Abd Haq Bengeloune : au bonheur des dames

Ancien ingénieur chez Peugeot, le Sénégalais Abd Haq Bengeloune entend bien révolutionner les cosmétiques pour peaux noires.

Abd Haq Bengeloune (Sénégal), Ingénieur, chef d’entreprise, président de la société Inoya, basée à Aix-en-Provence (recherche médicale et cosmétologie pour les peaux noires).  A Paris, le 8 novembre 2012. © Vincent Fournier/J.A.

Abd Haq Bengeloune (Sénégal), Ingénieur, chef d’entreprise, président de la société Inoya, basée à Aix-en-Provence (recherche médicale et cosmétologie pour les peaux noires). A Paris, le 8 novembre 2012. © Vincent Fournier/J.A.

Publié le 4 février 2013 Lecture : 4 minutes.

La vie d’Abd Haq Bengeloune ressemble un peu aux romans de Gabriel García Márquez ou de son héritier africain, Mia Couto. Il y est beaucoup question de chance, mais aussi d’anges protecteurs. Il y a ainsi un chiffre porte-bonheur, le 9, clé de sa date de naissance – 19.9.1979 – et mois de création de son entreprise de cosmétiques, In’Oya. Et quand nous l’avons rencontré à Paris, l’ingénieur rendait visite aux AfricAngels, un club qui soutient les hommes d’affaires du continent. Des anges qui lui en rappellent inévitablement deux autres : son oncle et M. Faye, son professeur de physique en classe de terminale.

Né d’un père musicien et d’une mère qui n’a pas fait d’études supérieures, Abd Haq Bengeloune doit sa passion des machines à cet oncle industriel qui l’a élevé. M. Faye dit un jour au lycéen ce genre de phrase qui peut changer une vie : « Tu mérites mieux que ça. » À l’époque, le petit Bengeloune est un élève sérieux et appliqué au lycée de Kaolac, petite ville du bassin arachidier, au Sénégal. Fasciné par les cours de M. Faye, Bengeloune se voit déjà l’imiter. Mais l’enseignant lui indique une porte bien plus grande : l’École supérieure polytechnique de Dakar, la meilleure du pays. Trois ans plus tard, Bengeloune est major de sa promo. En master, des élèves arrivent d’autres écoles, et le niveau stagne. L’étudiant n’a pas oublié la phrase du maître : il quitte le Sénégal, un diplôme universitaire de technologie génie mécanique et système automatique en poche, direction l’école d’ingénieurs de Brest.

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L’Europe, il connaît déjà, ses parents habitent à Bruxelles. Mais la France et la Bretagne… « Mon premier souvenir, c’est la pluie, tout le temps », se souvient-il. Commence alors ce qu’il appelle « le parcours du combattant de l’étudiant étranger ». « Quand tu arrives, la fac te demande une adresse et un chèque pour t’inscrire. Tu vas voir un bailleur qui te demande un chèque de caution. Alors tu vas à la banque qui te demande… une adresse ! » Cette fois encore, un ange veille. L’université le domicilie sur place et Bengeloune emménage avec son meilleur ami, sénégalais lui aussi. La vie bretonne est douce… Mais le souvenir des tracasseries demeure. Le jeune homme crée l’Association des étudiants sénégalais de Brest pour venir en aide aux étudiants dans la même situation. Généreux, drôle et dynamique, il devient une véritable figure locale.

À l’école, il excelle en « mécatronique », une science qui allie mécanique, électronique et informatique industrielle. Brillant, l’ingénieur de 26 ans est directement embauché en CDI chez PSA Rennes pour développer la robotisation de l’outil industriel qui fabriquera la Peugeot 407. « Là-bas, j’ai eu un déclic, se souvient-il. Je décide de mettre la précision des machines au service de l’homme. » Le jeune homme voit grand. Au bout de deux ans chez PSA, il s’ennuie. Il en parle avec sa chef, qu’il respecte beaucoup, seule femme dans un univers masculin. « Travailler dans un grand groupe, c’est beau sur un CV, mais ça peut devenir un piège, confie-t-il. Quand on est jeune, on veut réinventer le monde et ce n’est pas dans un grand groupe qu’on peut le faire. » Il répond alors à l’offre d’une start-up médicale de trois salariés à Aix-en-Provence, dans le sud de la France. L’entreprise qu’il rejoint dispose d’une machine exceptionnelle : un laser permettant d’effacer les cicatrices. C’est le défi qu’il lui faut.

Un diplôme en biologie par correspondance l’aide à acquérir le langage de la recherche. Pendant trois ans, il absorbe tout. Chef de projet, il apprend à dénicher des fonds, se constitue un carnet d’adresses, parvient à récolter 5 millions d’euros. C’est, pour lui, « la meilleure école de la vie ».

Porté par les anges, Bengeloune avance sans précipitation. Fort d’un bagage de cinq années dans la recherche, il peut désormais atteindre son but : créer sa propre entreprise, In’Oya SAS. « In’ » pour innovation et « Oya » en référence à la déesse africaine de la fertilité et de la féminité. L’idée a germé lors d’un voyage au Sénégal, en 2008, où il crée une savonnerie solidaire. C’est là-bas qu’il entend parler pour la première fois de dépigmentation. Exaspérées par des soins inefficaces contre les tâches, certaines femmes s’en remettent à des produits agressifs à base de corticoïdes et d’hydroquinone. Et s’il existait une molécule spécifique pour les peaux noires ?

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Bengeloune connaît les chercheurs, le système des brevets, la collecte de fonds. La molécule est trouvée et testée par des laboratoires indépendants. Sa gamme de produits sera commercialisée en mars en région parisienne. Humble, l’ingénieur remercie le modèle français et son système de subventions. « Le rêve français existe. Je suis parti de rien et j’ai réussi à force de travail. » Ingénieur de ces dames, Bengeloune a conçu In’Oya en pensant à sa mère et à sa soeur. Aujourd’hui, il veut offrir à la femme noire autre chose qu’un produit standard dans un packaging ethnique. « Mon rêve, dit-il dans un grand sourire, est de créer la molécule qui fera mieux pousser les cheveux crépus. »

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