Moïse Katumbi : « Que faisons nous de la RDC ? »

Populiste ou populaire ? Vulgaire Berlusconi congolais ou dirigeant vraiment efficace ? Une chose est sûre, le gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, ne laisse personne indifférent. Rencontre avec un personnage atypique, industriel prospère et président de l’un des meilleurs clubs de football du continent, qui affirme ne pas nourrir d’ambitions nationales.

Moïse Katumbi, le 5 mars à Londres. © Kalpesh Lathigra pour J.A.

Moïse Katumbi, le 5 mars à Londres. © Kalpesh Lathigra pour J.A.

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Publié le 27 mars 2013 Lecture : 12 minutes.

L’exercice confine à l’équilibrisme : la popularité grandissante de cet ovni politique qu’est Moïse Katumbi Chapwe, le jeune gouverneur (48 ans) de la riche province du Katanga, n’est pas pour lui déplaire. Problème, dans le Congo d’aujourd’hui comme dans le Zaïre d’hier, les têtes qui dépassent trop dérangent. Et suscitent bien des jalousies…

Il faut dire que l’ancien homme d’affaires, revenu au pays en 2003 à la demande du président Kabila, ne fait pas grand-chose pour rester dans l’ombre. Sa fortune, que personne ne sait évaluer, lui autorise un train de vie de nabab en même temps qu’elle lui permet, très fréquemment, de multiplier dons, distributions de dollars (en billets de 100, s’il vous plaît), mais aussi de pallier personnellement les difficultés budgétaires du gouvernorat. Paramètre non négligeable dans un pays rongé par la corruption et où les politiques n’ont pas bonne presse, Katumbi était déjà très prospère avant de devenir député ou gouverneur. Il n’est donc pas suspecté de recourir à cette nouvelle carrière pour s’enrichir.

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L’autre élément de cette « irrésistible ascension » – le titre du prochain documentaire que lui consacre le cinéaste belge Thierry Michel, qui dépeint un homme dynamique et décidé à redresser sa province, mais aussi un personnage complexe, populiste accusé de conflits d’intérêts ou d’abus de pouvoir -, c’est son bilan à la tête d’un Katanga vital pour l’économie du pays tout entier, largement dépendant du secteur minier, mais exsangue à son arrivée aux affaires, en mai 2007. Depuis, tout le monde reconnaît que la province a beaucoup changé et que son équipe a abattu un travail considérable. Les résultats concrets obtenus par un politique étant aussi rares en RDC qu’une partie de pêche d’où l’on rentre bredouille sur les bords du lac Moero – où Katumbi a passé son enfance -, sa réputation d’homme à poigne et efficace a vite traversé les frontières du Katanga pour atteindre la lointaine capitale, Kinshasa.

Last but not least, le football, sport roi, dans lequel il excelle à la tête du Tout Puissant Mazembe, qu’il préside depuis 1997. Il y a englouti beaucoup d’argent pour doter son club d’une équipe de haut niveau. Avec des résultats probants : deux victoires consécutives en Ligue des champions africaine (2009 et 2010), une finale en Coupe du monde des clubs à Abou Dhabi (2010).

Le TP Mazembe est l’une des références du football africain.

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© Karim Sahib/AFP

Katumbi ne laisse personne indifférent. C’est un personnage de roman : métis, né d’un père juif séfarade originaire de l’île grecque de Rhodes (alors sous domination italienne) dont la famille a émigré au Katanga entre les deux guerres pour fuir nazisme et fascisme, et d’une mère congolaise issue d’une famille royale bemba, il démontre dès son plus jeune âge qu’il a la bosse du commerce. Il commence par vendre du poisson frais ou séché à la toute-puissante Gécamines. Puis se lance dans de multiples activités, au Congo ou en Zambie : transport, agriculture, immobilier, hôtellerie, construction. Puis crée sa compagnie minière, Mining Company Katanga (MCK), dirigée depuis son élection en 2007 par son épouse, Carine. Il soutient Joseph Kabila en 2006 et en 2011, alors que son frère Raphaël Katebe Katoto, lui, fraie avec Jean-Pierre Bemba.

