Mali : comment Hollande est devenu un chef de guerre

Face à l’avancée jihadiste vers Bamako, la France s’est lancée dans une intervention à hauts risques. Les premiers succès de l’opération Serval n’y change rien : personne ne sait comment évoluera un conflit sans précédent. Retour sur les premiers pas de l’engagement militaire français au Mali et le nouveau costume de « chef de guerre » endossé par François Hollande.

Blindés français de l’opération Serval quittant Bamako en direction du front, le 15 janvier. © AFP

Blindés français de l’opération Serval quittant Bamako en direction du front, le 15 janvier. © AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 28 janvier 2013 Lecture : 6 minutes.

« Maintenant, il connaît tous les villages du Mali », confie l’un de ses proches. Depuis le 11 janvier, jour de l’engagement de l’armée française à Konna, François Hollande suit, heure par heure, la guerre contre les jihadistes du Sahel. Même la nuit. Plusieurs fois, le 11 et le 12, il s’est fait réveiller pour avoir les dernières informations du terrain. Ses interlocuteurs : le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, un vieux complice ; l’amiral Édouard Guillaud, le chef d’état-major des armées ; et le général Benoît Puga, son chef d’état-major particulier. Bien sûr, il ne suit pas seulement le conflit malien, mais, pendant les réunions de politique intérieure, il reste informé en direct par textos. C’est le mercredi 9 janvier que tout se noue.

Depuis le week-end précédent, l’état-major français lui fait remonter des informations inquiétantes. Grâce aux images prises par un avion de reconnaissance, l’Atlantique 2, et un satellite-espion, le Pléiades, le président sait que deux colonnes jihadistes de 150 à 200 pickups chacune se dirigent vers le sud du Mali. Sur son bureau, il dispose même de photos de ces colonnes. Ce 9 janvier, il reçoit les coups de fil pressants de deux chefs d’État : le Malien Dioncounda Traoré et le Nigérien Mahamadou Issoufou – un camarade socialiste de longue date. Ils n’ont pas les mêmes moyens d’observation que les Français, mais, à Gao et à Tombouctou, ils ont des informateurs fiables qui leur confirment que l’offensive des jihadistes est imminente. Le même soir, l’Ivoirien Alassane Ouattara appelle en urgence son homologue français pour lui demander assistance au nom de la Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest).

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Tous en conviennent : la dernière résolution de l’ONU sur le Mali est trop vague. Il faut une demande expresse de Bamako à Paris pour formaliser l’intervention française à venir. Sans quoi, les Algériens, les Russes et les Chinois risquent de s’y opposer. Le matin du 10, Dioncounda Traoré adresse à François Hollande cette lettre alarmante : « Une intervention militaire immédiate devient nécessaire. Des groupes narco-jihadistes ont entrepris d’attaquer nos premières lignes de défense. » Au même moment, Bamako envoie une autre lettre au secrétaire général de l’ONU. Au ministère français de la Défense, le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) réactualise une dernière fois les scénarios d’engagement militaire construits depuis plusieurs mois. Sur zone, les équipages des hélicoptères d’attaque basés à Ouagadougou sont mis en état d’alerte. Quelque vingt coopérants militaires français positionnés à Bamako montent à Sévaré pour être au plus près des opérations. Formellement, François Hollande n’a pas encore fait le choix de la guerre, mais il s’y prépare. À plusieurs de ses visiteurs, il lance : « S’il s’agit d’une agression caractérisée, ça doit nous amener à prendre une décision. »

Coup de chance

Le soir de ce jeudi 10, François Hollande et Barack Obama se parlent. Le coup de fil était prévu depuis plusieurs jours et devait porter sur tout autre chose, mais, très vite, le Français dit à l’Américain : « Au Mali, la situation est alarmante. » Obama lui répond qu’il n’a pas des informations d’une telle gravité, mais qu’il lui fait toute confiance. Simultanément, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, fait demander au Conseil de sécurité de l’ONU une réunion de toute urgence.

S’il s’agit d’une agression caractérisée, ça doit nous amener à prendre une décision.

François Hollande, le 10 janvier.

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Vendredi 11 janvier, 11 h 30 : le président français convoque un conseil restreint de défense à l’Élysée. Autour de la longue table rectangulaire du Salon vert – la « war room » -, au premier étage du bâtiment, une douzaine de personnes ont chacune devant elles une carte du Mali. L’amiral Guillaud : « L’agression caractérisée est confirmée. » François Hollande distribue alors la parole. Pas une voix discordante. Tout le monde est pour l’engagement de la France. Laurent Fabius : « Si nous n’intervenons pas, Bamako peut tomber en vingt-quatre heures. » Un autre participant : « Si les islamistes prennent Bamako, nous n’aurons plus huit otages, mais six mille otages [NDLR : le nombre des ressortissants français au Mali]. » La décision s’impose d’elle-même. A-t-il eu une hésitation avant de trancher ? « Mais pas du tout. Il a beaucoup de sang-froid, il est serein », répond le secrétaire général de l’Élysée, son vieil ami Pierre-René Lemas. Un autre proche : « Hollande est un homme à maturation lente, mais, une fois que le choix est fait, il l’assume parfaitement. »

