Algérie : la vie sans Bouteflika

Ébullition sociale, dynamisme économique, effervescence politique… Le pays semble moins paralysé par l’absence du président que ne le prétendent de nombreux observateurs.

Abdelaziz Bouteflika, le 12 février 2009 à Alger. © Reuters

Abdelaziz Bouteflika, le 12 février 2009 à Alger. © Reuters

Publié le 27 mai 2013 Lecture : 4 minutes.

Trois semaines après l’évacuation, le 27 avril, du président Abdelaziz Bouteflika vers l’hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce à la suite d’un mini-AVC, le patient « récupère et se tient informé des affaires importantes de la nation », assurait son Premier ministre, Abdelmalek Sellal. Si la question de la santé du chef de l’État monopolise les titres de la presse quotidienne, elle semble n’avoir, en revanche, aucune prise sur le quotidien des Algériens. Pas de trêve sur un front social en constante ébullition, marqué notamment par un débrayage des corps médical et paramédical qui a paralysé les hôpitaux. La sémantique contestataire s’est du coup enrichie d’un nouveau slogan : « Ni Parnet ni Zmirli [nom de deux établissements hospitaliers de la capitale], tous au Val-de-Grâce ! »

Dans le sud du pays, secoué par l’attaque terroriste contre le complexe gazier de Tiguentourine, le 16 janvier, les chômeurs, de Tamanrasset à Ouargla et de Béchar à El Oued, poursuivent leur mouvement de protestation. Dans le Nord, la situation n’est guère plus reluisante. La moindre opération d’attribution de nouveaux logements provoque émeutes et coupures d’axes routiers. Une polémique opposant avocats et magistrats a totalement paralysé une justice qui ne brille guère par sa célérité. Quant à la tenue des examens de fin d’année dans les cycles primaire et secondaire, elle est menacée par la multiplication de conflits entre les enseignants et leur tutelle.

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Paradoxe

L’absence pour cause de convalescence du président Bouteflika n’a pas calmé le front social et a, paradoxalement, donné un coup de fouet à la vie économique. Au cours de ces trois dernières semaines, le gouvernement a annoncé le lancement de trois grands projets de développement d’un montant dépassant 20 milliards de dollars (15,4 milliards d’euros) : construction de 300 000 logements, d’une mégacentrale électrique à Alger et de quatre cimenteries géantes dans les Hauts Plateaux (pour une production totale de 17 millions de tonnes annuelles) dans le cadre de la relance du secteur.

L’Algérie semble moins paralysée par l’absence du président que ne le prétendent de nombreux observateurs.

Mais ni l’ébullition sociale ni le dynamisme économique du pays « sans lui » ne détonnent autant que l’emballement de la scène politique. À un an de l’élection présidentielle d’avril 2014, une échéance cruciale censée consacrer le passage de témoin générationnel, une telle effervescence pourrait paraître normale. Pas en Algérie, où l’auguste absent concentre entre ses mains des pouvoirs exorbitants, jouit d’une incontestable popularité et exerce une influence considérable sur la vie politique. Si son absence n’a pas permis aux deux premières formations du pays, le Front de libération nationale (FLN, ancien parti unique) et le Rassemblement national démocratique (RND), de sortir de la crise qui a contraint leur direction – Ahmed Ouyahia pour le RND et Abdelaziz Belkhadem pour le FLN, dans l’ordre chronologique – à la démission, elle n’a pas empêché le courant islamiste de se réorganiser. À peine élu, le 4 mai, le nouveau patron des Frères musulmans du Mouvement de la société pour la paix (MSP), Abderrezak Mokri, entamait des discussions avec les dirigeants des petites formations se réclamant du courant fondamentaliste en vue de réunir la famille islamiste sous une seule bannière dans la perspective de la prochaine présidentielle. Abderrezak Mokri a ainsi notamment rencontré Abdelmadjid Menasra, président du Front du changement (FC, organisation dissidente des Frères musulmans).

Aït Ahmed fait ses adieux

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Les démocrates ne sont pas en reste. Si Amara Benyounes, chef du Mouvement populaire algérien (MPA, quatrième force politique à la chambre basse du Parlement), a décidé de reporter la tenue du congrès du parti, le Front des forces socialistes (FFS, de Hocine Aït Ahmed), doyen des partis d’opposition, organisait ses assises du 23 au 25 mai. Un rendez-vous déterminant, car à son ordre du jour figurait un point essentiel : la désignation du successeur d’Aït Ahmed. Plus qu’une simple alternance, la succession du président-fondateur du FFS devrait consacrer le changement de ligne du parti, qui a décidé d’abandonner la politique de boycott systématique des échéances électorales pour participer activement à la vie parlementaire. Un virage à 180 degrés qui a provoqué une hémorragie chez les jeunes cadres et militants du FFS, lesquels, à l’image de Karim Tabou (ex-secrétaire national du parti) ou de Samir Bouakouir, sont tentés de quitter le parti pour créer le leur.

Autre formation à tenir ses assises en l’absence de Bouteflika : le Parti du renouveau algérien (PRA). Membre de la coalition gouvernementale au début des années 2000 avant de rejoindre les rangs de l’opposition en 2004, il a annoncé la tenue d’un congrès extraordinaire les 30 et 31 mai. Quant au Parti des travailleurs (PT, trotskiste), il ne devrait pas tenir d’assises nationales avant 2014, pour investir, ou non, son candidat. Louisa Hanoune, sa secrétaire générale, n’en a pas moins multiplié les déclarations tonitruantes sur la nécessité de juger pour « haute trahison » les ex-ministres Chakib Khelil, Hamid Temmar et Abdellatif Benachenhou (tous considérés comme proches du cercle présidentiel), le premier pour corruption et les deux autres pour mal-gouvernance.

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Ébullition sociale, dynamisme économique, effervescence politique. Assurément, l’Algérie semble moins paralysée par l’absence du président que ne le prétendent de nombreux observateurs. La vie sans lui a plongé le pays dans l’après-Bouteflika. Avant l’heure…

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