinguer la vente de médicaments de celle de drogues de synthèse n’est pas simple.

Entre 60 % et 80 % des matières pharmaceutiques concourant à la fabrication des médicaments vendus en Europe sont aujourd’hui produits hors du continent, contre moins de 20 % il y a vingt ans. « Le paracétamol, par exemple, vient exclusivement de Chine et d’Inde », note Marie-Christine Belleville, de l’Académie nationale de pharmacie, à Paris. L’institution recommande donc aux Européens de rapatrier leur production et de renforcer les contrôles aux frontières. La Chine compte officiellement plus de cinq mille unités de fabrication de médicaments. Impossible de toutes les contrôler. Or il suffit de changer une molécule pour transformer un médicament en drogue ou en poison.

La Corée du Nord, dealer de l’Asie

Selon certains analystes, près de la moitié des Nord-Coréens consommeraient du bingdu, drogue de synthèse massivement fabriquée dans leur pays et non moins massivement exportée, en Chine et ailleurs. Toutes les occasions sont bonnes pour les adolescents : on en offre lors d’une fête d’anniversaire ou d’une soirée entre amis… Les médias sud-coréens évoquent à ce propos un véritable « carnage ». Mais, bien sûr, ce trafic rapporte gros, très gros à ce narco-État qu’est en passe de devenir la Corée du Nord.

Le long des 1 400 km de la frontière avec la Chine, des milliers de laboratoires ont été installés. Ils écoulent leur production dans les provinces du Liaoning, du Jilin et du Heilongjiang, en République populaire, où le montant des saisies de drogue nord-coréenne a atteint 60 millions de dollars l’an dernier. Dans la ville frontalière de Dandong, sur le fleuve Yalu, les descentes de police sont quotidiennes. Mais Pékin préfère dénoncer les dealers « étrangers » plutôt que d’accuser ouvertement son voisin et protégé nord-coréen. S.L.B.

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