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Le chef de l’État demande alors quel est le meilleur plan d’attaque. Guillaud et Puga insistent sur le fait que l’ennemi est regroupé et offre donc une cible. Ils proposent une action en deux temps. Le jour même, une frappe sur les colonnes jihadistes avec les hélicoptères Gazelle. Et le 13, un bombardement de la base arrière de Gao par des avions Rafale venus de France. Le président donne son accord et charge aussitôt Fabius de demander à l’Algérie une autorisation de survol. Puis tout s’enclenche. Hollande attend les premières frappes d’hélicoptères avant de parler à la nation. À 18 h 9, le visage plus grave qu’à l’accoutumée, le ton presque martial, il annonce : « Mesdames, messieurs, le Mali fait face à une agression d’éléments terroristes. […] Il en va donc, aujourd’hui, de l’existence même de cet État ami. » Solennité et transparence… François Hollande entre enfin dans ses habits de président. Le soir même, il apprend la mort au combat d’un premier soldat français, le pilote d’hélicoptère Damien Boiteux.

Raids

La nuit va être longue car il a aussi donné son feu vert à l’« opération de vive force » en Somalie pour tenter de libérer l’otage français Denis Allex. Le raid va échouer. Trois morts côté français : l’otage, probablement abattu par ses geôliers, et deux hommes du service action de la Direction générale des services extérieurs (DGSE). Pourquoi le président français lance-t-il les deux opérations le même jour ? En cas d’échec en Somalie, escompte-t-il que le choc médiatique sera amorti par l’opération malienne ? « Pas du tout, répond une source proche de la DGSE. Le raid était prévu depuis un mois. Il fallait réunir plusieurs conditions techniques et météo­rologiques avant de donner l’assaut. Si c’est tombé le même jour, c’est fortuit. »

Comme Sarkozy, Hollande s’intéresse aux questions opérationnelles. "Là, on est où ? Et là, ça avance comment ?"

Le samedi 12, nouveau conseil de Défense. Jean-Yves Le Drian est presqu’en permanence à l’Élysée. Principal sujet du jour : le raid des Rafale. De bonne source, Alger n’a pas encore autorisé le survol de son territoire. Entre Saint-Dizier, en France, et N’Djamena, au Tchad, il faut donc établir un plan de vol par le Maroc. Durée : 9 heures 35, avec cinq ravitaillements en vol. Le lendemain à 6 heures, décollage. Les pilotes ont l’ordre de faire des « frappes rapprochées ». L’effet de surprise doit être total. À midi, les quatre Rafale frappent simultanément trois cibles militaires autour de Gao. Puis ils reviennent pour en frapper une quatrième. Le soir même, Laurent Fabius remercie l’Algérie d’avoir autorisé le survol de son territoire par les appareils français. Or, d’après nos documents photos (lire « Confidentiels »), tout laisse penser que les Rafale ont bien dû contourner l’Algérie par l’ouest. Le feu vert d’Alger est-il arrivé après le décollage de Saint-Dizier ? A-t-il jamais été donné ? Paris a-t-il diplomatiquement remercié Alger pour ménager l’avenir ?

Depuis ce week-end très chaud, François Hollande réunit presque tous les jours un conseil de défense. Comme son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, il s’intéresse aux questions opérationnelles et n’hésite pas à pointer son stylo sur une carte du Mali en disant : « Là, on en est où ? Et là, ça avance comment ? » Le 12, il contacte David Cameron pour lui demander des avions de transport britanniques. Le 14, il appelle Abdelaziz Bouteflika pour parler stratégie antiterroriste. Comme chef des armées, Hollande est-il différent de Sarkozy ? « Pas vraiment », souffle la source proche des services qui a côtoyé les deux hommes. « Comme Sarkozy, il est concentré, attentif. Mentalement, on sent qu’il s’est préparé à la tâche. Et puis, il est prudent. Il a gardé auprès de lui un certain nombre de cadres de l’époque Sarkozy qui avaient montré leur professionnalisme. » De fait, l’amiral Guillaud, le général Puga et le patron de la DGSE, Erard Corbin de Mangoux, ont tous trois été nommés par l’ancien président français. La continuité de l’État… Et notre source d’ajouter : « On l’appelait Flanby [du nom d’un dessert mou et gélatineux, NDLR], mais Hollande a trompé son monde. Au fond, en attaquant le Sud-Mali et en pariant sur l’inaction de la France, les jihadistes ont été victimes de l’effet Flanby. »

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