Tunisie : ces nahdhaouis qui ont dit non

Ulcérés par toute une série de dérives et par l’ambition dévorante de Rached Ghannouchi, ils ont claqué la porte du parti islamiste Ennahdha.

Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha. © Reuters

Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha. © Reuters

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 27 février 2013 Lecture : 3 minutes.

Sous la figure tutélaire de son père spirituel, Rached Ghannouchi, Ennahdha semblait avoir plusieurs visages. On devinait les contradictions internes du mouvement que l’on pensait tiraillé entre un extrême philo-salafiste et un centre prodémocrate, ou pratiquant opportunément un double langage pour balayer le spectre sociopolitique le plus large possible. Mais le bras de fer entre Hamadi Jebali, Premier ministre et secrétaire général du parti, et Ghannouchi, son président, a révélé une lutte intestine pour l’autorité et des conflits de personnalité qui dépassent le débat d’idées et la stratégie politique.

Le 9 février, la démission de Jebali de son poste à la tête d’Ennahdha était annoncée sur la page Facebook du mouvement, avant d’être rapidement effacée. Le chef du gouvernement a lui-même immédiatement démenti l’information, laquelle n’en a pas moins paru plausible. Militants, cadres et même cofondateurs du parti ont en effet régulièrement fait défection, dénonçant dans le même mouvement les pratiques internes du parti et ses agissements politiques. Décrivant ce qu’ils ont vécu de l’intérieur, les dissidents ont dévoilé l’inquiétante anatomie d’un mouvement aux usages fort peu démocratiques, parfois très éloignés de la morale islamique, et dont les méthodes rappellent à bien des égards celles du régime déchu.

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Intrigues

Dernière en date à avoir claqué la porte, au début de février, la députée Fattouma Attia. Entre les calculs politiques des élus et les intrigues pour la conquête du pouvoir, la réalité d’un parti à la « discipline de fer » lui est apparue en complète contradiction avec les idéaux proclamés. « Ennahdha ne veut pas combattre la corruption. Elle doit se retirer et dégager. Le parti a d’autres ambitions que la réalisation des attentes du peuple. » Accusation plus grave : des personnalités du parti ne seraient pas plus vertueuses que les membres du clan déchu des Ben Ali : « Le secrétaire d’État de l’Agriculture, par exemple, a détourné au profit de son frère un projet d’élevage de poissons à Zarzis présenté par un citoyen. » Tromper plus longtemps les électeurs qui lui avaient donné leur confiance ne lui était plus supportable. Et elle-même s’est sentie flouée par Ghannouchi : « Ses idées ne sont pas rassurantes, surtout en ce qui concerne les salafistes […]. C’est à se demander s’il n’est pas aussi salafiste qu’eux, ou alors, peut-être veut-il les utiliser à des fins électoralistes. »

Certaines méthodes et pratiques rappellent à bien des égards celles du régime déchu.

Le 28 janvier, c’est un autre ex-militant, Sahbi Amri, qui dénonçait le père fondateur : « C’est Ghannouchi qui est responsable de la situation critique que connaît le pays et non Jebali. » Selon lui, la stratégie d’affrontement brutal avec l’ancien régime décidée par le président d’Ennahdha a profondément nui au parti, et sa pratique du népotisme aura des effets tout aussi néfastes. Des déclarations qui font écho à celle d’un autre dissident, Kamel Houki, qui affirmait en août 2012 : « Ghannouchi souffre d’un attachement pathologique au pouvoir. Tout comme il a poussé le mouvement islamiste vers la catastrophe il y a un quart de siècle […], il est en train de pousser aujourd’hui tout le pays vers la catastrophe en s’accaparant le monopole de la décision. » Ex-prisonnier politique de l’ancien régime, Houki avait remis sa démission après avoir découvert l’implication de milices nahdhaouies dans la répression des manifestations du 9 avril 2012.

"Malade"

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Mensonge, népotisme, corruption, activités miliciennes : ce que ne cessent de dénoncer les ennemis du parti islamiste n’est pas contredit par ceux qui l’ont fréquenté avec assiduité. Omniprésente, la figure de Ghannouchi apparaît comme celle d’un maître absolu guidé par une dévorante ambition. Dans une interview croisée d’un autre déserteur, Néjib Karoui, et d’un mystérieux « dirigeant historique », publiée le 20 septembre 2012 par Le Maghreb, c’est le second qui fait les révélations les plus inquiétantes : « Nous savons, et nos frères aussi, que la mission de Lotfi Zitoun est bel et bien d’espionner Hamadi Jebali […] et de tenir Rached Ghannouchi informé de tous ses faits et gestes. » Et de qualifier lui aussi le leader d’Ennahdha d’« animal politique », « malade » du pouvoir…

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