Belgique – RDC : Didier Claes, l’art et le bagou

Congolais par sa mère, belge par son père, Didier Claes est un marchand avisé vend sans complexe des objets cultuels africains à de riches collectionneurs.

Didier Claes, d’origine congolaise, marchand d’art. spécialisé dans l’art de l’Afrique centrale. Le 11 décembre 2012. Belgique, Bruxelles © Bruno Lévy/J.A.

Didier Claes, d’origine congolaise, marchand d’art. spécialisé dans l’art de l’Afrique centrale. Le 11 décembre 2012. Belgique, Bruxelles © Bruno Lévy/J.A.

ProfilAuteur_NicolasMichel

Publié le 31 mai 2013 Lecture : 4 minutes.

L’élégance est soignée, le sourire millimétré et le verbe profus. Didier Claes, marchand d’art, parle comme pour occuper le terrain, et l’interrompre sans paraître malpoli exige de déployer tout un trésor de ruses. Qu’il ait réussi dans le commerce des oeuvres africaines anciennes ne saurait surprendre : ses clients, sans doute, achètent aussi les histoires qu’il leur raconte, comme un emballage cadeau paré des mystères de la brousse. Lui-même sait dire sa propre légende avec talent. « Mon père travaillait pour l’Institut des musées nationaux du Zaïre, raconte-t-il. Il n’avait pas le droit de vendre des pièces, mais il allait en brousse et le faisait quand même, avec l’accord tacite des autorités. C’était quelqu’un de dur, qui aimait l’argent. Il ne m’a jamais rien montré, je me suis imprégné par moi-même. À l’âge de 13 ans, lors de vacances à Bruxelles, j’ai vendu trois coiffes de Centrafrique pour 20 000 francs belges chacune au marchand Philippe Guimiot. Avec l’argent, j’ai racheté des coiffes au Congo. »

Né à Kinshasa, de mère zaïroise et de père belge, Didier Claes a vécu au Congo jusqu’à ses 16 ans, quatrième enfant du côté maternel, aîné du côté paternel. « Aujourd’hui, je suis l’un des seuls marchands métis au monde. Mais quand on est métis en Afrique, ce n’est pas si facile. N’étant ni noir ni blanc, beaucoup de métis se retrouvent entre eux. » Vivant dans le quartier de Limete, à Kinshasa, Claes navigue entre l’école belge – ghetto de riches où il n’est pas trop dans son élément – et la cité où il est « mieux accepté par des gens simples ». Son éducation, dit-il, lui permet de passer facilement d’un milieu à l’autre.

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En 1991, c’est d’un pays à l’autre qu’il faut passer, la guerre au Congo chassant les Claes vers la Belgique. Le racisme n’influe guère sur le jeune homme : « Je me suis rendu compte qu’il y avait des personnes avec qui il n’était pas nécessaire de parler. » En revanche, ses résultats scolaires suivent une mauvaise pente, et ses relations avec son père en pâtissent. « Il a mal vécu la transition, le fait que les objets se tarissent. J’ai vécu avec les anecdotes de ces vieux baroudeurs qui sortaient les objets par malles entières… » Invité par sa mère à débarrasser la cave des oeuvres y moisissant, Claes les écoule aux puces. Marié très jeune, il a besoin d’argent.

La solution pourrait être congolaise : il quitte l’école (« je n’aime pas trop le dire ») et retourne au pays en 1993. Déçu par l’atmosphère de misère qui y règne, il a la chance de tomber sur une importante statuette songyé, qu’il vendra à son retour au marchand Pierre Dartevelle. Et à sa manière, il reprend les études : compare ce qu’il trouve en Afrique et en Europe, « observe les vrais pour comprendre les faux », côtoie les marchands, fréquente assidûment les livres et les bibliothèques, voyage. En 1995, il décide de ne plus aller en Afrique. Un an plus tard, de vendre en exclusivité aux collectionneurs. On lui refuse l’entrée dans une foire, en Belgique : il émigre aux États-Unis, vend son stock à l’Armory Show, fait la connaissance du collectionneur américain James Ross et ouvre une petite galerie. Las ! « L’Amérique peut aussi tout vous prendre. À partir de 2001, les collectionneurs n’ont plus voulu acheter. »

Il en faudrait plus pour le décourager. Surfant sur la reconnaissance acquise, il multiplie ses participations aux foires, organise des expositions, officie comme expert chez Pierre Bergé & associés… « J’ai une déontologie : on ne peut pas être juge et partie, certifie-t-il. Dans une exposition, je ne présente jamais une pièce m’appartenant. » Sur le pillage du patrimoine, il est aussi très clair : « On a connu les pères blancs, qui ont détruit la moitié du patrimoine artistique de l’Afrique noire, et ces grands pyromanes que furent les colons. Il y a eu aussi les guerres tribales entre Africains. Les marchands ont donné de la valeur aux oeuvres, et on leur en veut, mais pour moi, la chose la plus importante est la sauvegarde du patrimoine. Dans certains musées africains, les objets sont bouffés par les insectes et tombent en miettes. On ne doit pas les y laisser, même s’il ne faut pas confondre sauvegarde et pillage. Pour ma part, je ne touche pas aux terres cuites, car en achetant, on encourage la contrebande. » S’agissant de son patrimoine personnel, peu d’inquiétude. Travaillant avec son frère Alexandre, ce père de 4 enfants dispose d’un hôtel particulier de 450 m2, sa galerie (www.­didierclaes.com) dont il tait le chiffre d’affaires investit lourdement dans le marketing et, depuis sept ans, il réalise la collection d’un Belge dont on ne saura que les initiales : V.D.K. « Avec la crise, on reconnaît les marchands qui font bien leur travail, ajoute-t-il. Aujourd’hui, je me permets des conforts que je ne me serais pas permis avant. »

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