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« Moïse », comme l’appellent les Katangais, marche toujours sur un fil. Il défend sa province et son autonomie, n’hésite pas à défiler, comme lors de la fête nationale en 2007, dans le cabriolet du héros des irrédentistes, Moïse Tshombe, réclame son dû (les fameux 40 % de recettes qui doivent revenir au Katanga, phagocytés par Kinshasa), tape du poing sur la table quand il veut obtenir gain de cause face à la capitale ou aux groupes miniers qui ne respectent pas leurs engagements, mais ne prononce jamais le mot « fédéralisme », honni par les autorités centrales. Flatter la fibre katangaise sans jamais froisser « Kin », poursuivre son ascension et conserver son indépendance sans faire de l’ombre au président Kabila ou se mettre à dos ses barons… Pas simple.

Jeune Afrique : Vous êtes le gouverneur de la plus riche province de RDC depuis 2007. Serez-vous candidat à un deuxième mandat, lorsque les élections seront enfin fixées ?

Moïse Katumbi Chapwe : [Sourire.] Vous savez que je travaille dans l’illégalité depuis un an ? J’ai été élu pour un mandat de cinq années. Mais notre État ne dispose pas des moyens nécessaires à l’organisation de nouvelles élections pour le moment. Alors je reste. Je veux que le passage de témoin avec mon successeur se passe le mieux possible, sans heurts, sans rupture.

Cela signifie donc que vous ne souhaitez pas vous représenter…

Je l’ai toujours dit. J’ai été candidat à la fonction de gouverneur à la demande du président Kabila lui-même et de mes amis. Les Katangais m’ont fait confiance. Moi, je suis opérateur économique, je ne nourris aucune ambition politique. Ce que j’ai fait pour la province, d’autres pourront très bien le faire après moi. Je serai candidat à la députation provinciale, c’est tout.

Il reste en outre de très nombreuses inconnues. D’abord, les gouverneurs sont désignés par les partis politiques. Et je pense qu’il serait bon que le mien, le PPRD [Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie, NDLR], choisisse une personnalité qui ne soit plus issue du Sud-Katanga, mais du Nord, par exemple. Ensuite, il y a la question du découpage dans le cadre de la décentralisation, qui, selon la Constitution de 2006, prévoit la création de vingt-six provinces, l’actuel Katanga en représentant quatre. Je suis contre, car nous n’y sommes tout simplement pas prêts et que cela suppose des moyens que nous n’avons pas. Mais cette disposition existe…

Regrettez-vous la période pendant laquelle vous étiez entrepreneur ?

Oh oui ! J’étais plus libre, j’avais moins de soucis. La politique reste une aventure particulièrement difficile.

Selon la Constitution de 2006, 40 % des recettes des provinces doivent leur revenir directement. Cette mesure a longtemps été votre cheval de bataille, mais elle n’est toujours pas effective alors que le Katanga est devenu le plus gros contributeur au budget national. Cela vous irrite-t-il toujours autant ?

C’est même exaspérant. Il s’agit d’un double problème : d’abord de légalité, ensuite d’équité. Que l’on gère bien ou non notre province ne change rien. Nous avons fait passer les recettes du Trésor public du Katanga de 100 millions de dollars [77 millions d’euros] par an lorsque nous sommes arrivés à plus de 1,5 milliard de dollars aujourd’hui, mais nous n’en profitons pas. Certes, il y a eu la guerre, et les temps étaient aux sacrifices, mais tout de même. Je tiens beaucoup à l’application de cette mesure et je ne baisserai pas les bras.

Je n’ai pas peur de la critique. Dans toute critique, il y a toujours un élément à retenir pour s’améliorer.

Quelle évaluation faites-vous de votre action à la tête du Katanga ?

Nous avons beaucoup travaillé. Nous sommes satisfaits de ce qui a été mis en place même si nous savons que beaucoup reste à faire. En mai 2007, quand j’ai pris mes fonctions, la situation était catastrophique. Nous partions réellement de zéro : une province riche de ses minerais mais extrêmement pauvre dans la réalité. Nous avons rassuré les investisseurs, les avons sécurisés, mais aussi contraints à se préoccuper de la paix sociale dans leurs entreprises, à cultiver des terres, etc. Ou à mettre en place des usines de traitement de leurs métaux pour les transformer sur place et employer la main-d’oeuvre locale. La production de cathodes de cuivre est ainsi passée de 18 000 tonnes à plus ou moins 600 000 t. Nous avons également réhabilité un tiers des 12 000 km de routes et nous en avons construit de nouvelles. Sur le plan de l’éducation, nous sommes passés de 400 000 élèves scolarisés, dont seulement 15 % de filles, à 1,2 million, avec 45 % de filles. En ce qui concerne l’eau potable, seuls 3 % des Katangais y avaient accès en 2007, ils sont 67 % aujourd’hui. La clé de notre développement, désormais, c’est la constitution d’une véritable classe moyenne. Pour cela, il faut encore accentuer la création d’emplois. Actuellement, la majorité des activités de sous-traitance des investisseurs de notre pays est importée. Des sociétés congolaises doivent exercer ces activités. Cela fera circuler l’argent localement.

