Culture : le paradoxe du cinéma sénégalais

Les réalisateurs du pays de la Teranga remportent de prestigieux prix, pourtant la filière n’a jamais été si moribonde. Une situation à laquelle le Tandem Dakar-Paris entend donner un coup de pouce.

Le Christa, l’une des rares salles encore en activité à Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour J.A.

Le Christa, l’une des rares salles encore en activité à Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour J.A.

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Publié le 8 avril 2013 Lecture : 3 minutes.

Il est l’un des derniers rescapés d’une ère révolue. Malick Aw, 45 ans, exploite une salle de cinéma dans le quartier populaire de Grand Yoff, à Dakar. Créé en 1995 par son propre père, le cinéaste Tidiane Aw, Le Christa ne survit aujourd’hui que par la grâce de la fidélité filiale. En bordure de la route de l’aéroport se dresse la façade blanche de l’Espace culturel Tidiane-Aw. De part et d’autre du porche triangulaire, un cinéma et une galerie d’artisanat africain. « Si nous raisonnions en termes d’exploitation commerciale, nous aurions dû fermer la salle depuis longtemps car nos recettes n’équilibrent pas nos charges, résume Malick Aw. Nous finançons son activité sur nos fonds propres, grâce notamment à la location ponctuelle du cinéma pour des réceptions ou des mariages. » Avec une contenance de 500 places et une moyenne de 9 séances par semaine, essentiellement des films d’action, Le Christa (le prénom de la mère de Malick Aw) est l’une des très rares salles encore en activité dans la capitale sénégalaise.   

À Dakar, les salles de quartier se comptent sur les doigts d’une seule main et proposent essentiellement masala bollywoodien et autres séries Z américaines. « L’âge d’or du cinéma sénégalais remonte aux années 1970, quand l’État injectait des fonds », résume le Sénégalais Hugues Diaz, directeur national de la Cinématographie, un service dépendant du ministère de la Culture chargé d’élaborer et de mettre en œuvre la politique cinématographique de l’État. Mais au cours de la décennie suivante, les politiques d’ajustement structurel ont abouti au démembrement du secteur. Désengagement étatique, privatisation des salles…, l’industrie entame sa traversée du désert. Pourtant, un petit groupe de réalisateurs engrange depuis 2012 les prix les plus prestigieux. Moussa Touré a été primé au FESPACO et aux journées cinématographiques de Carthage (JCC) avec La Pirogue, présentée également à Cannes, Alain Gomis l’a été à Berlin, aux JCC et au Fespaco pour Aujourd’hui (Tey), Ousmane William Mbaye aux JCC pour Président Dia… Les réalisateurs primés lors du dernier Fespaco ont dû se débrouiller sans l’aide des pouvoirs publics. Au lendemain du festival, le président sénégalais Macky Sall a reçu l’ensemble de la délégation sénégalaise. « Il a promis à cette occasion d’affecter, à partir de 2014, un budget annuel de 1 milliard de F CFA (1,5 million d’euros) aux sociétés de production nationales dans le cadre du Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle », se réjouit Hugues Diaz.   

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Échanges

En attendant, un budget de 3 millions de F CFA a été consacré à la rénovation du Christa dans le cadre du Ta ndem Dakar-Paris, dont Jeune Afrique est partenaire. Cette plateforme d’échanges culturels entre les deux capitales, qui s’est ouverte à Dakar le 28 mars, a réservé une place de choix au cinéma dans l’espoir de redonner à la population dakaroise le goût des salles obscures. « Avec 12 000 spectateurs et 120 films par an, la salle de l’Institut français fait office de seule véritable salle de cinéma à Dakar », affirme Romain Masson, attaché audiovisuel régional, rattaché à l’ambassade de France.   

Au programme du Tandem l’organisation est pilotée par l’Institut français du Sénégal pour le compte des deux municipalités, diverses activités sont prévues autour du cinéma d’animation, un genre délaissé au Sénégal. « Les enfants sont les grands oubliés du cinéma en Afrique », regrette le critique Baba Diop. En partenariat avec des structures locales, plusieurs activités sont prévues, des projections aux ateliers de formation. En guest star, Michel Ocelot viendra présenter sa dernière œuvre, Kirikou et les hommes et les femmes. Pour Romain Masson, au-delà de cet événement ponctuel, l’ambition du Ta ndem est « de faire tache d’huile et d’engager une action pérenne autour du Christa ».   
 

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