L’accès à l’électricité reste un défi non relevé.

Il est colossal. Les banquiers ont montré leur confiance en investissant dans le secteur minier. Je les en remercie, mais il faut désormais qu’ils investissent dans l’électricité. Les clients sont là et le potentiel évident, notamment dans l’énergie hydroélectrique.

Vous êtes plutôt populaire, vous êtes riche et également patron du club de football le plus performant au sud du Sahara. Certains vous comparent déjà à un Silvio Berlusconi congolais. Le cinéaste belge Thierry Michel vient même de vous consacrer son dernier film, L’Irrésistible ascension de Moïse Katumbi. Le portrait d’un homme dynamique et décidé à redresser sa province, mais aussi celui d’un populiste qui multiplie abus de pouvoir et conflits d’intérêts…

Je n’ai pas peur de la critique. Dans toute critique, pour peu qu’elle soit objective, il y a toujours un élément à retenir pour s’améliorer. Mais le film de Thierry Michel, pour lequel j’ai beaucoup de respect, est un documentaire à charge et contient une série de contrevérités ou de raccourcis. Et il est basé sur des images d’archives, déjà vues dans Katanga Business [également réalisé par Thierry Michel et sorti en 2009]. Ça m’a fait sourire, je me suis revu en taille 56, j’étais gros à cette époque, alors que je ne fais plus qu’une taille 52 aujourd’hui. On y présente des images de 2005-2007, avant que je devienne gouverneur donc, comme si cela venait de se produire. C’est étonnant.

L’entretien s’est déroulé le 5 mars à Londres.

© Kalpesh Lathigra 2013

Concrètement, qu’appelez-vous des contrevérités ?

Prenons l’exemple du football, présenté comme un tremplin politique. Je suis président d’un club depuis mes 18 ans. J’en ai 48 aujourd’hui. Vous pensez sincèrement que j’aurais fait cela, à cet âge-là, pour préparer une éventuelle carrière politique ? Ou alors je suis un véritable stratège, un génie même ! C’est une passion. J’étais joueur-président puis je suis devenu président du TP Mazembe en 1997, succédant à mon frère. J’y ai mis beaucoup d’énergie dès mon arrivée et les résultats n’ont pas traîné : une demi-finale de la Coupe d’Afrique en 2002. Depuis, nous nous maintenons au sommet et figurons parmi les quatre meilleures équipes du continent. Vous croyez que diriger un club de football permet de gagner des élections ? Demandez à l’ancien président Diomi Ndongala du V.Club de Kinshasa [de 2005 à 2007] ce qu’il en pense. Lui n’a pas été élu, malgré la popularité de son club.

Dans ce film, il est également question d’abus de pouvoir…

Je vais vous donner un deuxième exemple. Il parle de situation monopolistique dans le transport routier. Ma société de transport a été créée en 2001 en Afrique du Sud, alors que j’étais en exil. En 2004, je l’ai rapatriée au Congo. Elle détient 100 camions. Si vous comparez cela aux 18 000 camions qui rentrent chaque mois d’Afrique du Sud, on est bien loin du monopole… Thierry Michel me prête des liens avec des sociétés avec lesquelles je n’ai jamais travaillé. Confond dates et contenu de rencontres… Ma société Mining Company Katanga, je la possède depuis 1997, pas depuis que j’ai été élu gouverneur. Je crains qu’il ait été manipulé et qu’il n’ait pas vérifié ses informations. Mais j’en parlerai directement avec lui.

Certains vous comparent à un autre illustre Moïse katangais, Moïse Kapenda Tshombe, et vous disent partisan de l’indépendance du Katanga…

Des bêtises ! Ce sont des gens qui ne connaissent pas l’histoire du Congo qui racontent cela. La sécession du Katanga a été préparée à un autre niveau, en Belgique. Nous avons besoin d’unité nationale. Le gouvernement katangais compte des conseillers venus d’autres provinces. Parmi mes gardes du corps, il y a seulement 10 % de Katangais. Et dans mon équipe de football, il y a des joueurs venus de partout. Je suis moi-même métissé, donc je crois à l’unité nationale. Les sécessionnistes purs et durs, chez nous, sont des vieux de la vieille, des nostalgiques d’une autre époque, âgés de 80 ou 90 ans.

On vous prête des ambitions présidentielles après la fin, en 2016, du mandat de Joseph Kabila, le dernier selon la Constitution…

J’ai déjà entendu cela. On l’a dit en 2006, alors que je soutenais déjà l’actuel président, pour 2011. Depuis sa réélection, cela ressort. Mais je vous le répète : je n’ai pas d’ambitions politiques. J’y suis entré un peu par hasard, pour donner un coup de main à mes amis. Et ma seule préoccupation aujourd’hui est de contribuer à l’essor de la RDC. À l’issue de mon mandat, je retournerai à mon métier d’homme d’affaires et de gestionnaire de club de football.

Parfois, j’ai honte. Nous avons peut-être le plus beau pays d’Afrique, mais qu’en faisons nous ?

Vous avez soutenu Joseph Kabila, donc, en 2006 et en 2011. Lui-même vous a demandé, en 2007, de devenir gouverneur du Katanga. Quelle est la nature de votre relation aujourd’hui ?

Je le connais depuis que je suis rentré d’exil, en 2003. C’est lui qui m’a demandé de revenir au pays pour l’aider, notamment au niveau du Katanga, la province la plus importante. L’ambassadeur Katumba Mwanke, aujourd’hui décédé, a joué un rôle prépondérant dans cette relation qui a toujours été empreinte de confiance. Je rassure tous ceux qui s’inquiètent, ou qui aimeraient nous opposer : c’est toujours le cas.

Et si d’aventure Joseph Kabila décidait de modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir après 2016, le soutiendriez-vous toujours ?

Nous sommes encore loin de cette échéance et je ne crois pas que le président ait ce dessein-là en tête. Faisons déjà notre travail, aidons-le à bien finir son mandat, c’est plus important que d’élaborer des conjectures douteuses.

Comment avez-vous vécu les scrutins présidentiel et législatif, contestés et très critiqués, de 2011 ?

En Afrique, la plupart des élections sont contestées. Ce que je sais, c’est que si Étienne Tshisekedi, Vital Kamerhe et quelques autres de l’opposition avaient daigné s’unir, ils l’auraient remporté. Mais ils n’ont pas été capables de s’entendre. Ils auraient dû réfléchir avant, plutôt que de crier à la fraude. Pour le reste, le président lui-même l’a reconnu, la RDC est une jeune démocratie et des erreurs ont été commises. De là à remettre en cause l’intégralité du scrutin, en revanche, non.

La nomination d’Augustin Matata Ponyo au poste de Premier ministre vous a-t-elle satisfait ? Vous étiez très critique vis-à-vis du gouvernement Muzito, qui l’a précédé.

Oui, complètement. Ce gouvernement travaille bien, pour l’instant, mais la guerre dans l’Est ne lui facilite pas les choses.

Justement, depuis la fin de 2012, un nouveau conflit et une nouvelle rébellion ont éclaté, avec l’avènement du Mouvement du 23-Mars (M23). Quel est votre diagnostic sur cette énième crise ?

Franchement, j’en arrive à avoir honte de parler de ce type de sujet. Nous avons peut-être le plus beau pays d’Afrique, mais qu’en faisons-nous ? Après l’élection démocratique de 2006, nous pensions en avoir fini. Pourquoi toutes ces rébellions ? Parce que chez nous sévit l’impunité. Si ceux qui les fomentaient étaient traduits en justice, ici ou ailleurs, cela n’arriverait plus. Nous donnons l’impression que le seul moyen de parvenir au pouvoir ou de négocier, c’est de prendre les armes. C’est aberrant.

Selon vous, quel rôle joue le Rwanda, mis à l’index dans cette crise ?

Je ne suis pas ministre des Affaires étrangères, ce n’est donc pas mon rôle de répondre à cette question. Ce que je peux dire, en revanche, c’est que nous sommes condamnés à vivre en paix avec nos voisins. Encore faut-il qu’eux nous laissent tranquilles.

Quel est votre rêve le plus fou ? Gagner la Coupe du monde des clubs en finale face au FC Barcelone par 3 buts à 0, être élu président de la République ou signer le plus gros contrat minier jamais enregistré en Afrique ?

[Rires.] Sans hésitation, battre le grand FC Barcelone ! 

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Propos recueillis à Londres par Marwane Ben Yahmed

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